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Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer

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Transcription : Femme d'un tuyauteur puis technicien des chantiers de 1969 à 1986

Collecteur : Prestataire exterieur
Langue : Français

Qualité du son : bonne


L'entrée au chantier en 1969 Écouter cette séquence

Interviewer : Quel était votre lien avec les chantiers ?
Madame : Alors, mon lien affectif et professionnel par le biais de mon mari.

Interviewer : A quelle époque votre mari a-t-il travaillé au chantier ?
Madame : Alors, mon mari a travaillé au chantier de 1969, me semble t'il, à 1986.

Interviewer : Il a commencé à quelle époque ?
Madame : Il a commencé par faire un apprentissage c’est ça et ensuite il a continué à travailler dans ce bel établissement.

Interviewer : Il était tout jeune.
Madame : Il a fait son apprentissage, en fait, assez tard. Il n’était pas tout jeune. Il a commencé à 19 ans.

Interviewer : Et c’était une volonté particulière que de rentrer au chantier ?
Madame : Alors, la volonté particulière, ça veut dire quoi ?

Interviewer : C’était un objectif pour lui de travailler au chantier au niveau professionnel ?
Madame : L’objectif à l’époque, donc on va se remettre dans la situation de l’époque. Il y avait une culture chantier, il y avait une histoire chantier, il y avait une sécurité chantier. Ça, c’était avant qu’on parle de changer sept fois de profession dans sa vie. Quelqu’un qui allait au chantier devait y rester.

Interviewer : C’était quelque chose de très positif que de rentrer au chantier à cette époque ?
Madame : Rentrer au chantier, est-ce que c’était positif ? Je n’en sais rien. Nous on ne l’a pas vécu comme ça. Vraiment quand je dis culturel, ça veut dire qu’on se posait pas la question. C’est un peu comme la sidérurgie ou je dirais le textile. Quand je dis c’est culturel, c’est ancré dans l’histoire, c’est ancré dans les mœurs. Ça fait partie d’un parcours quasi naturel.


Une famille seynoise, la volonté de rentrer au chantier Écouter cette séquence

Interviewer : Votre date de naissance ?
Madame : Alors, 25 juillet 1950.

Interviewer : Votre famille est seynoise depuis longtemps ?
Madame : Ma maman est seynoise. Mon papa est basque. Il était basque, puisqu’il est décédé.

Interviewer : Votre papa n’a pas eu de lien direct avec les chantiers ?
Madame : Non, jamais, dans ma famille paternelle et maternelle, non.

Interviewer : Donc vous connaissez les chantiers par le biais de votre mari ?
Madame : Uniquement. Parce que moi je n’y ai jamais travaillé non plus.

Interviewer : Quand avez-vous rencontré votre mari ?
Madame : J’ai connu mon mari un an avant son arrivée au chantier. A l’époque, il travaillait dans le bâtiment. Travailler au chantier, c’était quelque chose de pérenne et c’est vraiment une représentation qui n’existe plus aujourd’hui, en terme de pérennité, d’évolution de travail.

Interviewer : Si je comprends bien, il avait déjà une place sur le marché du travail.
Madame : Oui, oui, il avait déjà une place, mais il a préféré partir. Donc il a passé son examen et il est rentré mais je ne sais pas comment ça s’est passé. Il a passé un entretien, son CAP et puis voilà au bout de six mois,...


Le métier de tuyauteur et de technicien Écouter cette séquence

Interviewer : Que faisait votre mari au chantier ?
Madame : Mon mari a eu deux postes au chantier. Il est rentré dans un premier temps à la tuyauterie. Il est resté très peu. Il est resté peut-être six ans et ensuite il est passé au bureau des méthodes.

Interviewer : Quel poste occupait-il ?
Madame : Technicien.

Interviewer : Vous pouvez me parler un peu de son travail ?
Madame : Lequel ?

Interviewer : Les deux.
Madame : Alors, je vais avoir du mal à parler de son travail. Quand c’était la tuyauterie, il soudait des tuyaux de bateaux de différentes grosseurs. Ce que je sais, c’est que le travail a évolué de la façon suivante : à un moment, ils ont travaillé sur ce qu’on appelle des plans iso. Travailler sur les plans iso, c’était une première phase d’évolution technologique. Il fallait qu’il devine à partir de deux cotes, qu’il déduise la troisième cote, par exemple.
Alors, ça veut dire qu’il y avait un travail d’abstraction et c’est important parce que certains n’y arrivaient pas.
Il est parti ensuite au bureau des méthodes. Il travaillait sur tout ce qui était attribution de temps de travail à partir de plans, mais toujours à la tuyauterie. A partir d’un travail à faire, il déterminait les plans, les matériels. Il attribuait les plans des différentes équipes, c’est-à-dire qu’il avait pour tâches d’imaginer le temps qu’il faudrait.
Ensuite, il a travaillé directement avec un ingénieur principal. Il s’occupait de la réfection des frégates, des corvettes. Ça, c’est avant qu’il parte. Il y avait des frégates à l’ancienne place des Mouissèques, peu avant l’IPFM. Il était chargé de leur réparation de A à Z et de voir le temps que ça prenait, qui allait le faire.
Il travaillait directement avec l’ingénieur.


La démission et les premiers licenciements Écouter cette séquence

Interviewer : Il avait un statut cadre ?
Madame : Non, il allait le devenir.

Interviewer : Alors, vous disiez qu’il allait devenir cadre ?
Madame : Il serait certainement devenu cadre, ça c’est sûr, dans les années à venir, oui. Il était en bonne évolution.

Interviewer : On était en 88 ?
Madame : Non, 85, 86 parce qu’il est parti en 86.

Interviewer : Et les chantiers ont fermé…
Madame : Les chantiers ont fermé en 88, 89. Il a dû partir deux années avant. Un an ou deux avant. Oui, il est parti un an ou deux avant, de lui-même.

Interviewer : Pour quelle raison ?
Madame : Pour quelle raison ? Pour parler très franchement, il a été très choqué des licenciements, de la façon dont certains de ses copains ont été licenciés, de la façon dont ils ont été traités. Donc il s’est dit « Moi on ne me mettra pas dehors, je partirai avant ». Voilà, tout simplement. C’était de la fierté je pense, beaucoup de fierté.

Interviewer : Vous pouvez en dire un peu plus par rapport au traitement des licenciements ?
Madame : J’ai entendu dire que les premiers licenciés, en tout cas, ont eu des lettres apportées par les huissiers, paraît-il. Un dimanche matin et ça il l'a trouvé vraiment dégueulasse. Voilà.
Je crois que par solidarité avec certains de ses copains, il a souhaité partir. Il a été très perturbé par le départ de certains et ça il ne l’a pas accepté.
Quand il est parti, on lui a refusé sa démission, donc, lui, il s’est battu pour partir. Quand il est parti, on l’a appelé un soir à 20 heures à la maison. On lui a dit «  Monsieur C., vous voulez démissionner et nous on refuse votre démission, donc on vous garde ». On lui a dit qu’on le garderait, qu’il serait le dernier à partir, qu’il serait très bien reclassé. Il a tout refusé parce qu’il a dit moi j’ai des valeurs et le traitement que vous faites, moi je ne l’accepte pas et je ne crois plus en vous. Je veux partir ». Et il est parti. Voilà comment ça s’est passé.
La cause de sa démission, elle a plusieurs aspects. Premièrement, il n’avait plus confiance. Il savait que les chantiers fermeraient. Deuxièmement, il a été très choqué de voir combien certains de ses copains ont été traités. Troisièmement, il n’avait plus confiance et il leur a dit. On lui avait promis qu’il resterait. Il a dit « Moi je n’ai plus confiance » et voilà comment ça s’est passé.


Convaincu de la fermeture prochaine des chantiers Écouter cette séquence

Interviewer : Quand vous dites « Il savait que les chantiers allaient fermer.. »
Madame : A l’époque, il y avait toujours certains qui donnaient quelques espoirs. Il y avait toujours ce côté très politique de certaines personnes qui disaient « Vous verrez on va vous défendre ».
Lui, à un moment donné, il a analysé la situation. Il a dit non « Les chantiers fermeront, ça va fermer dans un an, dans deux ans, dans trois ans, mais ça va fermer ». C’est-à-dire que, très tôt, il n’y a plus cru.

Interviewer : Il était le seul ?
Madame : Non, je ne pense pas, non, je ne crois pas. Par contre, dans les bureaux, c’était un des rares à faire les manifs. Il y avait une dissociation entre la vie un peu intellectuelle et le travail un peu manuel qu’il avait connu.
Et c’est vrai que, dans les bureaux, il était souvent un des rares à partir manifester… parce que dans les bureaux, ils se croyaient un peu au-dessus de… au début en tout cas. Donc c’était marrant à voir… en fait ce n’était pas marrant parce que, quand il m’en parlait, il n’était pas content.

Interviewer : Donc il y avait un clivage entre… ?
Madame : Ce n’est pas qu’il y avait un clivage. C’est que, quelque part, les personnes qui étaient dans les bureaux se sentaient peut-être un peu plus protégées, mieux considérées entre guillemets que les gens dans les ateliers et c’était vrai. Moi, je me souviens que quand il y avait des grèves, il râlait parce que c’était un des rares à sortir. Un des rares. Il y avait quelques-uns qui sortaient mais pas tellement.

Interviewer : « Ils se sentaient plus protégés », pour quelle raison ?
Madame : Non, non, ce n’était pas lui, c’était les gens. Pourquoi ils se sentaient plus protégés, moi je n’en sais rien parce que je ne leur ai jamais parlé. Je pense qu’ils se sentaient protégés parce qu’il y avait quelques années, quand on analyse la situation économique, les cadres, les techniciens ou les gens des bureaux se sont longtemps sentis protégés par rapport aux ouvriers, tout simplement. Et je pense que, là aussi, il y avait une culture d’un travail qui ne partirait pas. Maintenant ça n’existe plus, mais quand on se met dans un contexte d’il y a quinze ans ou vingt ans, c’était ça.

Interviewer : Est-ce qu’il y avait des raisons objectives ?
Madame : Objectives, je n’en sais rien. C’est vrai qu’il y a quelques années, on licenciait plus facilement les ouvriers que les cadres parce qu’il y avait un climat, une façon de manager différente qui n’existe plus aujourd’hui. Ça, c’est vraiment mon analyse.


Les manifestations, les promotions et l'évolution professionnelle Écouter cette séquence

Interviewer : Alors, si on revenait au parcours de votre mari. Vous avez dit que son troisième poste était le plus intéressant…
Madame : Oui, parce que c’était un travail où des chefs d’armement n’étaient pas parvenus, avaient quelques difficultés. C’était assez ardu et l’ingénieur en chef était très sévère et ça s’est bien passé. Pour quelle raison, je n’en sais rien, mais il tenait à le garder… et pourtant il faisait les grèves. Et pourtant il me racontait que, parfois, il était au rapport avec lui. Tous les jours, il faisait son rapport et il me disait « J’entendais la corne sonner pour débrayer, je sortais » et il lui disait « Alors petit qu’est-ce que tu fais ? », « Monsieur je vais défendre mon pain ». Et puis, il l’a toujours fait et il ne lui en a pas voulu.

Interviewer : On n’avait pas peur au chantier de faire des grèves ?
Madame : Peur non. Mais on ne peut pas dire que c’était toujours bien vu que certains sortent.
Peur non, parce qu’il n’y avait pas de risque comme maintenant mais bon…. Parfois il avait quelques soucis. Il y en a qui n’aimaient pas trop que certains fassent grève.

Interviewer : Quels soucis par exemple ?
Madame : Au début au niveau des promotions, il était assez embêté. Il n’a pas toujours eu des promotions faciles.
Et puis après bon… Je pense qu’il s’est imposé parce que c’était quelqu’un qui ne manquait jamais, qui bossait beaucoup et qui était compétent. Donc à un moment donné, ça s’est fait on va dire.

Interviewer : Comment se faisaient les promotions ?
Madame : Franchement, je ne sais pas. Je pense qu’une promo devait se faire sur proposition du responsable.

Interviewer : Ils avaient des notations ?
Madame : J’en n’ai jamais vu. Je n’ai jamais vu des fiches de notation. La notation, c’était plutôt l’administration parce que moi j’y ai travaillé, j’étais notée. Au chantier, je ne crois pas. En tout cas, je n’en ai jamais vu, je n’ai jamais eu connaissance de notation annuelle, ni d’entretien. Ça n’existait pas à l’époque.

Interviewer : Comment s’est faite l’évolution professionnelle de votre mari ?
Madame : A la tuyauterie, il est passé P1, P2, P3, OHQ. Après il a postulé pour aller au bureau des méthodes et il a eu le poste. Et après, au bureau des méthodes, je ne sais pas comment… Au niveau des corvettes, je crois qu’on lui a proposé le poste. Il ne l’a pas demandé en fait. Il a essayé et puis ça s’est bien passé. Mais, en fait, il n’a pas tenu longtemps. Il est resté un an, un an et demi puisqu’il est parti après.

Interviewer : Pour évoluer, prenait-on en compte la qualification, la formation ou alors c’était par piston ?
Madame : Par piston, certainement pas. Alors là, certainement pas, c’est sûr. Par qualification, j’ose l’espérer. En tout cas oui, c’est vrai, le fait d’arriver à lire les plans iso, c’était quelque chose d’intéressant pour lui. En plus, certains n’y arrivaient pas. Et ensuite le fait de passer dans les bureaux, je ne sais pas. Il a postulé, il a eu le poste. Je ne lui ai pas demandé comment.


Les formations et les compétences professionnelles Écouter cette séquence

Interviewer : Alors, vous m’avez parlé d’apprentissage tout à l’heure. Quelle formation avait votre mari ?
Madame : Alors, pour la tuyauterie, il avait un CAP en plomberie.

Interviewer : Et au fur et à mesure du temps, est-ce qu’il a bénéficié de formations continues par le biais des chantiers ?
Madame : La formation continue avec les chantiers, il en a fait au début. Il a beaucoup appris, ensuite, sur le tas quand il est passé au bureau des méthodes.
Il s’est beaucoup formé au niveau des plans, au niveau de la lecture des plans. Je suis en train de réaliser que la lecture des plans, ça a du l’aider pour aller au bureau des méthodes. Oui effectivement, c’est ça.

Interviewer : Donc en terme de compétences ?
Madame : En terme de savoirs, de compétences, oui, d’évolution. Je pense que le fait d’avoir travaillé sur les plans, de réussir à bien les décoder, de bien les analyser, de faire un bon boulot au niveau des méthodes pour l’affectation des heures, je crois que c’est ça qui lui a permis, peut-être, de passer à la réparation des frégates.
Il fallait voir ce qui n’allait pas. Il fallait diagnostiquer ce qui n’allait pas. Il fallait à peu près imaginer le temps qu’il faudrait pour réparer le matériel et qui le ferait et chiffrer.
Donc, je pense que ça a à voir, à un moment donné peut-être, avec la lecture des plans, la connaissance du matériel, connaître le nombre d’heures, le nombre d’équipes. C’était des opportunités. Il faut savoir qu’il y avait 6000 salariés à l’époque. Donc la promotion, elle était quand même assez fréquente, on va dire. On pouvait évoluer en tout cas.

Interviewer : Il y a eu beaucoup de ses amis du chantier qui ont évolué ?
Madame : Il a eu des copains qui sont passés chefs d’équipe, d’autres qui sont passés contremaîtres et puis d’autres qui ont stagné.

Interviewer : Tout ça, toujours du fait des compétences ?
Madame : Je ne sais pas. Je ne peux pas dire. Je pense que certains voulaient évoluer, d’autres pas. Certains se trouvaient bien dans leur poste. Il y a des personnes qui peuvent craindre de changer de poste complètement. Je dirais que partir d’un atelier, passer au niveau des bureaux des méthodes, c’est peut-être différent, un boulot différent peut-être que certains peuvent craindre. Non, il y en a qui ont évolué bien sûr.

Interviewer : Vous dites ça par rapport à des témoignages ?
Madame : Je dis ça par rapport à certains qui se trouvaient bien dans les ateliers, qui voulaient y rester parce qu’ils aimaient bien leur boulot. Mais après, les autres, je ne sais pas, je ne peux pas dire. Moi, les copains de mon mari, je ne les ai pas trop contactés, donc je ne leur posais pas ces questions à l’époque.


Les amis des chantiers et les reconversions Écouter cette séquence

Interviewer : Votre mari avait-il des copains d’ateliers, vous m’avez dit que oui ?
Madame : Il en avait oui. Il les voit toujours. Ils se réunissent une fois par an, pour certains, lors d’un repas.

Interviewer : Ce sont des copains intimes de votre mari ?
Madame : Intimes, non. Il les voit une fois par an. Ils ne sont pas trop intimes. Parmi les copains qu’il revoit, je pense qu’il a gardé des liens avec les copains d’atelier. Puisque quand il fait des repas, c’est des repas avec les anciens de l’atelier. Je crois qu’il a gardé un peu plus d’affinités avec eux quand même que ceux des bureaux.

Interviewer : Pourquoi ?
Madame : Je pense que là-haut, très franchement, ce qu’il n’a pas trop apprécié c’est le fait qu’ils ne défendent pas leur bifteck quand le chantier a été menacé et qu’ils ne bougeaient pas.
La plupart, pas tous, faut pas exagérer, mais certains au début parce qu’après ils ont compris qu’ils allaient… Mais au début il était fou de voir cette inertie. En tout cas, dans son secteur à lui parce qu’il y en avait énormément de bureaux. Dans son secteur à lui, il y en avait très peu qui sortaient et il enrageait, c’est le cas de le dire.

Interviewer : Et ces amis ont commencé pareil, ils ont fait leur carrière au chantier ?
Madame : Leur carrière et bien, ça veut dire quoi ?

Interviewer : Ça veut dire, ils sont rentrés à quel âge ?
Madame : Je ne sais pas. Par contre, ils sont sortis à peu près tous en même temps. Certains, lorsque mon mari est entré, y étaient déjà, d’autres sont rentrés après. C’est donc une partie de leur carrière, mais tous étaient engagés pour faire leur carrière, on va dire, c’est différent.

Interviewer : Ils sont partis en même temps… ?
Madame : Bien, à peu près. Certains sont partis avant d’autres. Il y en a qui sont partis, d’autres ont été reclassés à la DCN, un je sais maintenant est conducteur de bus, l’autre est à la retraite, d’autres sont au RMI et ils rament.

Interviewer : C’est courant d’après vous ?
Madame : Que certains sont restés au RMI, oui, c’est courant. Il y en a eu qui sont restés sur le carreau, oui…

Interviewer : Pour quelle raison à votre avis ?
Madame : Pour quelle raison ? Je n’en sais rien. Je pense que ce sont des gens qui n’ont peut-être pas eu la chance d’être bien suivis, encore qu’il y avait une cellule de reconversion.
Il y a eu plusieurs choses. Il y a eu des gens qui ont eu un capital, c’est le cas de mon mari, qui s’en sont servi et qui s’en sont sorti, c’est son cas.
Nous à l’époque, on travaillait tous les deux. On a toujours eu deux salaires.
Le fait d’avoir eu un capital, moi, ça ne m’a pas tourné la tête. Ce capital, c’était pour qu’il se trouve un emploi. C’était pour qu’il se trouve un job et c’est ce qu’il a fait.
Je crois que certains n’avaient qu’un salaire et le capital, ils ont dû penser que c’était beaucoup d’argent. Ils ont dû, peut-être, le dépenser trop vite. Ils ont acheté des voitures et après ils n’ont pas eu d’aide pour retrouver un emploi. Certains ont opté pour la cellule de reconversion. Je pense que ceux là étaient mieux encadrés pour chercher un emploi. Certains étaient peut-être plus fragiles que d’autres psychologiquement et ils se sont écroulés.
Et je pense qu’une ville qui est sinistrée, qui perd tous ces ouvriers en quelques années, je pense que reclasser 6000 personnes, ce n’est pas facile. Il y a de ça aussi. Il fallait reclasser 6000 personnes et il y en a qui n’ont pas trouvé.
Il y en a qui ont bien réussi, puisqu’il y en a qui ont créé des entreprises et puis, peut-être les moins outillés psychologiquement, ils n’y sont pas arrivés. Je pense qu’il y a de ça aussi. Il y a eu trop de monde à un moment donné qui s’est agglutiné sur l’emploi.

Interviewer : Et concernant les copains de votre mari, est-ce qu’ils leur arrive de parler des chantiers ?
Madame : Je ne sais pas. Je ne leur pose pas la question. Je n’en sais absolument rien. Lorsqu’ils se retrouvent, peut-être qu’ils en parlent des chantiers. Mon mari a des copains, il les rencontre au foot, ils se voient au foot tous les quinze jours. Il y en a deux, trois. Je ne sais pas s’ils parlent encore des chantiers. Je n’en suis pas sure.


La fin des chantiers Écouter cette séquence

Interviewer : Comment, lui, a vécu la fin des chantiers ?
Madame : Comment il l’a vécue ?… Sur quel point de vue ? Moral ? Et bien, c’est une ville qui perd son âme tout simplement et qui perd son identité, d’où beaucoup de difficultés à reconstruire l’âme et l’identité et d’où l’envie, peut-être, de faire disparaître l’histoire, comme je l’ai dit la dernière fois.
Et on a rasé. On a rasé la Rotonde, on a rasé la cantine, on a rasé plein de choses. Pour moi, ce n’est pas normal. Une ville qui a perdu son identité, tout simplement. Ses repères, ses valeurs, sa culture, qui a perdu beaucoup de choses et qui est en train de tout reconstruire.

Interviewer : Ses repères ?
Madame : Ses repères, ses repères professionnels. Son histoire, plein de choses. Ça faisait partie de l’histoire de la ville, les chantiers. Donc, quand je parle de repères, c’est des repères culturels, identitaires, professionnels.

Interviewer : Et ses valeurs ?
Madame : Et ses valeurs, c’est la valeur ouvrière de la ville et puis en terme de valeurs, c’était avoir un patrimoine, avoir une compétence, avoir une spécificité qui saute du jour au lendemain.

Interviewer : Une spécificité ?
Madame : Une spécificité et bien c’est la navale. Ça saute. C’est-à-dire La Seyne, c’est quoi ? Quelque part, on peut dire ça. Il y a des villes, Toulon, c’est la DCN. Cholet, ça va être autre chose, je ne sais pas moi. Les Vosges, c’est le linge. Le nord, c’est les mines. C’est quand même une spécificité, c’est une identité, ça saute. On peut dire, c’est quoi ? Qu’est-ce qui vient après ? Donc c’est le point d’interrogation. Ce n’est pas métaphysique, mais presque.


La Seyne avant la fermeture des chantiers Écouter cette séquence

Interviewer : Comment était la vie à La Seyne avant cette fermeture ?
Madame : Et bien, moi, je trouvais ça sympa. Il faut quand même se replacer dans un contexte. Quand quelque chose existe, on ne se pose pas la question « C’est bien, c’est mal ? ». On le vit. On le vit et on est dans une situation pérenne. C’est comme quand on est marié, on ne pense pas au divorce. On est dans l’accoutumance, on ne se dit pas « C’est bien, c’est mal ». On entend sonner, on voit les ouvriers passer. Il y a les fêtes de La Seyne, tout le monde se trimbale sur le port. C’est joyeux. Moi, je ne pense pas qu’il y avait de la misère tant que ça, comme certains le disent. Une ville ouvrière pas riche, certes, mais gens qui vivent et qui ne sont pas là à faire la manche.
On vit dans le quotidien, avec ces chantiers qui font travailler du monde et on sait qu’à midi et bien, ce sera encombré parce qu’il y a les chantiers qui sortent. On sait qu’à une heure et quart, ça sonne parce qu’ils rentrent. Voilà, on est rythmé un peu par rapport à ça. Et puis du jour au lendemain, je trouve que c’est le néant, c’est le désordre. Ça change fondamentalement sa vie qu’on soit dedans, qu’on soit dehors, ça change sa vie.

Interviewer : Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?
Madame : Alors moi, disons que je ne suis pas passée à côté, loin de là. Mais, à l’époque, j’avais repris mes études. J’étais à la fac et j’étais toujours sur Aix. Je l’ai donc vécu à travers mon mari, à travers ses batailles. Parce que, quand il partait, qu’il montait à Paris, je l’accompagnais. Enfin, je l’accompagnais jusqu’au bus pour Paris. Mais je veux dire que j’étais moins dans la ville à l’époque.
J’ai repris mes études en 85. J’ai vu la ville, je la voyais la ville, le samedi, qui devenait triste. Et puis, en plus, je suis excentrée. Moi, je parle quand j’étais au centre ville, que j’y habitais, que j’entendais le chantier qui sonnait.
Pour moi, ça a changé quand même que mon mari ait perdu son emploi, que l’on avait de la tristesse, qu’on ne parlait plus des chantiers, que quand il descendait, il ne passait plus du tout devant les chantiers. Il ne voulait plus les voir. Et moi j’évitais de descendre. Pendant des années, je ne voulais pas voir ma ville. Ça me faisait mal au cœur.
Après, on se réadapte bien sur aux choses. On s’y fait. Je ne peux pas dire que maintenant j’ai une grande blessure puisque l’on va promener sur l’ancien chantier et on y va sans problème, sans difficulté. Mais quand on se promène, on dit là il y avait ça, là, il y avait ça, tout le temps.
Donc, ce que ça change, ça change que des repères sautent. Je veux dire des repères, une pérennité, une stabilité. Enfin, je ne sais pas moi, c’est du changement qui arrive.
Quand il y a eu les accords d’Avignon qui préconisaient un seul site naval par mer. C’était avant qu’il y ait tous ces licenciements. Là, mon mari a commencé par me dire « Ça craint car si on garde un port par mer, il y en a un qui saute ». Lui, il a été très méfiant, dès le départ déjà. C’est une volonté politique quelque part. Il s’est dit « Ça craint. Les chantiers, s’ils ne sont pas retenus, ils ferment » et il ne s’est pas trompé.

Interviewer : C’était en quelle année ?
Madame : Je ne sais plus. C’était dans les années début 80, je pense. Donc, il commençait déjà à se dire « Ce n’est pas bon » dans les années 80/82. Il commençait par se poser pas mal de questions et il dit toujours « Je crois que ce sont ces accords d’Avignon. Ce sont ces accords qui ont… ». Disons que les chantiers, ce n’est pas une crise. D’après lui, c’est une volonté politique.

Interviewer : Vous avez également connu les chantiers avant votre mari, puisque vous habitiez à La Seyne centre.
Madame : Oui, mais pareil. Moi, je n’avais personne qui y travaillait. Donc, culturellement, ni mon père ni ma mère, ni ma famille proche, personne. Donc, je n’étais pas imprégnée des chantiers.
Moi, j’étais imprégnée de la vie de La Seyne. La corne, ils rentrent, ils sortent. Voilà. La Seyne, on construit des bateaux.

Interviewer : Et ce que vous vous souvenez du rythme de La Seyne pendant votre enfance ?
Madame : Moi, je trouve que c’était gai. J’ai des très bons souvenirs.
Je me souviens d’un marché qui était plein de monde, noir de monde. Qui faisait dix fois celui qui est là.
J’ai souvenir de fêtes superbes, de fêtes foraines, de gens heureux.
Maintenant, peut-être à tort, parce que quand on a huit, neuf ans… J’ai un souvenir d’une ville qui vivait bien.

Interviewer : Pendant votre enfance et pendant les années chantier ?
Madame : Oui, oui.


Les fêtes à La Seyne Écouter cette séquence

Interviewer : Quelles étaient les festivités à La Seyne ?
Madame : Il y avait les fêtes de l’été, du mois de juillet, les feux d’artifice, les chanteurs, les manèges, la foire. Il y avait toutes les festivités qui étaient recentrées sur le port. C’était sympa. Il y avait la retraite aux flambeaux. Moi, je trouvais ça sympa. Il y avait des grands marchés. C’était bien, c’était gai. Moi, je trouve que la fin des chantiers a été de pair avec l’ouverture des grandes surfaces. Ça a énormément excentré la population.
A l’époque on se retrouvait sur les marchés. Maintenant, je descends, je ne connais personne.
Donc c’était un lieu convivial, de paroles, d’échanges, tout le monde se connaissait.
Je me rappelle, je faisais le marché avec ma mère. Elle connaissait tout le monde. Elle s’arrêtait toutes les trois secondes pour parler parce qu’on faisait nos courses dans la ville… et les chantiers étaient là.
Et, du jour au lendemain, les grandes surfaces arrivent. Les chantiers partent. Je veux dire, il y a un changement, un changement et bien que toutes les villes connaissent… donc tout est allé en même temps. Enfin, moi, je me suis habituée, ça y est. Mais je pense que ça a pu être dur pour beaucoup de personnes.

Interviewer : Et vous vous retrouvez finalement dans la rue de votre enfance ?
Madame : Ah dans mon travail, oui. Je suis partie d’ici il y a six ans, c’est rigolo, c’est pas mal, c’est vrai.

Interviewer : Cette rue a-t-elle changé ?
Madame : C’était entre guillemets mieux fréquenté, on va dire...


La vie syndicale Écouter cette séquence

Interviewer : Votre mari avait-il des engagements politiques ?
Madame : Syndicaux, oui.

Interviewer : Pouvez-vous m’en parler ?
Madame : Il a adhéré à un syndicat, un syndicat des chantiers. Il était à la CGT.

Interviewer : Quand a-t-il adhéré ?
Madame : Je crois de suite, dans les mois qui ont suivi son entrée au chantier.

Interviewer : Quelle était sa volonté ?
Madame : Sa volonté ? Je pense que c’était de faire avancer les ouvriers. C’est un idéal de gauche. Il y a toujours des acquis à avoir.

Interviewer : Il a donc adhéré à 19 ans, quand il est entré au chantier ?
Madame : Oh oui.

Interviewer : Et ce pouvoir syndical, apparemment, était assez fort.
Madame : Oui, le pouvoir syndical était fort au chantier. Et, dans ces années là, il y avait un pouvoir syndical qui était fort partout. Je me rappelle, je travaillais, il y avait des syndicats et il y avait une culture syndicale dans toute la France. Ce qui a beaucoup changé depuis. Mais, au chantier, c’est vrai qu’il y avait une culture syndicale forte.

Interviewer : Ça voulait dire quoi la culture syndicale ?
Madame : Pour mon mari… et bien j’aurais du mal à parler à sa place. Je pense que dans le syndicat, il y a une notion de solidarité, certainement pas de corporatisme. Lorsqu’il a vu les chantiers en 81, 82, il s’est dit qu’il y avait un gros souci, alors que la gauche était passée. Il s’est dit que les chantiers allaient péricliter.
Je me rappellerai toujours qu’il est allé voir son syndicat et il leur a dit « il faut que l’on se manifeste. Il faut qu’on bouge » et ils ont refusé parce qu’il y avait la gauche qui était passée. Ils ne l’ont pas écouté et il leur en a voulu parce que pour lui l’engagement syndical, ce n’est pas un parti politique, ce n’est pas une gauche, ce n’est pas une droite, c’est une ligne de conduite. Le syndicat, si on veut parler, il faut bosser. Si tu parles, si tu protestes, si tu contestes, il faut que tu donnes l’exemple au niveau de ton travail. Ce qu’il a toujours fait, tu vois. C’est un engagement, entre guillemets, un peu pur.

Interviewer : C’était quoi dans les faits, de s’engager ?
Madame : Dans les faits, c’était quand même des réunions… C’est se lever, c’est donner des tracts. C’est faire des manifestations, c’est faire des affiches, c’est débrayer et surtout ne pas être payé. Si on croit qu’on était payé et bien non. Une heure de travail sautée, une heure de travail perdue, quand ce n’était pas la prime d’assiduité.

Interviewer : Et il consacrait beaucoup de temps au syndicat ?
Madame : Il y avait les réunions. Il n’était pas délégué, attention. Il était militant, mais pas délégué. Il allait aux réunions. Il les aidait pas mal. Souvent il était à l’entrée ou le soir, s’il fallait aider pour faire des collectes.
Et il participait quasiment à toutes les grèves. Il m’a perdu beaucoup d’argent avec ça, d’ailleurs.

Interviewer : Ces réunions avaient lieu en dehors du temps de travail ?
Madame : Oui, toujours bien sûr. Oui parce qu’il n’était pas délégué, donc il n’avait pas droit aux heures syndicales.

Interviewer : Il consacrait beaucoup de temps au chantier ?
Madame : Non. Il consacrait son temps de travail et son temps syndical, mais bon… quelques heures par semaine certainement. Non j’exagère, on va dire 10 heures par mois, c’était pour le syndicat. Ce n’était pas beaucoup finalement.

Interviewer : Y-a-t-il eu des différences d’actions dans le mouvement syndical ?
Madame : Déjà, ce que l’on perçoit, c’est qu’il a de moins en moins de poids, ce syndicat. Donc, ayant moins de poids, on l’entend moins d’une part et en mouvements d’actions, je pense qu’ils ont des difficultés.
On n’a pas d’action d’éclat, comme avant. Le syndicat avant, qu’il soit CGT, CFDT, CFTC pouvait mobiliser une classe s’il y avait un problème.
Parfois, ils voulaient mobiliser quand il n’y avait pas de gros problème, mais là, moi-même qui était syndiquée, je m’y opposais. Pour moi, il était hors de question de faire la grève pour faire la grève. Disons que chez lui, comme chez moi, si on veut faire une grève, il fallait qu’elle ait un sens.
C’est vrai que, parfois, le syndicat voulait quelque petite chose. Mon mari n’était pas d’accord, il ne la faisait pas, il leur disait. Maintenant, c’est vrai que les grèves pour mobiliser les gens, moi, j’ai remarqué que c’est le 1er mai, c’est à des occasions très fortes, mais j’ai l’impression qu’il y a beaucoup moins de grèves qu’avant.
Donc le syndicat, à mon avis, actuellement, il a moins de poids parce qu’il a moins de sympathisants et on l’entend moins. Par contre, il est peut-être plus médiatisé qu’avant. On les voit beaucoup plus à la télé, il me semble.
J’ai l’impression qu’ils sont un peu en train de se chercher. Ils sont en train de se demander comment mieux monopoliser une population. Je pense que le syndicat a évolué avec les conditions de travail, avec la précarité.

Interviewer : Combien de syndicats y avait-il au chantier ?
Madame : Je sais qu’il y avait la CGT, peut-être FO… Ils devaient tous y être. La CGT, FO, la CFDT et peut-être un syndicat de cadres. Par contre, le syndicat qui reste des anciens fidèles de syndicats, défend énormément les anciens de chantier par l’Amians et par la défense de l’amiante. Je les trouve très actifs et très dévoués pour défendre leur droit.

Interviewer : Vous avez un contact direct avec eux ?
Madame : Disons que mon mari va aux réunions. Il y est allé au mois de décembre.


Les activités et les avantages du comité d'entreprise Écouter cette séquence

Interviewer : Avait-il des activités sportives au chantier ?
Madame  : Le ping-pong. Il faisait des tournois de ping-pong et de foot.

Interviewer : Culturelles ?
Madame  : Alors, culturellement, il allait à la bibliothèque. Il y avait une bibliothèque et voilà.

Interviewer : Vous pouvez m’en parler un peu plus de cette bibliothèque ?
Madame : Alors, la bibliothèque. Il y allait, il prenait ses livres et voilà.

Interviewer : C’était une bibliothèque des chantiers ?
Madame : Des chantiers, oui, oui. Il y avait une bibliothèque, je m’en rappelle.

Interviewer : Spécifiquement ouverte aux personnes…
Madame : Oui, oui, c’était le comité d’entreprise.

Interviewer : Donc, il y avait pas mal d’activités ?
Madame : Il y avait le comité d’entreprise. Il y avait les sorties. Il y avait le père Noël pour les enfants. Le comité d’entreprise achetait des jouets et on pouvait en acheter quand on voulait. Il y avait les cadeaux des enfants. Disons qu’il y avait les activités du CE, du comité d’entreprise, avec des séjours, des week-ends à la neige.

Interviewer : Donc le CE était assez fort ?
Madame : Oui, oui, il était actif. Ils étaient actifs. Il n'y avait pas de souci.

Interviewer : Lui-même n’appartenait pas au CE ?
Madame : Non.

Interviewer : Y avait-il d’autres avantages liés au comité d’entreprise ?
Madame : Ce qu’ils faisaient qui était bien également, c’est qu’ils répertoriaient toutes les feuilles de maladie.
On les portait au même endroit et ils s’occupaient de les traiter, par exemple.
Il y avait vraiment un service administratif assez important pour traiter les feuilles de maladie. On les amenait et ils s’occupaient du reste.

Interviewer : A quel endroit ?
Madame : En fait, ça, ce n’était pas le CE, c’était dans les chantiers même. En fait, ces grosses entreprises avaient des services associés qui étaient sympas.
Il y avait la mutuelle des chantiers. Il y avait la pharmacie qui existe toujours des chantiers. A l’époque où la gratuité des médicaments n’existait pas comme maintenant, on ne faisait pas l’avance, par exemple. Ça, c’était bien.
C’était un CE sympa qui s’occupait bien et qui donnait des avantages aux salariés, mais comme d’autres CE le faisaient par ailleurs.


Les horaires, un travail difficile pour certains Écouter cette séquence

Interviewer : Comment se passaient ses journées de travail ?
Madame : Il devait rentrer à 19 heures, 18H30, 18H45.

Interviewer : Il avait des horaires réguliers ? Il rentrait tous les jours à la même heure ?
Madame : Ah oui, oui, oui.

Interviewer : Il ne faisait pas d’heures supplémentaires ?
Madame : Ça lui arrivait.

Interviewer : Souvent, fréquemment ?
Madame : Il en a eu fait. Si ce n’est qu’à la fin, il n’en faisait plus parce que l’on avait réduit les salaires.
On ne peut pas dire tous les jours, mais il en faisait.

Interviewer : Le travail, à votre avis, était-il dur au chantier ?
Madame : J’aurais tendance à dire que c’est en fonction des postes occupés.
Je pense qu’il y avait des personnes qui avaient des boulots plus difficiles que certains. Alors qui ? Je ne sais pas. Je n’étais pas dedans. Je ne connaissais que le travail de mon mari. Déjà, la tuyauterie, ce n’était pas facile au départ, mais ce n’était pas un travail, on va dire, exposé comme certains auraient pu l’être, à bord par exemple.
Je pense que certains avaient un travail difficile. Je crois que lui était bien globalement, surtout les dernières années, puisqu’il est resté dans les bureaux.

Interviewer : Quand vous dîtes « exposés », c’est exposé à quoi ?
Madame : Bien déjà, au froid. Il y avait des personnes qui travaillaient dehors et qui devaient être aux moteurs, dans les cales. Ils ne devaient pas être bien non plus. Je pense qu’il y avait des boulots difficiles, à mon avis.

Interviewer : En avez-vous connu personnellement ?
Madame : Et non, parce que lui, il avait son petit cocon à la tuyauterie et ils étaient bien ensemble.
Je n’en ai pas connu personnellement, mais j’en voyais sortir certains qui étaient en bleu. On sentait que ça devait être pénible ce qu’ils faisaient. Ils avaient l’air fatigué. Certains, je pense, avaient des boulots pénibles, mais je ne sais pas quoi. C’est à les voir, je me les représente. Mon mari, il était parmi les bien lotis, surtout vers la fin, vers les huit dernières années, il n'était pas mal.

Interviewer : Il a dû en rencontrer des personnes, en tant que militant ?
Madame : Ah oui, mais il ne me l’a jamais dit. Il ne me disait pas un tel travaille là, un tel travaille là. Je ne le savais pas. Moi, c’est ce que je vois du linge qu'il me ramenait. Certains, je les voyais, ils étaient crades, les pauvres, mais crades de leur travail. Je me dis que certains qui devaient, peut-être, être dans les cales ou à la mécanique, ils ne devaient pas rigoler. C’est ça que je suis en train de dire. Il y avait des gens qui étaient en haut des bateaux, qui travaillaient en plein air. Ce n’est pas toujours très facile. Lui était en atelier déjà, on est bien.
Je pense que, pour certains, il y avait beaucoup de bruit. L’atelier, c’est beaucoup de bruit parfois. Du bruit, de la poussière pour certains, mais bon je lui demanderai, je lui poserai la question, mais je pense que le travail pouvait être difficile pour certains.

Interviewer : Et par rapport au bruit, est-ce qu’il y avait des casques ?
Madame : Lui n’en a jamais porté, de casque. Ça devait exister. Lui, il avait des lunettes pour se protéger mais c’est tout. Je ne crois pas qu’il ait eu un casque.

Interviewer : Des chaussures de sécurité ?
Madame : Mais oui, ils mettaient des chaussures et des casques sur les bateaux.


Les accidents de travail Écouter cette séquence

Interviewer : Est-ce que vous avez eu connaissance d’accidents ?
Madame : Mon mari en a eu un. Quand il est rentré, il s’est cassé les deux chevilles.
Bien sûr qu’il y a eu des accidents. Il a eu un copain à lui qui est mort. Il y a eu des accidents, parce que comme les gens étaient en hauteur, certains avaient des accidents mortels. Pas tous les jours mais il y en a eu.

Interviewer : Cela pouvait être dû au manque de sécurité ?
Madame : Je ne pense pas. Je n’ai pas souvenir de grève liée à un manque de sécurité. Pour moi, ça a peut-être existé.
Je pense qu’il y a eu énormément de progrès au chantier au niveau travail, au niveau condition, grâce aux syndicats.
Je pense que, quand mon mari est rentré, ça avait déjà évolué dans le bon sens.
Je n’ai pas souvenir que mon mari a fait beaucoup de grèves pour la sécurité, mais je crois que le syndicat a dû, certainement, faire évoluer beaucoup de choses. Ils ont fait évoluer les salaires.


Les salaires Écouter cette séquence

Interviewer : Alors, combien gagnait votre mari ?
Madame : Tout ce que je peux dire, c’est qu’il avait un salaire moyen au début, puisque quand je comparais nos salaires, on avait les mêmes et ensuite l’écart s’est creusé par rapport à moi. Et quand je vois ses salaires à partir de 80 jusqu’en 86, j’ai l’impression qu’il était au plafond de la Sécu, que ses salaires étaient plafonnés.

Interviewer : Quand vous dites salaire moyen, pouvez-vous donner une fourchette ?
Madame : C’est à l’époque. Là, actuellement j’aurais du mal. Alors on va dire qu’il devait gagner peut-être… Ramené à maintenant ?

Interviewer : Non, non, non
Madame : Ramené à maintenant, j’aurais du mal. Mais, même à l’époque, je ne m’en rappelle plus. Je n’ai pas ça en tête. Je sais que j’ai son relevé annuel de la Sécu, c’est tout ce que j’ai.

Interviewer : C’est quoi le plafonnement ?
Madame : Le salaire est plafonné et quand on dépasse un certain plafond, on ne va pas au delà par rapport au calcul des points retraite. J’ai vu récemment qu’il était au plafond. Il avait un salaire correct, on va dire.

Interviewer : C’est quoi le plafond de la Sécu ?
Madame : Le plafond de la Sécu aujourd’hui, il est de 2 500, 2 600 euros par mois brut. Et là, actuellement, son salaire est plafonné, réactualisé à 2 450 euros parce qu’après on perd. Donc, je me dis qu’il était au plafond.
Mais, en fait, ça suivait son évolution aussi.
Avant, si on devait faire une équivalence, il devait être à 2 000, 2 200 euros.

Interviewer : Et le salaire augmentait rapidement ?
Madame : C’est en fonction de l’évolution, en fonction des promotions. A un moment donné, il stagnait parce qu’il ne se laissait pas faire. Et puis après il a évolué correctement. Il n’avait pas à se plaindre.

Interviewer : Était-ce suffisant pour vivre ? J’imagine que oui.
Madame : Oui, oui. Enfin nous, à notre niveau.


La reconversion Écouter cette séquence

Interviewer : Alors, dernière question. Comment s’est passée la reconversion de votre mari?
Madame : Il est parti tout seul. Il a cherché sur le marché tout seul. Il a dit « Au revoir » tout seul, « je m’en vais ».
Mon mari aime beaucoup lire. Il voulait avoir une librairie. Il était abonné à Géo quand il était au chantier. Il aimait la mythologie, donc il s’est dit « Tiens, une petite librairie ».
Et puis, il a vu qu’à l’époque c’était cher. Il n’y avait pas trop d’affaires donc il a trouvé une opportunité de vendre sur les marchés. Il a préparé sa reconversion un an et demi avant. Il l’a préparée quand il a été écœuré des licenciements.
Il n’a pas supporté de voir comment étaient traités les gens.
Sa fierté, c’était de dire « Au revoir, je m’en vais, foutez-moi la paix, je ne veux plus vous voir ». En gros, c’est ce qu’il leur a dit. Il est allé voir le sous-directeur, il lui a dit « Je n’ai plus confiance en vous. Vous n’êtes pas de parole. Moi je veux partir. Je n’ai plus rien à faire avec vous ». On lui a dit « On vous gardera jusqu’au bout ». Il leur a dit « Non, je ne vous crois pas. Je n’ai plus confiance, vous avez traité les gens comme des chiens, c’est inacceptable, je m’en vais ».
Ça a été comme ça. Sa reconversion, il l’a préparée tout seul. Il ne voulait même pas avoir affaire à l’équipe reconversion.

Interviewer : Il l’a anticipée ?
Madame : Il l’a anticipée, oui. Il ne pouvait pas rester. Tu vois, ça, je pense que c’est le respect de l’autre. Là, il y a eu atteinte à la dignité de certains, qui l’a beaucoup touché. Il ne pouvait pas accepter.

Interviewer : Et bien merci.


La Seyne, une ville dynamique Écouter cette séquence

Interviewer : Madame ..., je souhaite vous poser certaines questions par rapport à l’entretien que l’on a déjà eu, de façon à éclaircir certains points.
La première question : quels événements vous ont marqué à La Seyne avant la fermeture des chantiers ?
Madame : Des événements liés au chantier, toujours ?

Interviewer : Pas forcément. Des événements liés à la ville de La Seyne pendant les chantiers.
Madame : Oui, alors, c’est pour faire quels regroupements ?

Interviewer : C’est pour savoir quels sont les souvenirs qui vous ont marqué durant les chantiers.
Madame : C’était la dynamique de La Seyne, la vie, les festivités.
J’ai toujours adoré, quand j’étais plus jeune, pour les fêtes du 14 juillet. Il y avait ce que l’on appelle la foire qui était sur l’ancien boulevard Toussaint Merle. C’était super, c’était sympa, familial. Je faisais plein de tours de manège, d’auto-tamponneuses, les chenilles, la pomme. Enfin, c’était très bien.
Le 14 juillet, tu avais les chanteurs. Mon papa à l’époque était mytiliculteur. Il prenait les chanteurs en bateau. Il les amenait sur le ponton. On était très bien placés, on écoutait nos chanteurs.
Il y avait le bal populaire et, après, on allait à la foire. Ça, ça m’a beaucoup marquée.
On avait aussi un très bon glacier. C’est la gourmande qui parle. On avait un très bon glacier qui faisait des glaces excellentes, pas très chères et tout le monde y allait. Le samedi, il y avait la queue pas possible. C’était la vie sociétale, les petits loisirs sympathiques.
Ensuite, mes souvenirs, c’était toutes ces festivités. C’était la gaieté. C’était les rencontres sur le marché. C’était les cadeaux aux enfants. C’était l’achat des livres dont mon mari s’occupait. C’était l’achat des jouets.
Avec le comité d’entreprise, on allait au ski, on allait à Allos, ils avaient une maison. Il y avait Janas, je sais que les gens allaient à Janas. Moi, j’ai moins de souvenir sur Janas. Il y avait la fête à Janas. Je n’ai pas tellement participé à ça, donc je n’ai pas vraiment de souvenir.
Il y avait la retraite aux flambeaux. Moi, c’est toutes les fêtes estivales, la retraite aux flambeaux avec mes filles, même moi j’y allais. Et on suivait, on avait un flambeau et on suivait sur le port.
Il y avait les joutes. Tu sais, les personnes qui sont sur des bateaux. Ça aussi, j’allais y assister. J’adorais ça. C’était des loisirs populaires, très populaires mais très sympathiques, très conviviaux où les gens se rencontraient et rigolaient. Pour le carnaval, je me souviens, on prenait des confetti. On en mettait de partout.
Pour le poisson d’avril, moi jusqu’à très tard, je faisais plein de poissons, je les mettais dans le dos des gens que je ne connaissais pas. Je leur mettais des poissons d’avril, je partais, je rigolais. Voilà, tu vois, c’était ça.

Interviewer : C’était des fêtes pour les vacanciers ?
Madame : Non, non, non. Le poisson d’avril, c’était le poisson d’avril. Je fêtais ça jusqu’à 25 ans. De 8 ans à 25 ans, je faisais mes petits poissons. J’en mettais à tout le monde. Même les gens que je ne connaissais pas, je leur mettais un poisson d’avril et puis je partais.
C’était le marché, un marché très animé où je descendais tous les dimanches. Oui, le dimanche, c’est la promenade parce que le marché s’étendait du bas du marché jusqu’en haut du collège Curie et c’était rempli, c’était plein et tous les dimanches, je descendais faire les marchés.
Toute petite, toute grande, je me baladais, je voyais du monde.
Voilà, c’était ça La Seyne, c’était gai, c’était vivant. Alors, le paradoxe, c’est que c’était moins peuplé que maintenant mais ça semblait beaucoup plus, comme je te le disais la dernière fois, beaucoup plus canalisé.
C’était beaucoup moins fluide, beaucoup plus compact parce que le périmètre était moins étroit.
Il y avait les Sablettes aussi, la plage des Sablettes, c’était extra. Voilà.

Interviewer : Donc que des événements positifs finalement ?
Madame : Non, c’était une vie, un rythme de vie qui était sympathique.
Mais c’est vrai qu’il y avait moins de voitures, qu’il y avait moins de commerces.
Il me semble que je t’ai dit l’autre jour que c’est vrai que le déclin des chantiers a été également, en même temps, lié avec l’extension des magasins, des grandes surfaces. Même le commerce de proximité, on avait une épicière qui s’appelait Margaux par exemple. Tu y allais, tu prenais un carambar, un petit réglisse, « Maman passera payer ».
Tu avais la laitière, tu achetais un yaourt. Voilà, c’était ça.
Tu avais le marchand de glaces qui passait dans le quartier. On avait, avec mes sœurs, négocié deux glaces par semaine. Il passait « Marchand de glaces, marchand de glaces ».
Il y avait aussi la laitière. Quand j’habitais dans cette rue, il y avait Georgette la Laitière qui passait. On ne t’en a pas parlé de Georgette ? Et bien, elle passait livrer son lait avec son cheval. On lui achetait le lait.
Il y avait celle qui vendait du charbon. On allait acheter le seau de charbon et puis après on allait acheter le litre de lait le matin.
Georgette, c’était quelque chose Georgette sur La Seyne. C’est une icône. Georgette qui passait avec son cheval, on lui achetait le lait. C’est rigolo.
Il y avait même les taupiniers qui passaient à l’époque. Il n’y avait pas encore tout le sanitaire. Le matin, il y avait le taupinier qui récoltait, tu vois ce que je veux dire, toutes les matières liquides et moins liquides. Il passait tous les matins mais ça, c’est très ancien. On dirait que j’ai cent ans. Vraiment pour te dire que tout était concentré dans la ville. En fait, il n’y avait pas d’extension. Tamaris, ça existait déjà, mais c’est vrai que c’était assez bourgeois.
La population ouvrière dont je relève, elle était là. Comme je te disais, il n’y avait pas de misère.

Interviewer : Donc vous conservez des événements plutôt positifs ?
Madame : Moi, j’ai un peu la nostalgie. Comme beaucoup de gens, j’ai un peu la nostalgie du temps où l’emploi était là, où les gens ne se posaient pas de question sur leur devenir.
Il faut quand même savoir qu’on est venu à la maison pour que je travaille. Ça ne se fait plus maintenant. Mon premier emploi, j’ai du l’avoir peut-être cinq mois après avoir passé mon bac.
J’ai travaillé un an à l’office HLM. J’ai quitté parce que j’ai trouvé mieux ailleurs et six mois après on est venu taper à la maison.
Bon, là, je ne regrette pas. Pour te dire à quel point c’était beaucoup plus petit, beaucoup plus familial, beaucoup plus intimiste, on va dire. On est venu me chercher à la maison « Vous ne voulez pas encore venir travailler aux HLM, on vous garde ». Tu vois, c’était ça, ça se fait plus maintenant.
Alors la population, comme je t’ai dit, était beaucoup moins importante. On était beaucoup moins de monde. Mais, en même temps, tu avais l’impression, comme la population était beaucoup plus concentrée, de monde et de monde que tu connaissais. Après, sont venus les étrangers. Les étrangers issus de France.
J’ai le souvenir d’une ville plaisante, gaie où il y avait du travail, où il n’y avait pas de problème d’emploi, une ville qui ne s’est peut-être pas assez développée.
Tu vois, tu as des villes comme Bandol, Sanary qui ont leur carte de visite beaucoup plus mondaine que la nôtre. La Seyne a gardé ça trop longtemps. Ça l’a beaucoup desservie. C’est en train de changer mais, en même temps, moi je n’en étais pas consciente à l’époque. Je ne me posais pas ce genre de question.
Il y avait quand même l’emploi, la stabilité. Enfin, on le croyait.


Les mouvements de grève Écouter cette séquence

Interviewer : Quels événements vous ont marquée par rapport au chantier ? Par rapport à ce qu’il s’est passé au chantier ?
Madame : C’est-à-dire ?

Interviewer : On a parlé des grèves la dernière fois, des soulèvements...
Madame : Je ne vais peut-être pas y revenir.

Interviewer : L’autre jour, on en a parlé. On a parlé des répercussions, des conditions, des mouvements syndicaux mais j’aimerais que vous me décriviez une grève. Comment ça se passait.
Madame : Et bien, écoute, ce n’est pas compliqué. Moi, je n’étais pas dedans, donc je n’ai jamais demandé à mon mari exactement ce qui se faisait avant.
En amont, tu as certainement des revendications qui sont, à mon avis, plus ou moins légitimes parce que moi-même j’étais déléguée quand je travaillais dans l’administration et les grèves qui ne me paraissaient pas légitimes, je refusais de les mener.
Il faut qu’une grève garde cette spécificité de problème important. Tu avais des grèves au chantier qui étaient plus ou moins légitimes. Je ne dis pas qu’elles étaient inutiles, mais parfois, peut-être, que ce n’était pas une grève.
Mais il y a eu des grèves très utiles qui ont contribué à la sécurité. Ça, c’est clair. Et après, il y a eu des grèves qui se sont amorcées quand on a appris que les chantiers allaient très mal. Il y avait des tracts aux portes qui parlaient de la situation. Il y avait souvent le samedi, sur le marché, des personnes qui distribuaient des tracts.
Je pense qu’au début ils décidaient de faire la grève et puis après il y avait une sensibilisation une fois que la date était déterminée, distribution de tracts, prises de paroles, micro ou autre, sensibilisation de la population et puis la grève. Mais les grèves, j’insiste, n’ont jamais été payées par la société. Quand on faisait grève, on perdait son salaire, plus des primes, plus, plus, plus.

Interviewer : C’était des longues grèves ? On m’a parlé de grèves qui duraient des jours et des jours, où on fermait les portes, où aucun ouvrier ne pouvait rentrer.
Madame : Moi, des grèves qui ont duré des jours, je m’en souviens très peu. C’est drôle, je ne m’en souviens pas.
Il y a eu des grèves qui ont duré une journée entière, peut-être deux jours, mais des grèves qui ont duré une semaine, je n’en ai pas souvenir. Alors là, ça n’engage que moi, je ne sais pas.

Interviewer : On leur apportait la nourriture aux portes. Ils bloquaient tout.
Madame : Moi, je n’ai jamais apporté de la nourriture à mon mari. Je n’ai jamais fait ça à mon mari.
Des grèves qui se répétaient régulièrement, surtout quand ça allait mal, oui. Des grèves qui duraient des jours et des jours avec occupation d’usine, comme on peut des fois l’entendre à la télé, moi, je n’ai pas souvenir. Alors peut-être que j’ai zappé.
Moi, le souvenir que j’ai, par contre, c’est le dernier bateau qui a été réalisé par les chantiers.
Évidemment, quand les chantiers allaient mal, on disait « C’est les gens qui ne sont pas qualifiés, les gens sont des feignants, ils sont toujours en maladie ».
Il y a eu certains qui ont abusé, ça c’est évident. Je pense que ce n’était pas la majorité. C’est comme « Les Corses sont feignants et les fonctionnaires ne font rien ». C’était l’image de la Navale. Et quand les chantiers ont fait leur dernier bateau, la population a été invitée à le visiter. Je crois que c’était le Fairsky. Je suis allée le voir et il était magnifique. Il y avait un savoir-faire extraordinaire. Il était très beau et on ne comprenait pas, quand on voyait ça, qu’on puisse laminer un site naval.
Alors, pour en revenir aux grèves, des jours et des jours et bien j’en parlerai à mon mari. Non, des grèves récurrentes, c’est évident qu’il y en avait, surtout à la fin, parce qu’il se battait beaucoup.
Alors, « Ils empêchaient les gens de rentrer sur les chantiers », ça a dû arriver je pense, parce qu’il ne faut pas se leurrer.
Quand mon mari faisait la grève, il y en avait qui ne partaient pas, qui bossaient. Donc peut-être une grève générale très importante qui a été menée à la fin, certainement. Mais je n’ai pas souvenir qu’on empêchait les gens d’aller travailler. Certainement qu’ils étaient sifflés. Des fois, tu pouvais avoir des grèves, à 10 heures, ils débrayaient, entre guillemets, ils appelaient ça débrayer. Ils débrayaient de 10 heures à midi, deux heures. Les gens restaient dans leur bureau, ceux qui ne voulaient pas faire la grève.
Maintenant, tu avais des grèves nationales ou des grèves d’établissement. Alors là, est-ce qu’on pouvait les empêcher de passer, c’est fort possible.

Interviewer : Quand ils descendaient dans la rue, vous avez des images assez marquantes ?
Madame : Pas tant que ça, parce que moi, je n’ai jamais fait de défilé avec mon mari. La seule image marquante que j’ai, c’est quand ils sont allés sur Paris, avec les cars. Je l’accompagnais le matin. C’était quand même assez impressionnant.
Tu les voyais tous monter. Tu les sentais quand même tous partir pour défendre leur emploi. Il y avait trois ou quatre bus, il me semble. Après dans la rue, tu les voyais, ils passaient sur le port. Comme tu vois plein de photos sur le journal, tu vois plein de bonhommes avec des pancartes qui font la manif.

Interviewer : Avec le curé ?
Madame : Le curé ? Ma foi, le curé. Lequel de curé ? Ah, il y avait un curé. Moi, je peux te dire que mon mari travaillait avec un prêtre ouvrier, Margier, qui est maintenant président de Gaspar.
Je ne savais pas qu’il y avait un curé qui faisait la grève. Non, mais c’est possible. C’était quand même des prêtres qui étaient très sensibles à cette condition.


L'interdiction d'entrer aux chantiers, le bateau Fairsky Écouter cette séquence

Interviewer : C’était la seule fois où vous êtes rentrée dans les chantiers ?
Madame : Je ne suis pas rentrée dans les chantiers. Je ne suis jamais rentrée dans les chantiers. C’était interdit de rentrer. Moi j’étais sur le port. Il partait du port.

Interviewer : D’accord. Et sinon, vous n’avez jamais visité les chantiers lors de portes ouvertes ?
Madame : Ils faisaient des portes ouvertes au chantier ? Tu m’en apprends.

Interviewer : Je n’en sais rien.
Madame : Non, c’était interdit, tu ne pouvais pas rentrer. Tu avais un garde qui te faisait rentrer ou pas. Je n’ai pas connaissance de portes ouvertes. Non, je ne pense pas. En tout cas, il y avait des gardiens qui surveillaient. Ils ne faisaient pas rentrer tout le monde.

Interviewer : Donc c’était au lancement des navires où tout le monde pouvait…
Madame : Au lancement des navires. Pour moi, j’ai surtout visité le Fairsky. Je crois que c’était ce nom là, sous réserve. Parce que j’entendais tellement de choses négatives sur ces chantiers que c’en était vexant.
Et quand tu vas voir ce qu’ils faisaient, tu te disais « Non ».
Il faut quand même savoir également que les japonais étaient passés, quand même, au chantier.
C’est à l’époque où ils étaient dans la qualité totale, donc ils cherchaient un peu leur modèle. C’est vrai qu’ils ont pillé. Il faut dire ce qu’il en est. Ils venaient, ils pillaient, ils prenaient des idées, ils partaient.
Et je sais qu’il y avait une équipe, dont quelques japonais, qui était venue à un moment donné voir comment travaillait La Seyne. Je me dis s’ils étaient venus, c’est qu’il y avait quand même une qualité de travail qui était reconnue.
Mon mari assistait, on lui demandait de faire partie d’une petite cellule de qualité.
Il faut savoir que la qualité, c’est quand même pas mal initié par le Japon : le zéro défaut. Ils venaient, ils faisaient, ils travaillent un petit peu sur le tout qualité et en même temps ils regardaient ce qu’ils faisaient, donc ils s’imprégnaient pas mal.
Quand on dit que les chantiers n’étaient pas bons, certains l’ont dit, pas tout le monde. Il y a des choses qui sont fausses. Et si tu avais vu ce bateau. Il était vraiment magnifique. C’était gigantesque.
Moi, je n’étais jamais rentrée dans un bateau, donc c’était magnifique. Bien fait, bien fini, une fierté. Tu avais tous les salariés qui venaient, qui étaient vachement fiers de montrer leur travail.

Interviewer : C’était un bateau de croisière ?
Madame : Je pense que oui, c’était un bateau de croisière. Ce n’était pas un paquebot. Oh oui, il était beau.


Les lancements de bateaux Écouter cette séquence

Interviewer : C’était aussi des grands événements, les lancements ?
Madame : Les lancements, c’était des grands événements. Moi, je n’ai jamais assisté à aucun. Je ne sais pas si la population était conviée aux lancements de bateau. C’était toujours très officiel.
Ce qui était bien c’est que le bateau était fait, le bateau partait. Ce qui était bien, c’est que pour chaque bateau, il y avait une multitude de spécificités, de métiers.
Ce que disait mon mari, c’est que chacun ne voyait que sa partie et quand le bateau partait, tu voyais un ensemble magnifique. C’est là où tu vois le travail collectif. Tout se met en place. C’est intéressant. C’était une fierté certes, mais c’était également normal. Ça faisait partie également des événements normaux. Je finis un travail, je lance un bateau. Tu en as un qui arrive mais après, les derniers temps, je me rappelle très bien que quand ils faisaient un bateau, ils se disaient « Il n’y a plus rien sur le carnet de commande ».
A un moment donné, c’est un peu l’angoisse de la fin du bateau parce qu’il n’y avait rien. Les carnets de commande étaient très vides. Autant le lancement du bateau, c’était bien parce qu’on commençait autre chose à un moment donné, autant vers la fin, c’était aussi l’inquiétude, c’est-à-dire « Il y aura quoi après ? ». Tu vois, c’est très paradoxal et pour le Fairsky, ils savaient très bien que c’était le dernier.

Interviewer : Ils n’ont pas fait que des bateaux ?
Madame : Enfin, moi, je ne connais que les bateaux des chantiers. Ils ont fait des barges, je crois.

Interviewer : Des tanks.
Madame : Des tanks, ça tu me l’as dit. Des tanks, je ne savais pas. Moi, je ne connais que les gros bateaux. Je ne connais que ça des chantiers, mais il paraît qu’ils ont fait autre chose. J’ai souvenir du pont que tu as à l’entrée de La Seyne.
A un moment donné, il baissait et tu avais des petits wagons des chantiers qui passaient et qui reliaient, je pense, Lagoubran, à Brégaillon.

Interviewer : D’où les rails ?
Madame : D’où les rails. Tu avais les petits trains qui passaient et je pense qu’ils allaient jusqu’à Brégaillon. Tous les rails que tu vois tout du long, c’est le petit train qui passait et tu avais le pont qui s’abaissait et le pont rejoignait la rive, où tu as le monument aux morts. C’était vraiment tout étudié pour ça.

Interviewer : Ils n’allaient pas jusqu’à la gare ?
Madame : La gare. Enfin, moi, je vois Brégaillon. Si tu préfères, ça venait toujours de Brégaillon.

Interviewer : Et pourquoi Brégaillon ?
Madame : Ben parce que… je n’en sais rien. Je ne lui ai pas demandé. Brégaillon, c’est un port, donc peut-être qu’ils devaient livrer, qu’ils devaient chercher de la marchandise. Je ne sais pas. Mais enfin, tu avais cette navette à partir des chantiers.

Interviewer : Il me semble aussi qu’ils affrétaient de la gare aussi ?
Madame : Oh, ben c’est possible parce qu’il fallait du matériel. C’est fort possible.
De toute façon, il y avait un trafic marrant. Tu voyais ce petit train passer.

Interviewer : Donc le pont servait…
Madame : De trafic, de liaison entre le chantier et les ports. C’était rigolo.

Interviewer : C’était tous les jours, en continu ?
Madame : Ah oui, oui. Il y avait le pont qui se baissait, qui se levait.

Interviewer : Ça faisait du bruit, non ?
Madame : Non, non, non. Moi, je n’ai pas souvenir d’un bruit. Non, le plus, ce sont ces deux cornes qui sonnaient à 6H45, 6H55 et 7H00. Première corne, 6H45, ils devaient rentrer, 6H55, dépêche-toi, 7H00, c’est fini, après tu étais en retard.


Les projets à La Seyne après les chantiers Écouter cette séquence

Interviewer : Alors La Seyne change, La Seyne bouge. C’est, on va dire, le leitmotiv des politiques actuellement.
De votre point de vue, quels sont les changements qui ont été opérés à La Seyne ?
Madame : Alors « Les changements qui ont été opérés à la Seyne », à quel niveau ?

Interviewer : Entre les chantiers, la fin des chantiers... et maintenant finalement.
Madame : Je crois que l’on va arrêter de parler du chômage, ça, malheureusement, c’est le plus.
Les chantiers ont fermé environ il y a 20 ans. Il y a eu 17 ans. Et bien, j’ai l’impression qu’on s’est cherchés. Il y a eu quelque chose de terrible qui ne s’est pas fait. Il y a eu des projets qui n’ont pas abouti, dont le projet Marépolis, avec Martinenq, qui n’a pas abouti. Il y a eu plein de projets, plein de promesses, rien ne se faisait.
Ensuite, je crois qu’il y a eu l’Europe qui est arrivée par-dessus, avant 2002, puisque le maire est là depuis 2002 ou 2001. J’entends parler de l’Europe depuis 94. Donc, si tu préfères, Maurice Paul, il a fait venir l’IUFM. Si elle est là, bon elle est venue avec mon cher Paecht. Pourtant Maurice Paul, il était bourré de défaut lui aussi, mais c’est vrai qu’il a fait venir l’IUFM. Il a essayé de développer quelque chose de culturel. Je trouve que c’est bien de faire venir l’IUFM. Il y a eu également l’IPFM qui s’est installé.
Maurice Paul avait eu l’idée de faire des logements sociaux là où on construit actuellement des logements privés. Ça a été le grand rejet de la part de tout le monde.
C’est vrai que La Seyne s’est beaucoup cherchée et moi je pense, qu’honnêtement, ce qui se met en place actuellement, les logements privés, c’est bien, il en faut.
Avec les fonds de l’Europe, on est en train de refaire toute la cité, plein de logements sociaux, c’est bien aussi, mais je me dis que d’un point de vue emploi, je ne vois pas pour le moment.
Je ne vois rien en terme de création d’emploi. C’est vrai qu’il y a eu les Playes, également, qui se sont installés. La zone les Playes et l’Adeto.

Interviewer : Il n’y avait rien avant, pendant les chantiers ?
Madame : Il n’y avait rien. De l’herbe. En 15 ans. Ça fait 10, 15 ans que ça existe un peu près. Ça a dû créer des emplois. Il paraît que ça en a crée, je ne sais pas combien.
Je pense que certains ont dû venir avec leurs salariés, ont dû en embaucher quelques-uns.
Tu me diras, ce n’est peut-être pas le rôle du maire non plus de faire la politique de l’emploi.
En tout cas, je n’ai pas l’impression qu’il y a eu beaucoup de changement. Il y a ces logements qui arrivent, donc je pense que l’on veut dynamiser le centre ville, donc le commerce. Ça, ça dépend du maire parce que je pense qu’il a quand même les moyens. Par contre, je pense que la politique de logement qu’il met en place, je trouve qu’elle est un peu rude pour moi, mais il semblerait qu’à La Seyne, il manque 3000 logements.
J’ai parlé avec un ami qui est agent immobilier et je lui disais que je trouvais qu’il y allait un peu fort monsieur le maire, qu’il exagère un peu. Il me disait qu’il manque 3000 logements à La Seyne. Donc, même les logements qui se font, il y en a peut-être quoi 800, il n’y en aura jamais assez.
Disons que le maire a axé sur la politique de l’habitat qui a été commencée sous Maurice Paul. On essaye de restaurer un peu l’image, de rendre la ville plus attrayante.
Je rigole parce que mon mari m’a dit dimanche « On change un peu ». On est passés par la corniche, il y avait un bouchon. J’ai dit « Tiens, on n’est pas les seuls à avoir eu la même idée ». C’est vrai que quand on rentre des Sablettes, que l’on passe par la corniche, que l’on passe par Tamaris mais que l’on continue, que l’on passe par la Rouve, je trouve que quand tu rentres, tu as quelque chose qui est joli. Tu as un horizon qui est dégagé qui est plus joli qu’avant.
C’est quand même une politique d’image de la ville qui s’installe et qui est bonne. Je ne veux pas dire. Mais ça a changé à ce niveau là, La Seyne et au niveau emploi, je n’ai pas le sentiment qu’il y ait quelque chose de plus.
Je me dis qu’il y aura des maisons, ça va dynamiser le centre ville, j’espère le commerce et j’espère la fréquentation, j’espère un regain d’activités peut-être sur le port.


Les chantiers, l'identité de la ville de la Seyne Écouter cette séquence

Interviewer : Quelle a été, selon vous, l’influence des chantiers sur la ville ?
Madame : C’est l’identité. L’identité de la ville. Cette identité qui est dure à partir, en même temps.
Une influence positive, moi je pense, une fierté, une identité très forte et comme je te dis, je ne l’ai vécu que par mon mari. Ce n’est pas une affaire de famille chez moi les chantiers. Je n’ai eu que mon mari qui travaillait là-bas. Il y avait une identité, des copains, un relationnel.
Et, en même temps, en terme de point négatif, c’est que les gens se sont beaucoup raccrochés à ça. Ils ont eu du mal à repenser à autre chose, mais je pense à tous les niveaux, au niveau des politiques, au niveau des gens.
Et puis, en plus là-dessus, tu as la crise économique qui arrive. Donc c’est bien beau, tu veux faire redémarrer ta ville mais si ça ne suit pas au niveau national, au niveau des investissements, au niveau de l’emploi, tu fais ce que tu veux, c’est du pipeau..
Je te dis, en positif, une identité. En négatif, c’est cette perte d’identité qui fait que tu es mal.
Tu vois, moi, je pense que quelqu’un qui a le père, la fille, le fils, le grand-père, la grand-mère et peut-être l’oncle et la tante au chantier, ça doit faire drôle.

Interviewer : Vous connaissez des familles dans ce cas ?
Madame : Moi, j’ai un cousin très éloigné. Il y avait le père et le fils qui travaillaient, mais beaucoup d’amis à eux.
Des fois, il voulait nous réunir, ils parlaient que de ça. Tu vois parce que c’était la famille. Quand c’est des sociétés qui ont 100 ans comme ça, c’est la famille, c’est un noyau.
Tu portes ton casse-croûte à 10H00, tu manges ton casse-croûte. Tu avais le cérémonial du casse-croûte. Ils partaient tous avec leur casse-croûte, leur gamelle, leur café mais c’est le cérémonial. C’est le moment où tu dois te raconter un peu des choses, où tu dois rigoler, où tu dois décompresser.
Mon mari, c’était la bibliothèque, c’était le ping-pong et entre eux, ils faisaient aussi du foot. Ça, c’était en dehors des chantiers mais ils avaient fait une équipe de foot. Ils allaient jouer un peu partout, ils étaient assez soudés, c’était un petit noyau. C’était convivial.

Interviewer : Ils avaient créé une équipe de foot ?
Madame : Oui, oui, entre eux, entre eux. Ils faisaient partie de la jeunesse sportive, je ne sais plus laquelle et puis tous les copains du chantier venaient jouer. C’était « Demain, moi je porte le saucisson, toi tu portes le jambon, toi le poivron et puis on se fait… ». C’était sympa.

Interviewer : A la bonne franquette.
Madame : A la bonne franquette oui.

Interviewer : La Seyne, ville ouvrière...
Madame : Oui, bien sûr.


La Seyne, une ville ouvrière, populaire et familiale Écouter cette séquence

Interviewer : Ne faudrait-il pas plutôt rectifier et dire La Seyne, centre ville ouvrier ?
Madame : La Seyne, centre ville ouvrier ? Tu veux dire que les gens n'habitent qu’au centre ville, c’est ça ? Non, tu veux dire quoi exactement ?

Interviewer : Il y avait plusieurs quartiers à La Seyne et hier comme aujourd’hui, des quartiers complètement différents et peut-être une culture différente aussi ?
Madame : Non. Parce que tu avais des gens qui étaient à La Seyne et qui habitait Toulon ou Six-Fours.
Tu avais des gens dont les couples travaillaient à deux et qui avaient des superbes villas dans les beaux quartiers tout en travaillant au chantier.
Tu en avais qui étaient au centre ville. Si tu habitais sur le port, c’était super bien.
Il y a quelques années, moi j’aurais rêvé que ma mère habite sur le port, donc c’était même un quartier sympa.
Cet immeuble le long du port, au-dessus du LCL, c’était un super immeuble qui était réservé à des gens qui n’étaient pas fauchés.
Maintenant, c’est vrai que tu as les quartiers qui se sont créés, mais c’est une évolution qui est récente.
Sur le port, tu avais des gens qui gagnaient bien leur vie, qui y habitaient, qui avaient des appartements.
Tu avais toutes ces maisons par là qui n'étaient pas mal. Maintenant, tu peux dire centre ville ouvrier effectivement et encore que, le quartier nord ce n’est pas le centre ville.

Interviewer : Parce qu’aux Sablettes, c’était plutôt balnéaire. A La Seyne, il y avait aussi l’agriculture ?
Madame : C’est balnéaire La Seyne, mais sans plus. C’est vrai qu’elle avait son casino, mais ça a toujours été un centre familial.
Les gens qui viennent aux Sablettes, ce sont des gens qui ne vont pas à Saint-Tropez, qui ne vont pas à Cavalaire.
Encore que ça commence à devenir cher, mais c’est quand même assez populaire.
C’est peut-être en train de changer parce que les prix évoluent, mais même les Sablettes étaient populaires et familiales.

Interviewer : Même au temps de votre enfance ?
Madame : Aussi. Je pense que La Seyne ça avait l’image d’une ville ouvrière.
Les gens qui voulaient un peu se distinguer, entre guillemets, ils n’allaient pas à La Seyne mais à Six-Fours, Bandol ou Sanary. C’est en train de changer. Il y a des gens qui arrivent, qui commencent par investir, ça change.
Il faudra voir ce que ça va donner, maintenant, au niveau du logement et le centre ville bientôt avec ces 500 logements ne sera plus du tout ouvrier. Je dirais La Seyne ouvrière qui est en train d’évoluer vers une mixité. Il va y avoir une mixité de gens, entre guillemets, assez aisés pour se payer un logement à côté de gens qui ne peuvent pas et tu le ressens très nettement. Je l’ai remarquée cette mixité entre gens pas riches, un peu aisés qui peuvent se payer un appartement et ceux qui ne peuvent pas. Elle s’installe parce qu’il n’y a plus de terrain.

Interviewer : Moi, on m’a fait le témoignage d’un réel clivage entre La Seyne centre et les Sablettes où les personnes de La Seyne centre ne se confondaient pas avec celles des Sablettes. On n’allait pas aux Sablettes.
Madame : Ah bon, mon Dieu, moi j’étais tout le temps là-bas. J’étais tout le temps là-bas. J’y allais à pied, j’allais à Mar-Vivo, j’allais aux Sablettes. J’y ai passé toute ma jeunesse aux Sablettes.

Interviewer : On m’a parlé de grosses voitures.
Madame : Écoute, c’est drôle. Je n’ai vraiment pas ce souvenir. Moi, j’ai fait Fabrégas, j’ai fait les Sablettes, j’ai fait la Verne. C’est vrai, c’était un quartier un peu riche de La Seyne, mais les Sablettes, ce n’est plus tout à fait La Seyne, ça fait partie de La Seyne, mais c’est autre chose. C’est comme Fabrégas.

Interviewer : Ça veut dire quoi « C’est autre chose » ?
Madame : C’est plus riche, c’est vrai. Non, le plus, c’était Tamaris, c’était la corniche, voilà, le plus riche. Tu avais peut-être des ingénieurs, tu avais des gens assez aisés qui habitaient là-bas, parce qu’il n’y avait que des villas. Mais tu vas vers le côté un peu nord de La Seyne, il y a des superbes maisons, des gens qui habitaient au chantier.
Donc, c’est vrai, j’enlève les Sablettes, Fabrégas, la corniche de Tamaris où là, il y avait un peu plus d’argent, c’est vrai. Mais moi, je n’ai jamais fait attention aux voitures, alors que j’étais tout le temps là-bas. Je passais mes étés aux Sablettes, à Mar-Vivo, à Fabrégas.

Interviewer : Il n’y avait peut-être pas forcément l’empreinte des chantiers aux Sablettes.
Madame : Tu sais, quand j’avais 16 ans, je ne connaissais personne des chantiers. Donc je ne pensais pas du tout au chantier.


L'agriculture artisanale à La Seyne Écouter cette séquence

Interviewer : On m’a aussi parlé d’agriculture à La Seyne.
Madame : Bien, oui. Je t’avais dit que tous les terrains de Berthe, c’était de l’agriculture, ils ont été rachetés. Actuellement, tu as le nouveau commissariat avec toutes les villas. C’était un grand champ qui appartenait aux Valentin. Ils l’ont vendu à Bouygues, eux, le terrain.
Tu vois la corniche de Tamaris ? Je trouve qu’il y a moins de différences maintenant avec les Sablettes qu’avant.
Regarde les Sagnarelles, ce sont des maisons très simples. Soit ils louent, soit ils ont acheté. Ils ont fait ça en pleine corniche

Interviewer : Et les champs, c’était en quelle année ?
Madame : Dans les années 70, il y avait encore des champs. Ils ont été vendus pour faire tous les HLM qui sont du côté de l’hôpital, par exemple.

Interviewer : Chaque personne avait son champ, avait sa culture ou c’était plus industrialisé ?
Madame : Je pense que c’était artisanal. Ce n’était pas l’industrie. C’était quand même des petites parcelles et je pense que c’est la mairie qui les a expropriés, à mon avis. Parce qu’elle a le droit.

Interviewer : En quelques années, ça a dû changer vraiment !
Madame : Ah bien oui. On avait des immeubles. Toute la sphère du logement social. Moi, je me rappelle, je les traversais les champs et même je pense qu’aux Playes, il devait y avoir des champs. Dans la cité, ce n’était que des champs. C’était des petites parcelles, ce n’était pas industriel. Ce n’était pas la Beauce. Ce n’était pas le croissant de Paris. C’était local. C’était des petits producteurs.
Sur le marché, maintenant, tu as 4 revendeurs qui se mordent la queue et il n’y a plus de producteurs. Avant, tu avais les revendeurs et tu avais plein de petits producteurs. Ils avaient une petite machine comme ça, tu avais 4 tomates, 3 choux. Moi, j’adorais. Tu avais 20 œufs, 3 choux-fleurs, 4 salades. Enfin, j’exagère mais tu vois, c’était dans des petites cagettes. C’était les producteurs qui venaient, qui vendaient leur récolte. Ils avaient des champs peut-être dans la cité, peut-être ailleurs. C’était vraiment les produits du terroir.
Voilà, tu avais aussi la criée. La criée, c’était un peu plus haut que l’ancien centre municipal. Mon oncle avait un champ, il a tout vendu après et des lotissements se sont faits, là où habite Monique, un peu plus haut.
Il n’avait pas le temps de vendre à La Seyne. Il vendait à la criée. On prenait des tomates 10 centimes d’euros, ce n’était pas cher. Je crois qu’elle n’existe plus maintenant. Tu avais plein de petits producteurs avec leur terrain, leur lopin de terre. Et ça, avec la politique d’urbanisme, ça a disparu. Tu n’as plus personne sur le marché qui est producteur. Tu n’as quasiment plus rien. Tu en as deux ou trois, pas plus.


L'immigration à La Seyne Écouter cette séquence

Interviewer : Et cette politique d’urbanisme, cela s’est fait sous l’influence de plusieurs vagues d’immigration plus ou moins importantes dans les années 70 ?
Madame : Bien, l’immigration, elle a eu lieu en 63, plus précisément. En 70, il y a eu des besoins. C’est peut-être lié à l’immigration. C’est lié aussi à la croissance de la population. Il ne faut pas oublier que je fais partie du baby-boom. On peut le lier au logement. En 70, les parents se marient, on a besoin de logement. Il a fallu des logements, des logements sociaux qui, à l’époque, étaient faramineux. Moi, j’habitais au Messidor, j’étais hyper bien.

Interviewer : Qu’est-ce qu’il s’est passé en 63 ?
Madame : En 63, c’était l’indépendance de l’Algérie ou peut-être un peu avant tu vois. Tu as les pieds noirs d’Algérie, tu as les protectorats du Maroc et de Tunisie qui sont arrivés. Donc ça a fait une population qui est arrivée et il a fallu les loger.
Mais, en même temps, le baby-boom c’est après la guerre, donc il ne faut pas oublier.
Quand les gens grandissent, il faut bien qu’ils se logent, qu’ils se marient, qu’ils partent de chez eux. Ça peut faire une vague de logements qui est nécessaire. Il y a eu plein d’HLM. Ça a été partout en France parce que, maintenant, on les remet en cause les barres, les HLM. Dans les années 70, ça a été horizontal, vertical. Voilà, tu avais la hauteur ou les barres.
Tu vois Poncarral, tu vois Berthe, c’était le modèle de l’urbanisme. A l’époque, on trouvait ça très bien mais ça a fait disparaître l’agriculture.
Plus, peut-être, la crise, plus certainement avec l’Europe, les échanges, tous les produits qui viennent d’Espagne, d’Italie. Tous ces traités européens qui se mettent en place. Le traité de Rome, il est de quand déjà ?

Interviewer : 57 je crois.
Madame : Ah oui, mais après il y a eu autre chose. Il y a eu la libre-circulation qui s’est mise en place progressivement. Les produits d’Espagne, d’Italie qui sont arrivés et qui ont fait de la concurrence aux petits paysans de chez nous.
Donc, je crois qu’ils ont peut-être disparu à cause de ça et aussi parce qu’il y a eu une politique d’urbanisme importante.

Interviewer : Avez-vous des souvenirs des vagues d’immigration ?
Madame : Pas tant que ça. J’avais 13 ans. Franchement, je ne dis pas que ce n’était pas mon problème, mais je n’étais pas consciente de ça.
Je sais qu’il y avait tous les jours aux actualités. Il y a eu la guerre d’Algérie, moi, j’avais 10-11 ans. Ça ne m’a pas marquée. Je me souviens qu’aux actualités, on te montrait des gens qui arrivaient en bateau. Je n’ai que ça en souvenir.
J’ai aussi le souvenir de nos voisins, qui ont accueilli leur famille qui venait d’Algérie. Ce sont des gens qui avaient tout laissé, qui étaient hébergés par la famille. Ça devait être des situations assez difficiles.

Interviewer : L’immigration et les chantiers ?
Madame : Tu veux dire les italiens ? Moi, je n’en pense rien. C’est-à-dire ?

Interviewer : D’après un témoignage, les personnes immigrées étaient à des postes assez difficiles. Aux cales.
Madame : Je ne sais pas. Mon mari vient quand même de Tunisie. C’est un protectorat, mais il est arrivé de Tunisie, il avait 13 ans. Par contre, s’ils étaient aux cales, ils ne devaient pas avoir le travail facile.


Les conditions de travail et les accidents Écouter cette séquence

Interviewer : Sinon, par rapport à l’entretien dernier, avez-vous eu des informations supplémentaires sur les conditions de travail, sur la sécurité ?
Madame : Non. Mais mon mari me disait que 68, ça a dû améliorer pas mal de choses, avec les accords de Grenelle, mais c’était à un niveau national.
Quand il est arrivé, il y avait déjà des choses qui étaient faites.
En ce qui concerne les licenciements, j’ai reparlé des huissiers à mon mari qui m’a dit « Oui, tu n’as pas dit de bêtise, c’est bien des huissiers qui sont allés avertir ».
Il me disait que les gens qui étaient sur les bateaux, ils étaient moins bien que lui. Le bruit, tant qu’il travaillait dans les ateliers, il y avait du bruit.
Il n’a pas un mauvais souvenir, à part qu’il a eu un accident, qu’il est tombé de 12 mètres. Il était avec un monsieur qui s’est tué sous ses yeux, quand même. Lui, il ne s’est cassé que les deux chevilles. Tu vois un peu le hasard, il y avait du sable, il est tombé dedans. Il a eu un coup de chance.

Interviewer : Avez-vous des choses à rajouter ?
Madame : Non, j’ai tout dit.

Interviewer : Je vous remercie.