Accueil > Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer > Fille d'un soudeur et d'une employée des chantiers dès 1972
Qualité du son : bonne
Madame : [...] J’ai fait un an de maternelle, donc j’avais 5 ans. Après, je suis entrée à l’école primaire. Nous parlions très peu français, mais on s’est vite adaptés. Les souvenirs : le froid. C’est pas la même vie.
J’avais 6 ans, j’essaye de comparer avec mon impression au Sénégal y’a deux ans. C’était la première fois que j’y allais. C’est la chaleur qui m’a choquée. Je suis une européenne, j’ai rien de sénégalais. Je connais pas vraiment, à part ce que m’ont apporté mes parents. Ma sœur est arrivée à l’âge de 15 ans, elle aurait pu vous en dire plus, moi j’étais petite.
Interviewer : Arrivée en France, rencontre avec votre père, vous aviez grandi sans lui ?
Madame : Oui, ça se passait bien, ça c’est toujours bien passé. On était contents de retrouver notre père. Il nous manquait pas vraiment, on savait qu’il était en France pour que nous vivions dans de meilleurs conditions, pour la bonne cause.
Interviewer : Quelle image aviez-vous, petite, de son travail au chantier ?
Madame : Ça me plaisait? Toutes mes copines, les parents travaillaient au chantier. C’était rien de particulier. Pour moi c’était un homme normal, puisqu’il travaillait au chantier et ma mère aussi, toute la famille.
C’était très bien les chantiers. Petite j’aimais bien. Nous étions très gâtés par le comité d’entreprise. Noël c’était la grande fête, on choisissait les cadeaux. C’étaient de beaux cadeaux.
A chaque, je sais plus comment ça s’appelle, lorsque le bateau est terminé, le baptême, ils invitaient toute la famille et on allait visiter le bateau, on adorait ça, à chaque fois on demandait à mon père.
C’était pas donné à tout le monde de visiter de grands paquebots.
J’aimais bien moi les chantiers.
On avait un train de vie, on vivait très bien. On a manqué de rien. Jamais dans l’excès, mais un peu plus du minimum.
Nous on a une éducation sénégalaise. Mes parents ont pris ce qu’il y a de mieux dans chaque culture.
En ce qui concerne l’argent, éducation sénégalaise : pas de superflu, mais on va pas se priver de nourriture, de vêtements.
A l’école, les factures étaient toujours payées.
Interviewer : Vous n’avez pas vécu la difficulté de certains immigrés qui avaient du mal ?
Madame : Non, c’est à la fermeture des chantiers qu’on a senti un petit changement. Pour nos parents c’était pas évident. Travailler aux chantiers, c’était la planque, comme disaient les seynois, y’avait beaucoup d’avantages.
Interviewer : Vous étiez adolescente quand les chantiers ont fermé, comment vous l’avez vécu ?
Madame : Sur le coup je me suis dit c’est pas grave, papa va trouver autre chose. Mais quand j’ai vu qu’il est parti dans un métier différent, je me suis fait un peu de souci. Il a fallu qu’il fasse un stage, une école à Marseille, il était plus très jeune.
Ça a fermé y’a une dizaine d’années ? Y’a vingt ans ? Il a quel âge papa ? 66 ? Il avait 47 ans. Il était en pleine forme, mais il a pas fait beaucoup d’études, c’était pas évident.
Du souci je me suis pas beaucoup fait, il est débrouillard, mais pas évident.
Interviewer : Moins valorisant ?
Madame : Surtout qu’il a eu une période courte de chômage. Mon père était très actif, il avait peur de rester sans emploi, le chômage il l’a mal vécu, tout le monde l’a ressenti.
Ma mère a fait plus d’heures. Elle a compensé. Elle est passée à temps plein. Ils se sont soutenus.
Il a fait quelques aller-retours à Martigues, des remplacements pour la soudure. Il était seul là-bas, c’était un souci.
Madame : Moi j’habite à Toulon, parce que j’ai trouvé un appartement à Toulon. Sinon, je suis tous les jours à La Seyne. J’aime bien, ça me fait penser à un petit village. Je connais tout le monde, je me sens en sécurité.
A l’époque des chantiers, fête foraine, marché aux puces, les bars étaient ouverts, plein de commerces, ça bougeait, des gens venaient de Sanary !
Maintenant y’a plus que des seynois à La Seyne.
J’ai des copines qui habitaient à la cité. Elles sont parties à Paris. Ici y’a pas de travail, c’est trop triste.
Je me sens en sécurité, parce que c’est chez moi, La Seyne pour moi, j’y suis depuis que je suis petite, je sais pas, c’est peut-être les souvenirs qui font que j’aime toujours, parce que ce qu’elle est devenue , La Seyne, ça me plaît pas du tout. Parce que c’est bien joli qu’il y ait des parcs, Marépolis et compagnie, mais je veux dire, le seynois, ça lui apporte rien Marépolis, moi je le vois comme ça.
Interviewer : C’est quoi Marépolis ?
Madame : Ils ont fait un joli parc, immense, pas un abri. Moi, cet été, j’ai amené les petites, limite l’insolation, c’est du n’importe quoi avec des jolies fontaines, tout le monde y va, c’est beau. Alors qu’il y a des vieilles choses qui ont besoin d’êtres restaurées à La Seyne, c’est pas fait. Les vieilles rues, les vieux bâtiments, la rue d’Alsace où était mon père, je sais pas comment font les gens pour habiter là, ils louent assez cher. J’ai l’impression qu’on embellit plus vers les Sablettes, que le centre ville.
En fait, Marépolis c’est devenu l’ancien site des chantiers. Déjà ça m’énerve parce que c’est les chantiers, ils ont gardé la pendule, c’est beau d’accord, mais je préférerais que ça soit moins joli et que la ville revive. Personne le soir ne reste à La Seyne. Même pas un cinéma.
Les Sablettes c’est magnifique, c’est la station balnéaire, pour les touristes. J’y vais surtout l’hiver, l’été y’a beaucoup de monde.
C’est pas le centre ville.
Interviewer : Ça a créé du travail ?
Madame : Non c’est la plage. L’été oui avec la restauration.
Interviewer : Vous avez assisté à la destruction ?
Madame : Non. J’avais école. Il y a encore la grue sur le port.
Il y avait des manifestations, moi je m’y suis pas rendue. Si j’avais été plus âgée, peut-être.
En fait, je réalisais pas. Parce que moi je pense que même mon père, jusqu’au dernier moment, on pensait pas que ça allait fermer. On a dit c’est impossible, parce que si les chantiers ferment, La Seyne ne peut pas exister.
Mon père, ils lui ont proposé l’argent pour partir. Il l’a pris, mais je suis persuadée qu’il y croyait pas.
On n’avait pas besoin d’heure, tout le monde se repérait à la sonnerie des chantiers.
Interviewer : C’était impossible, mais c’est arrivé ?
Madame : Il faut être prévoyant, penser à tout, ne pas minimiser les choses. Je me disais si ça arrive on va pas survivre, on va tous finir SDF.
Y’en a plein qui sont partis dans la région parisienne, à Dunkerque, Saint-Nazaire. C’était très dur, le climat, ils sont redescendus pour la retraite.
Interviewer : Cette expérience vous a poussé à être prévoyante ?
Madame : Je me dis que rien n’est acquis, tout peut arriver.
Il pensaient pas. Pourtant, ça faisait un moment qu’ils parlaient de gaspillage, de gens qui abusaient de leur pouvoir, beaucoup de complaisance, des gens qui étaient en maladie pendant des années, comme tous les fonctionnaires, y’a des abus, c’est pas étranger à la perte des chantiers.
Interviewer : Pas des fonctionnaires ?
Madame : Non, mais assimilés, ils avaient tous les avantages. Pour nous c’était les fonctionnaires de La Seyne. J’ai appris y’a pas longtemps qu’ils n'étaient pas des fonctionnaires.
C’était un peu la vache à lait de La Seyne, les chantiers.
Interviewer : Pourtant c’était lourd, difficile...
Madame : Oui, y’a pas que des avantages, un ami de papa mort là bas, beaucoup de mauvais souvenirs, mais...
Madame : Moi, ça me rassurait d’avoir les chantiers à La Seyne, on va tous y travailler, on va tous finir là-bas.
Moi pas soudeur, mais avoir un boulot, faire une formation, à côté de papa et maman.
Mon père aurait travaillé là-bas jusqu’à la retraite. Papa était bien, on vivait bien.
Interviewer : Problèmes d’amiante ?
Madame : J’en connais pas mais dans les journaux ils en parlent. C’est horrible. Y’en a qui ont été indemnisés. [conversation avec Hélène sur l’amiante]
Interviewer : Votre mari ?
Hélène : Il a passé la visite. Ils ont dit y’a rien.
Angèle : Pendant deux ans, il est resté en pré-retraite, pour l’amiante.
Hélène : Pendant cinq ans !
Interviewer : Et vous, qu’est-ce que vous avez fait après les chantiers ?
Madame : Les études. Après j’ai eu ma fille. Puis j'ai repris une formation. Maintenant aide-soignante, intérimaire.
Interviewer : Regret de ne pas travailler aux chantiers ?
Madame : Oui, c’était à côté.
Interviewer : Vous imaginiez quel poste ?
Madame : Derrière un bureau, tranquille, secrétariat, pas de trop grosses responsabilités, pas trop fatiguant.
Les responsabilités j’aime pas.
Dans le médical, c’est différent. C’est pas comparable à ce que je voulais faire au départ. Je voulais basique, tranquille, quelques courriers à taper.
J’avais fait un stage, ça m’avait pas du tout plu finalement.
Fac de langues à Nice, aide-soignante c’est celui où j’ai été retenue. Au départ, je savais pas trop vers quoi je me lançais.
Je fais de l’intérim pour travailler mes cours et passer le concours d’infirmière.