Rechercher

Recherche avancée

Accueil > Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer > Femme de ménage sur les bateaux des chantiers dès 1967

Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer

Imprimer

Transcription : Femme de ménage sur les bateaux des chantiers dès 1967

Collecteur : Prestataire exterieur
Langue : Français

Qualité du son : bonne


L'immigration du Sénégal à La Seyne-sur-Mer Écouter cette séquence

Je suis à La Seyne depuis 1967, arrivée à 33 ans directement en bateau. Je viens de Dakar. Mon mari travaillait aux câbles sous-marins. Il a installé le câble de téléphone. On s'est mariés à Dakar. Quand je suis venue le rejoindre, j'avais déjà deux enfants. Je suis de Guinée-Bissau. Je parle le mandjak. Je suis de 1934. J'ai travaillé aussi pour nourrir mes enfants. Il fallait que je travaille. Avant, j'habitais à la cité Berthe. Mais j'habite en ville depuis 1988. J'ai déménagé en ville pour acheter avec un épargne logement. Maintenant, je suis propriétaire.


La Seyne en 1967, les femmes de ménage sur les bateaux Écouter cette séquence

En 1967, c'était bien La Seyne, il y avait du travail et pas de racisme. Maintenant, il n'y a pas de travail, le chantier a fermé. Avant avec 100 francs, on vivait 2 ou 3 semaines. Aujourd'hui je vais où c'est le moins cher, à ED, par exemple. J'ai travaillé aux chantiers avec la Samnet. Je nettoyais les bateaux et les HLM à Toulon, à La Seyne. Je nettoie aussi les bateaux qui vont en Corse. Tout ça dans la même journée. Aux chantiers, on travaillait quand les ouvriers sortaient, à 17h30. On lavait les bureaux, les coursives. On lavait les bateaux en construction. On était nombreux. Certains ne voulaient pas travailler la nuit. On était que des femmes, des arabes, et quelques françaises mais pas beaucoup. Avant la Samnet, je nettoyais des escaliers, 3h par jour. Mais c'était pas assez pour moi. Alors j'ai travaillé à la Samnet. Maintenant, je suis à la retraite, depuis 15 ans.


Les conditions de travail Écouter cette séquence

On travaillait sur les bateaux jusqu'à ce qu'ils ferment les chantiers. J'ai 6 enfants. J'ai adopté la fille de ma sœur qui est morte. Mes enfants n'ont pas travaillé aux chantiers. Après la fermeture, tout le monde est parti, à Saint-Nazaire par exemple. Avant, la cité Berthe était pleine, maintenant, y'a plus personne. Y'a plus rien ici. Moi, j'étais déjà à la retraite quand les chantiers ont fermé. Pour moi, c'était dur le travail de femme de ménage. Sur les bateaux, c'était un nettoyage difficile. On nettoyait la colle, la peinture. On grattait avec des produits toxiques, comme le white spirit. Certains ont été malades avec ces produits, ils ont eu des boutons, du coup ils ont arrêté rapidement. Moi je travaillais beaucoup pour nourrir mes enfants. Mais parfois le patron, il donnait la moitié de ce qu'on devait gagner. Il était pas gentil. Il faisait le malheur de ceux qui travaillaient pour lui. Il fallait noter tous les jours les heures qu'on faisait. Parfois il fallait aller discuter au bureau. On avait pas de prime de fin d'année et que la moitié des congés payés. On était tout seul. Les syndicats ne faisaient rien. Il fallait faire attention à qui on parlait. Le patron disait que si on n'était pas contents, on restait chez nous. Avec certains collègues, je m'entendais bien, on rigolait. Si tu rigoles, la journée passe plus vite.


Un travail dur, sénégalaise et seynoise Écouter cette séquence

Mon mari et moi on travaillait, chacun sa part. Avant, on n'était pas ensemble. Nous les sénégalais, on est différents. Je ne sais pas ce que les gens disent. Je sais juste que, pour moi, la vie était dure. Moi, je parle mal le français. Je l'ai appris au travail. J'ai travaillé partout dans le Var. Aujourd'hui, je souffre des genoux. Ils ont « morflé » avec mon travail. j'ai pas pu arrêter le travail. J'aime bien vivre à La Seyne, c'est ma maison ici. Dans mon cœur et ma tête, je suis sénégalaise et seynoise. Mes enfants aussi. Un habite à Montauban, il est dans l'armée. Un habite avec moi. J'ai 9 petits enfants, ils comprennent le mandjak mais ne le parlent pas. Moi, je suis catholique. Je vais à Sainte Rita tous les jours pour remercier le bon Dieu de m'avoir aidée dans ma vie. Ma vie est difficile. Enfant, j'étais heureuse. Mais après, j'ai été une femme malheureuse.La vie c'est comme ça.


Le logement et la profession des enfants Écouter cette séquence

J'habite au centre ville pour être tranquille. A Berthe, il y avait trop de bruit. A Berthe, c'est difficile avec les enfants. On peut pas élever les enfants là-bas. Il y a des délinquants. Ici c'est tranquille. Dans cette maison, les travaux ont été longs parce que je n'avais pas de sous. Ici, je ne connais pas bien mes voisins. Certains ne disent pas bonjour. Mes enfants ont fait l'école à La Seyne. Une de mes filles est infirmière, une est aide-soignante, un est caporal chef, un est technicien de matériel, un refait les façades et celui qui habite avec moi travaille à Auchan. Ils ont des bonnes situations. Je les vois souvent. Je vais souvent à Montauban voir mon fils militaire, parfois 2 ou 3 mois.


Le mari et l'arrivée en France Écouter cette séquence

[...] Je suis venue en 1967. Moi j'habitais sur un petit terrain dans Dakar à côté de mes parents. Je suis la deuxième femme de mon mari actuel. Moi j'ai eu un premier mari. J'aimais bien cet homme mais j'ai divorcé parce que j'ai perdu 3 enfants avec lui. Il est mort maintenant. Il était très gentil. Après je me suis mariée avec mon voisin, Marsandis. Il travaillait à Rouen. Après il a travaillé à La Seyne et moi je suis venue du Sénégal à ce moment là. Moi j'avais envie de venir parce que mes 2 enfants étaient toujours malades là-bas, ici ça allait mieux. Ils avaient 5 et 7 ans.


La traversée de Dakar à Marseille, le racisme à la Seyne Écouter cette séquence

Je suis venue en bateau de Dakar à Marseille en 7 jours. Il y avait beaucoup de monde. J'étais malade sur le bateau. C'était pas la même ambiance à Marseille. Ici je ne connaissais personne. Il y avait très peu d'africains à l'époque. Au début j'ai pas senti de racisme. Maintenant il y en a beaucoup. Pourtant il y a toutes les races ici. Il y a du racisme au niveau du travail. Quand j'ai acheté cette maison, ils ont dit : « Ah c'est des noirs qui habitent cette maison. » Moi je suis fière de ma peau. Mes enfants ont eu du mal à trouver du travail. Je ne voulais pas qu'ils fassent un travail aussi dur que le mien. Après 5 ans de chômage, ma fille a fait le concours d'infirmière à Paris. Moi j'ai gardé sa petite fille ici. Après une lettre à Mitterrand, elle a pu venir travailler ici.


Un travail difficile Écouter cette séquence

Quand on est africain, c'est difficile de trouver du travail. A la Samnet, c'était dur. Y'avait que des arabes et des noirs. Pour les français, c'était trop dur. Ils ne tenaient pas. Avant je ne faisais que 3h par jour. Ce n’était pas assez, je ne gagnais que 1 500 francs. Après j'ai travaillé 3 mois à Auchan, pour les ménages la nuit, de 21h à 6h du matin. Un jour, on se protégeait du vent à Auchan et le chef s'est fâché, alors je suis partie. Je travaille pour vivre pas pour mourir. Et puis l'ANPE m'a envoyée à la Samnet. J'ai travaillé là-bas jusqu'à la retraite. C'était un travail pénible et en plus y'avait des produits toxiques. C'est pour ça que je tousse maintenant. J'ai seulement été à l'hôpital pour accoucher.
[...] Une femme africaine a perdu son mari d'une maladie, juste après son arrivée ici. Moi je ne veux pas que mes enfants s'esquintent dans ce travail de ménage, toujours avec les seaux dans les escaliers. C'était un travail d'esclaves. Mes enfants travaillaient bien à l'école.


Le métissage Écouter cette séquence

Mes enfants sont mariés avec des blancs, des arabes mais je ne sais pas de quel pays. Je ne connais pas la famille de ma belle-fille, arabe. Je connais celle d'une autre belle-fille d'Algérie où il y a 12 enfants. C'est métissé chez nous. 


Exploitée par le travail Écouter cette séquence

[...] Peu de femmes veulent travailler aux chantiers. C'était très dur mais on n'était pas plus payées. Le patron, il arnaquait. J'ai travaillé sur les plateformes à Marseille. On travaillait sur les coursives, on frottait les cuivres. On partait à 3h du matin. Il nous faisait monter dans des paniers, comme des poissons. Un jour de vent, un homme est tombé en mer, personne n'a retrouvé le corps. On avait peur, peur. On nous payait pas le déplacement, ni les heures supplémentaires. Le fils du chef « gueulait » après son père. Mais le père n'a rien changé. Maintenant l'entreprise est fermée. Je travaillais autant dehors que dans les chantiers. Je prenais le travail qu'on me donnait, je ne choisissais pas. Je n'ai jamais été au chômage, j'ai été en pré-retraite. Maintenant je suis à la retraite. J'ai fini ce mois-ci de payer la maison. Je suis contente.