Accueil > Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer > Femme d'un dessinateur-électrique des chantiers de 1925 à 1973
Qualité du son : bonne
[...] C’est mon mari qui est venu me rencontrer, parce qu’il ne fallait pas que je sorte pour ne pas rencontrer, il fallait pas que je parle... J’étais de noces et mon mari était mon cavalier, donc c’est lui qui est venu chez moi. Il fallait que le cavalier connaisse la cavalière. Mes parents étaient amis avec la mariée. On organisait des parties de pêche, puis on se voyait à la maison... Donc j’étais sa treizième cavalière et moi c’était le premier. Il avait déjà fait douze noces avant moi. Quand je l’ai vu j’ai fait comme le gobie, j’ai mordu à l’hameçon. J’avais 18 ans et c’était mon premier et mon dernier. Je n’ai connu que lui et j’ai eu 38 ans de bonheur. Je suis tombée amoureuse de lui. Il avait une belle allure, il était grand et moi j’étais très timide, puis la timidité m’a passé. J’ai rencontré mon mari en 1938, il y a eu la guerre. On devait se marier en octobre, mais il est parti en septembre pour la guerre et puis le bon Dieu a voulu qu’il revienne, le 26 juillet 1940. On a décidé de se marier pendant une permission et c’est ce qu’on a fait. On s’est mariés le 4 mai 1940.
Interviewer : Il travaillait déjà aux chantiers ?
Madame : Je pense qu’il y est rentré dans l’année de 1925.
Interviewer : Il avait quel âge quand il est rentré aux chantiers ?
Madame : Il avait 15 ans.
Interviewer : Vous avez sûrement connu sa famille, vous pouvez me parler de ses parents ?
Madame : Ma belle-mère était institutrice ici, à La Seyne et mon beau-père était déjà aux chantiers, il était dessinateur.
Ma belle-mère est morte en mettant au monde sa sixième fille, ça a été dramatique, paraît-il, dans la famille. (Elle explique que les enfants ont été gardés, séparés...)
Mon beau-père, qui était dessinateur, est resté aux chantiers.
Mon mari, naturellement, est rentré aux chantiers, puis y est resté toute sa vie.
Interviewer : Il a été formé aux chantiers ?
Madame : A ce moment là c’était à la table : mon beau-père a dû le prendre à côté de lui, il était dessinateur, donc il recopiait des plans.
Interviewer : Quelle a été la spécialité de votre mari ?
Madame : Il était au bureau d’études. Il a fini avec messieurs Péron et Le Thexier. Le Thexier était le sous-chef de bureau. Mon mari était aussi dessinateur. Puis, à la reprise, après la guerre, quand les chantiers ont repris parce qu’ils avaient étés bombardés, on a transféré mon mari du bureau d’études vers le bureau des projets, sans lui demander son accord. Là, bien sûr, il lui a fallu une rééducation. Chaque projet de bateau avait sa section : la section coque, etc. Mon mari était dans l’électricité : il faisait partie des devis électriques et toute sa vie il a fait des devis. Et le dernier temps, quand le chantier commençait à manquer de travaux, mon mari me disait : « Je travaille au pif ». Il fallait qu’il fasse le prix et il n’avait pas le temps de calculer et ça ne lui plaisait pas de travailler comme ça, parce qu’il était très méticuleux.
Interviewer : En quelle année s’est-il arrêté aux chantiers ?
Madame : Il est mort en 1978. Il a vécu 5 ans de retraite, dont 3 de préretraite : ça fait 1973. Il a quitté en 1973.
Interviewer : Il a quitté en plein « boum » des chantiers ?
Madame : Oui, il avait déjà peur que le bureau d’études parte à Saint-Nazaire. Et puis le chantier a connu la débâcle. Mais mon mari ne l’a pas connue et moi je dis : Merci mon Dieu parce qu’il aurait été malheureux, comme tout le monde.
Interviewer : Et vous ? Vous êtes allée aux chantiers ?
Madame : Oui, j’y allais surtout aux lancements des bateaux.
Interviewer : Racontez-nous.
Madame : Mon Dieu ces bateaux, c’était beau quand il y avait un lancement. Il y avait une ambiance peu commune : c’était la fête dans La Seyne. Il y avait du bruit, on balançait le bateau, on désignait la marraine… Je m’habillais bien, puisque je faisais mes toilettes moi-même (elle avait une formation de couturière), je m’habillais bien, j’habillais mes enfants quand ils pouvaient venir. On avait des places relativement biens pour bien voir partir le bateau dans l’eau. Je ne vous dis pas le bruit des chaînes et puis quand le bateau arrivait au bord de l’eau… J’en ai encore la chair de poule maintenant… C’était émotionnant, il y avait la Marseillaise, il y avait le prêtre de La Seyne qui bénissait le bateau avec des petits enfants de chœur… C’était vraiment émotionnant.
Interviewer : Et votre mari, en quoi il participait aux lancements ?
Madame : Non, il ne participait pas aux lancements. C’était des spécialistes qui devaient lever les cales. Le bateau était posé sur des cales, c’était des hommes spécialisés qui levaient ces cales et après, ils prenaient des rails et ils le mettaient à la mer.
Interviewer : Et vous avez assisté à de nombreux lancements ?
Madame : Nombreux, oui. Je pense que j’ai bien fait, parce que ça me laisse des souvenirs magnifiques.
Interviewer : Vous pouvez me raconter des anecdotes à propos de ces lancements ?
Madame : On rencontrait des personnes biens, j’étais bien habillée, jeune, mince … Intérieurement, ces lancements donnaient une ambiance heureuse. J’avais mon mari à mon bras parce que j’étais fière de lui : il faisait partie du bateau.
Interviewer : Est-ce que vous aviez des relations, est-ce qu’il avait beaucoup d’amis ?
Madame : Oui, il avait des amis du bureau, mais il souffrait tellement de cette mentalité du chantier.
Mon mari était un homme très délicat, très timide, mais il était intellectuel. A l’époque, il était l’un des rares à parler l’anglais et je me souviens de, soit-disant, un vrai copain qui venait et qui lui demandait : « Dis, Ferdinand tu peux me détailler ? » Et Ferdinand lui écrivait en français ce que le devis présent donnait en anglais et, bien entendu, c’était celui qui venait à mon mari qui passait pour un Monsieur, alors que c’est mon mari qui faisait.
Interviewer : Comment il avait appris l’anglais ?
Madame : Je pense qu’à l’époque il y avait une méthode. (Elle ne se souvient plus du nom de cette méthode.) Il avait appris tout seul, il n’est pas sorti. Il en avait besoin pour son travail. Il devait avoir une notion primaire, mais enfin il savait déchiffrer un devis.
Interviewer : Vous dites que l’ambiance n’était pas bonne au bureau ?
Madame : Si, apparemment oui. Mais, moi, j’ai des souvenirs de fin d’année où untel avait droit à une enveloppe d’argent qui était assez importante et puis c’était un peu à la tête du client ça. Moi qui le connaissais très bien mon mari, il en souffrait. C’était des primes de fin d’année, en principe c’était le treizième mois. Au départ, c’était le treizième mois, on était à peu près sûrs d’avoir le treizième mois et puis après on disait que untel a plus de valeur que untel, alors celui-là il avait une enveloppe. C’est arrivé à mon mari aussi, après en parlant, il voyait que l’autre en avait eu plus… Mais ce n’est pas de la jalousie. Ça créait des tensions et l’amitié s’arrêtait à la porte.
Interviewer : Est-ce qu’il était syndiqué ?
Madame : Oui, il était à la CFDT.
Interviewer : Il participait à des réunions ?
Madame : Bien sûr et il faisait les grèves.
Interviewer : Il a fait des grèves difficiles ?
Madame : Il en a fait de très dures. J’ai le souvenir qu’on longeait le chantier et à un endroit : les forges, il y avait une passerelle qui reliait les deux chantiers et, à ce moment là, mon mari était célibataire. C’était la personne chez qui il mangeait qui venait leur apporter le panier, comme on disait à l’époque, et cette personne par mouvements de chaînes, lui faisait parvenir son repas, enfin ils étaient plusieurs. C’était pendant les grèves de 1936. Je n’étais pas là. Je ne le connaissais pas, c’est mon mari qui me l’a raconté.
Interviewer : Après, vous avez été mariée longtemps avec lui. Il a toujours travaillé aux chantiers. Vous avez connu des périodes de grèves avec lui ?
Madame : Bien sûr. Vous savez, aux chantiers il y en a eu des grèves, plutôt deux fois qu’une.
Interviewer : Qu’est-ce qu’il disait lui des grèves ?
Madame : Disons qu’il était pour le peuple. Il aimait les ouvriers, donc il me disait : « Tu sais ma chérie, dans la vie on va devant » et ma mère qui était paysanne ne le comprenait pas ça... Mon mari n’était pas payé pendant la grève.
Interviewer : Ça n’a pas été mal vu que vous épousiez un ouvrier ?
Madame : Oui, mais pour moi c’était un peu une élite. Il était aux bureaux, il n’était pas aux travaux. Mais moi je l’ai aimé. je l’aurais aimé tordu, je pense.
Interviewer : Et vos parents, ça ne les gênait pas ?
Madame : Non, je ne pense pas. Je pense qu’ils étaient contents que j’épouse cet homme, car ils n’auraient pas voulu que j’en épouse un autre.
Interviewer : Vous habitiez où, à La Seyne ?
Madame : J’habitais boulevard du 4 septembre au 28 bis. La maison existe toujours et quand j’y passe je me retrouve au moment où j’étais jeune. J’allais au marché et il y avait tous mes commerçants là... Il y avait les pères Maristes... Mon mari jouait à la pastorale à Noël, il faisait le rôle du meunier.
Interviewer : Ses parents étaient de quelle origine, R... c’est de quelle origine ?
Madame : Mon fils, avec son ordinateur, a retrouvé l’an dernier des cousins en Italie, du côté de Gênes. Donc la famille descend de Gênes. Du côté du père de mon mari : par les R....
Et ma belle-mère de La Seyne, je pense.
Interviewer : Pour en revenir à votre mari, vous disiez qu’il était à la CFDT ?
Madame : Il n’y avait que la CGT et la CFDT et il n’était pas à la CGT, j’en suis sûre. Dans le bureau, il y avait une solidarité mais après ça, mon mari ne faisait pas de politique. Il faisait les grèves parce qu’il trouvait qu’elles étaient appropriées, du moins c’était son sentiment et moi je l’approuvais bien sûr.
Par contre, je trouvais horrible le fait que certains ne fassent pas la grève et profitent de cette grève. Ils ne faisaient pas la grève, ils restaient dans le bureau et quand la grève donnait des plus, ces personnes avaient le plus. Je disais que c’était un manque de camaraderie, c’était un manque de solidarité.
Interviewer : Il a manifesté dans la rue ?
Madame : Non, à part une fois, je ne me rappelle pas, il y avait une marche de Toulon, peut-être quand on parlait de démolir le chantier. Il y avait eu une marche et il l’avait faite de La Seyne à Toulon. C’était dans les années 65-66. Il avait fait cette marche et c’était le chantier.
Interviewer : Qu’est-ce que c’était pour vous, le chantier ?
Madame : Pour moi, le chantier c’était un coin privilégié de La Seyne. C’était sur le port, bien sûr, puisqu’on y lançait les bateaux. Comparé à La Ciotat, moi je dis que La Seyne avait un lancement de bateaux unique : le bateau partait, il pouvait aller jusqu’à Toulon sans s’arrêter. Alors qu’à La Ciotat, si on ne freine pas, il rentre dans le port. Pour moi, c’était un endroit magnifique et puis j’étais fière de mon mari, il était au bureau d’études, il faisait les plans. Il y avait monsieur Péron, je lui touchais la main… J’aimais cette ambiance.
Interviewer : Vous êtes allée à des réunions avec les gens du bureau d’études ?
Madame : Non, le bureau d’études avait formé un groupe de chanteurs, de comédiens… Et mon mari présentait tout en vers les artistes. Il y avait des séances au cinéma Rex.
(...)
Interviewer : Parmi les autres fêtes, vous aviez quoi comme autres fêtes ?
Madame : J’aimais bien la Ste Anne à La Valette. Il y avait la messe des jardiniers. Après il y avait Ste Madeleine. Ste Anne était le 26 juillet et Ste Madeleine le 22, ainsi que les jardiniers. Alors là il y avait des tambourinaires qui, la veille, passaient dans les campagnes avec des tambourins. Ils donnaient la petite aubade, ils donnaient des petits bouquets de fleurs. On les recevait, ma mère sortait du vin de marquise, du vin de noix, des vins faits à la maison… C’était la fête. Il y avait la messe à dix heures et là il y avait une distribution de petites navettes qui étaient bénites et après, on allait manger au restaurant, la fête se terminait au restaurant ou à Carqueiranne ou à Hyères ou à la Garonne, dans la région.
Interviewer : Vous alliez aux Sablettes, à la plage ?
Madame : Jeune fille jamais. Après on y allait tous les jours, même le soir. A ce moment là, mon mari faisait l’horaire bloqué : il commençait le travail à six heures du matin jusqu’à deux heures de l’après-midi et après il était libre jusqu’au lendemain matin à six heures. C’était fatigant. Il faisait ça de début juillet jusqu’à fin août. L’après-midi, il se reposait un peu et puis on allait à la plage en vélo avec mes enfants. Mon mari disait « Mes Sablettes ». C’est vrai que c’est une belle plage...
Interviewer : Votre mari gagnait bien sa vie ?
Madame : Disons que j’ai été sage. Je faisais selon mes moyens, mais oui quand même, il était un peu au-dessus des ouvriers.
Interviewer : Il avait quel grade, quel statut aux chantiers ?
Madame : Il était dessinateur. Il y avait dessinateur de groupe. Il a fini dessinateur technicien.
Il a progressé dans la hiérarchie. Je n’ai jamais travaillé, donc je n’ai que des reversions de retraite.
A mesure qu’il avançait en grade, automatiquement il rentrait dans différentes caisses, dont celle des cadres de laquelle j’ai la retraite.
Interviewer : Vous viviez bien, vous n’aviez pas de problèmes de fin de mois ?
Madame : Jamais, je gérais la caisse : il me donnait sa paye.
Interviewer : Vous faisiez quoi pendant les vacances ?
Madame : On est souvent allés en Italie, tout d’abord parce qu’on gagnait au change. Autrement, on restait à La Seyne. Mon mari adorait la mer et moi aussi, les enfants aussi. On allait aux Sablettes. On était modestes à l’époque… Avant de connaître l’extérieur, vois un peu ce qui se fait chez toi. Les gens des fois vont loin alors que je trouve que déjà la France est pas mal.
Vous avez eu deux fils alors : Michel et Bernard ?
Michel a fait son apprentissage aux chantiers avec monsieur Christol qui était chef des apprentis, c’était un bon ami de mon mari.
Bernard était à Martini, il y a passé son brevet et puis son CAP de comptabilité et, par une amie, il est rentré à la Société Lyonnaise, il était à Toulon mais le chef ne lui plaisait pas. L’amie était Malo Olivier, c’était la fille Thiso donc c’est par elle qu’il est rentré à la banque, ensuite il trouvait qu’il n’y avait pas trop d’avenir à la Lyonnaise et il a passé un concours pour le Crédit Agricole. Il a donc pris sa retraite au Crédit Agricole.
Michel est resté aux chantiers tout le temps.
Il n’a pas voulu faire autre chose que les chantiers ?
Non, Michel était très manuel. Il est allé à Martini jusqu’en troisième, puis l’étude ne lui disait rien il préférait les choses manuelles donc il est rentré aux chantiers là il a touché à un peu toutes les branches.
Avant de rentrer aux chantiers, il n’a pas passé d’examens à Martini ?
Non, il a quitté l’école après la troisième et c’est là qu’il est rentré aux chantiers dans l’école d’apprentissage.
Il y est resté combien d’années à l’école d’apprentissage ?
Il a fait 3 ou 4 ans et après il est passé sur les travaux.
C’était quoi sa spécialité ?
L’électricité aussi comme son père. Mon mari travaillait sur le papier alors que Michel était sur les travaux, il était sur les bateaux. Ça lui a servi parce qu’il s’est fait une belle villa à Sollies. Il installait l’électricité sur les bateaux et il a fait toute sa carrière sur les bateaux. Pour moi la Seyne c’était le chantier et mon fils était le cinquième de la génération à rentrer aux chantiers. Ils étaient tous aux chantiers il y avait des familles : les oncles, les vieilles filles, les cousines qui étaient secrétaires : c’était le chantier.
Interviewer : Cinquième génération donc avec votre fils c’est Michel, le père donc votre mari c’est Ferdinand, son père…
Madame : Augustin…
Interviewer : Augustin faisait quoi ?
Madame : Il était au bureau d’études aussi, mon beau-père.
Interviewer : Et la génération avant ?
Madame : Ils étaient aussi aux chantiers.
Interviewer : C’était toujours au bureau d’études ?
Madame : Oui, je pense.
Interviewer : Mais votre fils, non ?
Madame : Michel était sur les travaux.
Interviewer : Il a progressé dans la hiérarchie aussi ?
Madame : Oui, il a fini je pense contremaître. Enfin il vit bien. Ma belle-fille était à la mutuelle marine à Toulon. On est à une époque où il faut que les deux personnes dans le couple travaillent.
Interviewer : Vous avez des petits-enfants ?
Madame : J’ai ma petite-fille qui est mariée à un pilote d’hélicoptère. Michel a un fils, Jean-Luc, qui est disc-jockey et qui s’est fait une bonne situation. Il est dans une grande boite à Cannes qui s’appelle le Bali, c’est au bout de la Croisette. Il a bien réussi sa vie et il fait un métier qui lui plaît, il a de bons collègues.
Interviewer : Michel n’a eu que ce fils là ?
Madame : Non, on a eu une petite-fille qui a eu une maladie horrible, une leucémie. Elle est née en 1965. La maladie s’est déclarée en janvier 1968 et nous l’avons perdue le 21 janvier 1971.
Interviewer : Vous aviez des activités avec les autres épouses aux chantiers ?
Madame : Non, pas du tout. J’avais suffisamment de travail à la maison, j’habillais mes enfants, je faisais des pull-overs, je faisais mes petites robes...
Interviewer : Vous n’aviez pas d’amies ?
Madame : Si, à La Seyne, j’avais des bonnes amies. On allait ou chez moi ou chez l’une ou l’autre. On se passait des modèles de travaux, on se passait des recettes de cuisines. Mais au niveau du chantier, le monde du travail était à part.
Interviewer : Alors, ces amies, elles venaient d’où ?
Madame : Mon amie Pierrette, son mari était dessinateur à l’arsenal et il avait débuté avec mon mari aux chantiers. Il a trouvé que l’arsenal payait davantage à ce moment là, donc il a fait l’effort d'aller travailler à Toulon. Mon autre amie, Antoinette, son mari était dans l’aviation, c’était un métier complètement à part, mais on ne parlait pas du métier.
Interviewer : Votre amie Antoinette, vous l’avez connue comment ?
Madame : Je l’ai connue par sa maman qui avait une épicerie. J’habitais boulevard du 4 septembre et cette maman avait l’épicerie derrière ce boulevard, au bout du stade. Moi, par mes parents j’avais des légumes.
Interviewer : Vos fils, ils ont continué à pratiquer la religion ?
Madame : Non, je leur ai toujours pardonné, mais mon mari ne voulait pas leur pardonner. Il me disait : « Tu te rends compte, avoir élevé des enfants dans la religion catholique et puis qu’ils aient abandonné ! » Je disais : « Mais mon chéri, tes petits ils travaillent toute la semaine, le dimanche à dix heures ils étaient encore au lit ».
Ils sont quand même croyants, puis c’est l’essentiel de croire.
Interviewer : C’est votre mère qui vous a appris à faire tous les travaux que vous faites chez vous ?
Madame : Non.
Interviewer : Vous avez appris à Tessier ?
Madame : Non, ce n’est pas Tessier qui m’a appris à faire tout ça. C’est la vie qui vous fait apprendre. Je pense que la vie est une école.
[...]
Interviewer : Vous aviez d’autres loisirs ?
Madame : Au niveau des loisirs familiaux, c’était les repas de famille. Les gens travaillaient toute la semaine et le dimanche il fallait rester assis. Mon mari avait horreur de ça, parce qu’il était déjà assis toute la semaine et le dimanche il voulait bien marcher.
Ensuite, quand on a eu la voiture, on était heureux. On partait. On est souvent allés aux gorges du Verdon avec des parents, avec des amis. On a fait des petits voyages.
Interviewer : Donc votre mari, sa retraite il ne l’a pas beaucoup eue ?
Madame : 5 ans, dont 3 ans de préretraite parce qu’à ce moment là, le chantier avait organisé un système de préretraites.
Mon mari avait toujours peur de l’avenir. Une fois que l’on est en retraite, les salaires son bloqués, ils ne suivent plus et moi, au contraire, je l’incitais. Il avait presque 10 ans de plus que moi et il avait 63 ans lorsqu’il est parti en retraite.
Interviewer : Il a eu une maladie ?
Madame : Oui, il a eu un cancer du poumon. Je pense que ça a été l’un des premiers à avoir l’amiante.
Il a fumé tard, mais il s’était arrêté depuis longtemps.
Le cancer s’est vite déclaré. On était allés voir le docteur Longefé le 16 avril et il est mort le 8 mai.
Pour lui je dis tant mieux, mais pour moi ça a été brutal. Les enfants disent : « Papa ça a été l’une des premières victimes de l’amiante. » Il allait quelques fois sur les travaux, il a fait des essais.
Interviewer : Il partait combien de temps aux essais ?
Madame : Je pense qu’il partait 3 à 4 jours. C’était avant que l’on se marie. Après, il est resté à son bureau à dessiner.
Il faisait beaucoup d’heures supplémentaires. Entre 1950 et 1960, il venait manger le soir et il retournait au bureau jusqu’à 10 heures, 11 heures. Il y avait beaucoup de travail à ce moment là.
Interviewer : Ça lui faisait donc plus d’argent à ce moment là.
Madame : Oui, c’était agréable. Oui, les salaires n’étaient pas très importants quand même.
Je vous dis franchement, je n’ai jamais regardé les autres.
Interviewer : Qu’est-ce que vous auriez aimé ?
Madame : J’aurais aimé avoir mon atelier de couture, ça oui je l’ai regretté toute ma vie. Je ne voyais que de belles femmes, pourtant il y en aurait eu de tordues, de difficiles, moi je ne voyais que du beau, moi ma vie elle était belle. Finalement elle a été belle par ce que je lui ai apporté. Il ne me manquait rien : j’avais un bon mari, j’avais un bon salaire. Chez moi je voyais toujours ma mère calculer les frais. Tandis que moi, je savais tous les mois à peu près et je ne dépensais pas tout.
Interviewer : Mais quand même vous auriez aimé avoir un atelier de couture. Vous n’auriez pas aimé faire de la couture chez vous sinon ?
Madame : J’habillais ma sœur, j’habillais ma mère, j’habillais les cousines. Je faisais, mais pour rien. Je l’ai fait toute ma vie, je tricotais aussi.
Interviewer : Ça vous plaisait ?
Madame : Oui, je le faisais gratuitement. J’ai beaucoup donné dans ma vie. Ça a été un plaisir. La personne me le demandait, je savais qu’elle ne savait pas le faire, je le lui faisais.
Interviewer : Jamais on ne vous a donné un peu d’argent, ou autre chose ?
Madame : Non, de l’argent jamais. Non, on s’invitait, on allait manger au restaurant, on mangeait chez la personne.
Interviewer : Mais vous travailliez beaucoup pour les autres et en contre-partie vous ne demandiez rien ?
Madame : Vous me faites voir quelque chose que j’aurais dû voir. Non je ne voyais pas… J’étais heureuse finalement chez moi. Je sortais quand je voulais, je faisais ce que je voulais, je me faisais plaisir.
Interviewer : Et ça ne dérangeait pas votre mari que vous faisiez beaucoup de couture ?
Madame : Je n’en faisais pas tout le temps. Ma maison c’était ma maison. Je l’ai toujours aimée. J’aimais toujours y faire des petites modifications. Mon mari et mes enfants passaient en premier, il y avait aussi mes parents.
Interviewer : Sinon, vous ne vous intéressiez pas au monde extérieur ?
Madame : J’allais à l’église et le curé Chateminois avait envie de lever une personne que j’estimais beaucoup : Madame Hubert et son mari qui était ingénieur principal aux chantiers, donc de situation bien plus grande que la mienne. Ce monsieur Chateminois donc ce curé, il vient un jour et il me dit : « Madame, il faudrait que vous preniez la tête de l’action catholique ». Mais moi, je n’avais jamais fait ça et puis ça ne me disait rien. Tous les dimanches il venait, il venait,… Si bien qu’un jour, je lui ai dit « Bon, j’essaye ». Alors là, il a fallu aller à la chapelle de Notre-Dame de Bon voyage, il y avait le curé, moi et les trois vicaires et puis il y avait une dame qui était dans les scouts, dont j’ai perdu le nom.
Donc j’étais obligée de parler aux personnes, il y avait des vieilles filles, il y avait des personnes… Enfin, heureusement que le bon Dieu ne m’a pas fait timide.
Interviewer : Vous l’étiez au début, mais pas après ?
Madame : Oui, après c’est parti.
Interviewer : Donc, vous vous êtes occupée de l’action catholique ?
Madame : Pas longtemps, 2 ans. Parce que ces réunions se bornaient à me prendre un après-midi. Je partais, soit j’allais aux sers, soit j’allais à la chapelle, ou on allait à la rue Victor Clapier à Toulon. Alors, là je me trouvais avec des personnes desquelles je me disais c’est une damote, c’est-à-dire ces femmes d’officier que je ne pouvais pas trop me les voir, qui vous regardaient mal… La fraternité ne passait pas, il n’y avait pas la sympathie qui passait et je l’ai dit au curé.
J’ai dit : « Vous savez, monsieur le curé, moi je perds mon temps là.. » Entre temps j’étais quand même allée voir madame Hubert pour ne pas qu’elle croie que c’est moi qui lui ai pris sa place, quand même c’était une dame … Je me rappelle, elle avait toujours le nœud : le ruban autour du cou, elle était toujours bien. Moi remarque, à l’époque, j’étais toujours bien moi aussi, j’avais toujours des chapeaux, j’avais la voilette.
Interviewer : Et donc le curé vous avez laissé tomber ?
Madame : Oh ! j’ai laissé tomber. J’ai toujours été active moi. Ce n’est pas dans ces réunions où il faut faire ci, il faut faire là… Alors peut-être qu’elles me l’auraient fait faire à moi, mais moi je ne l’ai jamais fait et puis elles ne l’ont jamais fait, alors ça restait comme ça. Alors, moi des réunions comme ça je ne les aimais pas.
Interviewer : Et en dehors de l’action catholique, vous n’aviez pas d’autres activités ?
Madame : J’allais aux amis de La Seyne avec mademoiselle Naud. C’était des réunions, une fois par mois, à la salle l’Apollinaire. Il y avait monsieur Johanaud. Mademoiselle Naud faisait un voyage intéressant dans l’année : j’ai fait 2 fois le Mont St Michel. Je m’y suis cassé l’épaule. (Elle parle de toutes ses fractures.)
On a fait le Poitou Charente, on a fait la Normandie avec Mademoiselle Naud : les amis de La Seyne. Cette dame était intéressante, on sympathisait. Je faisais donc des voyages, il y avait des réunions, on faisait des conférences, j’aimais ça.
Interviewer : Vous êtes quand même sortie un peu de chez vous.
Madame : Oui, et avec les anciennes du boulevard de Tessier, les collégiennes de l’âge d’or. J’ai dit à Irène, la présidente : « Qu’est-ce que tu es allée chercher encore ? » Les collégiennes ça m’allait, mais de l’âge d’or ça ne me plaisait pas. Moi j’aurais préféré les anciennes de Tessier.
Interviewer : Alors, qu’est-ce que vous avez fait avec elles ?
Madame : On se réunissait tous les jeudis.
Interviewer : Ça a été à quelle époque ça ?
Madame : On a dû faire ça en 1954.
Interviewer : Donc, vous étiez mariée et vous aviez des enfants ?
Madame : J’étais vieille. J’étais déjà dans la catégorie des vieux.
Interviewer : Alors, qu’est-ce que vous faisiez ?
Madame : On se réunissait, c’était l’ambiance des collégiennes. On se reconnaissait, on évoquait l’école. On se réunissait au Mourillon.
Interviewer : Donc là, c’était l’époque où vous étiez mariée et où vous aviez déjà vos enfants ?
Madame : Oui, les enfants étaient mariés aussi, les petits enfants… Et j’avais ma petite-fille, car ma belle-fille voulait la mettre à la crèche et moi je ne voulais pas, donc c’est moi qui la gardais. Elle avait 12 mois et elle marchait à peine.
Le samedi et le dimanche, j’avais tous mes petits-enfants. J’ai été gâtée, mais aussi bien dans la joie que dans la peine.
Interviewer : La religion vous a aidée ?
Madame : Oui.
Interviewer : Vous allez encore, aujourd’hui, à la messe ?
Madame : Je ne peux pas.
Interviewer : Depuis le décès de votre mari, vous avez quand même fait des choses...
Madame : J’ai fait ce que je ne pouvais pas faire jeune. Vous voulez que je vous montre ?
Interviewer : Oui.
Madame : (Elle sort un papier et lit.) Cette jeune fille, je l’appelle Isabelle, elle était gaie, timide, travailleuse, elle avait passé son certificat d’études et a eu la chance, poussée par une cousine professeur dans un collège à Toulon, de continuer quatre années d’études.
Tous les matins vers 7h15, parfois avant, son amie Germaine passait la prendre et toutes les deux, elles prenaient l’autobus. Lorsqu’il lui arrivait d’être prête la première, c’était Isabelle qui allait chez Germaine et là, un jour dans la cour de l’atelier, chez son amie, Isabelle a eu le coup de foudre. Elle s’est trouvée face à face avec un beau jeune homme (ça je n’ai pas osé vous le dire, j’avais 16 ans). Il était grand, brun, mince avec un visage magnifique. Les regards se sont croisés. Il n’y a pas eu de paroles, mais la petite fille devenait la jeune fille.
Cette image du regard est restée longtemps. Si bien que dans l’autobus, quand elle rentrait à La Valette, Isabelle se plaçait vers la vitre pour croiser le tramway qui venait de La Valette. Et là, il y avait ce beau jeune homme qui lui aussi allait manger chez lui, les regards se croisaient.
Que l’image du regard va vite : une ou deux secondes, mais l’image était vue, fixée et on attendait le lendemain. On se contentait de ce moment qui était le moment de joie, mais il est arrivé que l’on ne se voie pas. Ces jours-là étaient en manque. Ces petites secondes, sur les 24 heures de la journée, ça n’était pas beaucoup, mais combien elles manquaient. Isabelle, tu te rappelles ces moments ? Ton cœur est heureux de les revivre, c’était le beau temps, celui où le vrai sentiment d’amour s’est réveillé. Il était le premier, le beau, tout a été beau à ce moment là.
Cette jeune fille sortait de sa famille. Elle découvrait la vie, la vraie, l’étude, le savoir, le savoir de beaucoup de choses, c’était l’apprentissage. Elle a appris à se coiffer et à s’habiller. Oh, pas avec des choses chères, mais elle transformait certains de ses vêtements… (Allez, je saute un peut là)…
Ma petite Isabelle, que ce réveil dans la vie a été dur. Tu as vécu repliée sur toi-même. Tu as caché tes sentiments qui étaient si beaux, alors que ta mère, qui s’était aperçue du changement d’attitude, te trouvait anormale. (Allez je passe, ma mère a été dure c’est pour cela que j’ai été large avec mes enfants. Je reviens à ce jeune homme).
Tu aimais sa voix. (Il travaillait dans un atelier mitoyen avec mon jardin alors, automatiquement, moi j’allais secouer le chiffon de la poussière et il me voyait sortir et moi j’essayais de le voir, mais je ne le voyais pas, mais je l’entendais chanter).
Ces petites violettes, tu les faisais offrir par ta dévouée Bourelli qui, elle, était ta confidente. Tu l’aimais comme ta grand-mère, cette employée de tes parents. Elle t’aimait aussi beaucoup. Elle portait sur vous trois l’affection de mère (parce qu’elle avait perdu ses deux enfants). Elle aussi entendait les airs chantés par ce personnage anonyme. Que de fois elle t’a dit ; « Qu’est-ce qu’il chante bien ce monsieur ! » Elle était contente de passer par-dessus le petit mur ces bouquets de violettes, mais elle ne se doutait pas de l’amour profond qui les faisait offrir. Cet amour qui se bornait à entendre une voix et à déchiffrer des chansons.
Et dire que ta mère trouvait mal-propre ce sentiment que tu découvrais.
Tu ne voyais que lui dans tes pensées. Il représentait tout pour toi, il était ton idéal. Ces conversations tu aimais les entendre. Tout à l’époque visait ce garçon… (Je passe un peu sinon je vous embête, je vais vous lire la fin)...
Après, il y a eu le certificat, puis le CAP. Il y a eu l’arrêt des études, plus de trajets Toulon-La Valette, plus de regards.
Tu as découvert une vie close, sans issue, monotone, ingrate, injuste par rapport à ta sœur qui, elle, ne faisait rien. (Ma sœur ne faisait rien, un verre elle ne le rinçait pas). Ne te rappelle pas ces vilaines choses, la vie paye finalement. Il y a eu le passage où il a fallu pour passer dans le tunnel vers la sortie. Cette sortie tu l’as trouvée avec ton caractère de battante, cette sorte de rêverie qui est ton être.
Je sais qu’il a été difficile d’assumer cette tâche d’employée de maison. (Oui, j’étais l’employée de maison).
Je te revois avec tes torchons blancs. (Je mettais des torchons en guise de tablier). Déjà tu avais un petit air hors du commun, tu aimais l’originalité. Oh, je te vois sourire en lisant cette phrase. Comme-si le port d’un tablier blanc donnait une originalité. Mais tu aimais le propre, le sans tâches, les fleurs dans la maison, les vases sur la terrasse, les jarres que tu avais peintes en jaune et bleu et que les joueurs de boules te cassaient et tu recommençais.
Ta vie a été un éternel recommencement. (Ça me plaît de relire ça, c’est vrai c’est un éternel recommencement la vie).
Cette force qui t’a dominée et qui t’a fait voir que tout s’acquiert, aucun bonheur n’arrive seul. (Ça je l’ai écrit d’un trait, je l’ai fait jusqu’à une heure du matin).
Ton bonheur, tu te l’es créé par de petites choses journalières.
Mais qu’il t’a été dur de vivre en jeune fille cloîtrée dans cette maison, sans issue. Comment as-tu fais ? Tu n’allais même plus au marché. Pourquoi ? Il ne fallait pas que tu parles à ce garçon. Il avait remarqué ton allure et tu lui plaisais. Lorsqu’il te voyait sortir au portail, il allait s’acheter des cigarettes. Comme ils sont rayonnants ces moments ! Toi aussi, ma pauvre Isabelle, tu l’avais remarqué et tu l’aimais, ton cœur battait si fort lorsque tu reconnaissais sa silhouette.
Il n’y avait pas de mal à faire ces 200 mètres environ, du village au portail. Il te prenait le couffin et tu trouvais ce geste si délicat. (Mon Dieu, l’époque elle a changé). Il te parlait bien. Il avait une façon de serrer ta main, comme jamais personne ne l’a plus fait.
Vous étiez deux timides dans ce monde qui se préparait à la drôle de guerre.
Chacun devait attendre de l’autre la déclaration qui aurait engagé la parole.
Vos cœurs n’ont pas eu besoin de paroles, eux s’étaient compris. Les yeux aussi parlaient seuls. Les tiens, Isabelle, étaient candides. Ils regardaient ce monde qui s’ouvrait et cette porte n’était pas belle.
A 17 ans, la vie parait longue et la jeune fille que tu étais partait avec un sentiment de brimade. Tu n’avais d’appui de personne. Même la fête du village, qui était une fête de familles puisque toutes se connaissaient, on t’empêchait d’y aller. Il ne fallait pas danser avec ce garçon. Isabelle, tu l’as compris beaucoup, beaucoup trop tard. Tu as fait de cet être si cher à ton cœur, quelqu’un de malheureux. (Ça je l’ai su après. C’est entre temps que mon mari est venu.)
Ce jeune homme t’aimait tendrement et toi aussi tu l’aimais.
Est-ce la vie, est-ce le destin qui vous ont séparés ? Il faut le croire. Juge-le ce destin qui a été si dur à l’époque, puisque tu ne mangeais plus. Mais remercie ton cœur d’avoir gardé cette flamme qui ressort plus belle, puisque avec cet amour tu retrouves la jeunesse. Cette jeunesse, on ne la vit qu’une fois. C’est elle qui vous marque à tout jamais des premiers sentiments du cœur et avec le tien qui est si sensible, revis-les ces moments merveilleux. Ils t’apportent l’évasion à ta solitude. Ils te rendent cet amour de cœur que tu as ressenti et que tu as donné finalement.
Allez, petite Isabelle, reprend courage, chante : le plus beau refrain de la vie c’est celui que l’on chante à 20 ans. Celui que jamais l’on oublie, jamais, jamais. Et tu revois, tu ressens et ça te fait tant de bien, puisque tu es jeune et que vous êtes beaux (Elle a fini de lire).
C’est immortalisé et je l’ai retrouvé 50 ans après. Il était marié. C’est en allant avec Marie-Claire. Le Curé Carlit... et mon mari était pratiquant avec Carlit, enfin il faisait les prières, il allait aux réunions, enfin bref. Et Carlit était...
Interviewer : Votre mari était plus pratiquant que vous ?
Madame : Beaucoup plus pratiquant que moi. Il me disait : « Tu te la fais ta religion. » Moi ce n’est pas de dire « Je vous salue Marie » ou « Mon Dieu, Mon Dieu » qui compte.
Moi je dis, d’abord il faut accepter ce que tu reçois. Il faut lutter contre le mal. Il faut lutter contre le malheur. Moi, je dis c’est ça la prière, c’est la vie.
Interviewer : Aux chantiers, il n’avait pas de relations avec les prêtres ouvriers ?
Madame : Si, mais alors ceux-là, moi, je ne les aimais pas. Pas du tout. D’abord ça me déboussolait parce qu’à mon époque, avec mon frère, on était jeunes, on allait se confesser et ça m’est resté et quand on allait se confesser… On avait 12 mois de différence, donc on était comme des jumeaux. On se disputait, on se bagarrait... On était confessés, on était sages, on ne se disputait jamais, donc ça donnait une force. La confession, ça vous donnait une force. Les prêtres ouvriers faisaient une confession où ils se confessaient tous ensemble. Mon mari les aimait parce que c’était plus près du Christ, c’était plus près...
Interviewer : Mais les prêtres ouvriers, c’était ceux qui travaillaient aux chantiers ?
Madame : Oui, il y avait un Jean-Pierre : Jean-Pierre Margié. Il y avait Francis, il y avait deux Michel.
Après, il y a eu l’abbé d’Orsasse. Je ne sais pas si vous l’avez connu… Michel l’adorait.
Interviewer : Et votre mari, à l’intérieur des chantiers, avec ces prêtres ouvriers, il avait des relations ?
Madame : Oui, il y allait, il avait des relations oui.
Interviewer : Qu’est-ce qu’ils faisaient ?
Madame : Ils faisaient des prières.