Accueil > Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer > Femme d'un tourneur des chantiers de 1957 à 1965 et mère d'apprentis des chantiers
Qualité du son : bonne
On s'est mariés en 1957. Je suis parisienne, je suis arrivée ici en 1957. Mon mari travaillait aux chantiers. Lui est seynois. C'était pas bien payé par rapport aux salaires parisiens. Moi à Paris, je travaillais dans une usine comme contrôleuse. Je suis partie pour me marier.
On habitait chez mes beaux-parents. Mon beau-père a été Maire après Toussaint Merle. Mais moi, je m'occupais des enfants, je ne me rappelle plus bien de toutes ces histoires politiques.
Les chantiers, c'était une place énorme dans le coin.
Pour la femme, c'était une vie assez difficile. Il fallait laver les bleus pour le lundi matin. Mon mari était tourneur.
Il a échappé à l'amiante. Mais des hommes sont morts. En 1957, La Seyne était dans la misère. Mais pour moi, ça a été un envoûtement.
Nous, on a trouvé un logement sans sanitaire en centre ville. Il y avait des seaux et pas de toilettes et "le parfumeur" passait tous les jours les ramasser.
Ça manquait de constructions. Il y avait pas mal de pêcheurs avec leurs pointus, un petit port.
Je faisais la lessive comme à la campagne. Ma mère trouvait que c'était pire qu'à la campagne. Les femmes se retrouvaient entre elles. On descendait en ville dans le même car avec les sacs à commissions. C'était des grosses familles.
Dans la ville c'était un peu comme un village.
Le chantier, c'était l'équilibre de la ville. Quand on l'a démoli, on regardait nos grues se faire démolir. C'était le cœur de la ville. Et pourtant la vie était dure. Les ouvriers étaient payés à la quinzaine. Ils demandaient des crédits à leur petite épicerie parfois. C'était autre chose. Il y avait le froid de la misère et de l'autre côté la chaleur de la convivialité.
Entre femmes, on se retrouvait dans le car. Il y avait moins de voitures, qui nous empoisonnent maintenant.
Le matin, il y avait le bruit des tôles. A la sortie, ils sortaient à 6 000. Beaucoup étaient à vélo. C'était une sécurité. Mais aujourd'hui, c'est dur pour les jeunes, jamais d'emplois fixes.
Mon mari a quitté le chantier après les grèves. Parfois, on avait juste la paye pour payer le lait du bébé et les flocons d'avoine.
Il y avait des manifestations, des grèves.
Et puis des morts aux chantiers. Tout le monde le savait quant un homme mourait.
Après mon mari a été pompier. J'ai perdu un fils pompier aussi en 2003. C'est très dangereux aussi.
Mon mari a laissé les chantiers autour de 1965 car il ne gagnait pas assez. Certains faisaient des heures supplémentaires pour arrondir les mois. Côté avantage, il y avait que la sécurité de l'emploi.
Et puis, les femmes étaient plus sociables entre elles. On buvait le café l'après-midi. Après la scolarité des enfants et avec l'arrivée des voitures, on s'est moins vues. On était presque toutes des femmes d'ouvriers des chantiers. Aucune travaillait.
L'amiante a fait des dégâts.
Mon mari est à la retraite depuis 1992 comme moi.
Moi, j'étais confectionneuse de dessous. J'ai travaillé avec ma belle-mère pour faire des tabliers pour enfants. Mais ça n'a duré qu'un temps. On avait un petit logement sans chauffage, ni toilettes. Mais c'était ma première maison à moi. Dessous c'était une laiterie, où on vendait le lait en bouteille.
Des vieilles sortaient leurs chaises le soir et discutaient tard le soir. J'ai regretté mon Paris mais j'étais tiraillée parce qu’ici c'était un peu comme une carte postale. J'avais de l'espoir d'amélioration. Mais j'ai vu que quand on est né petit, on reste petit.
De Paris, je regrettais la ville, de circuler librement où j'ai vécu jusqu'à 24 ans. je suis d'une famille ouvrière aussi. Avant je remontais régulièrement. Mais je revenais volontiers aussi. Maintenant ça fait 50 ans qu'on est marié, 50 ans que je suis là. Mais je ne suis pas seynoise de cœur, je suis parisienne.
En 1968, ma fille est née. Donc, je n'ai pas trop manifesté. Et puis ça a été la démesure. Après ça s'est un peu assagi. Pendant les grèves, on s'entraidait par des collectes.
Moi, j'ai jamais manifesté parce que les femmes militantes étaient plus solides que moi. Je n'aurais pas osé. Ici c'était les communistes « rouges » sur toute la côte. Ici il y a eu que des communistes. Après les chantiers, il y en a beaucoup qui ont retourné leur veste.
Les électeurs ont perdu confiance après la fermeture des chantiers. Ils ont voté différemment. Et puis le capitalisme, comme la vermine, s'est implanté.
Aux chantiers, il y a eu des vagues de licenciements. Mes fils y étaient apprentis mais on les a licenciés. Alors que le métier qu'ils apprenaient leur plaisait. Ils ont eu une prime de licenciement. Ils étaient heureux mais vite, ils ont vu que ça ne représentait pas beaucoup.
Mais j'ai eu des gros problèmes de santé en 1972. On m'a retiré les enfants. Ils ont été placé dans un centre pendant 15 mois. Je travaillais dans l'entretien des écoles maternelles. J'ai arrêté le travail tout de suite.
Après, j'ai travaillé dans les bureaux, à la caisse des écoles. Ça me plaisait. Jeune, j'avais déjà été dans un centre de rééducation pour raison de santé, où je travaillais.
Après, j'ai travaillé en usine. Je gagnais 100 000 francs anciens, quand mon mari aux chantiers en gagnait 25 000, à la même époque.
Au début ici, on me prenait pour une estivante, on m'attaquait.
Aujourd'hui, il y a plein d'arabes à La Seyne. Ma femme de ménage est arabe. Elle est très très bien.
J'ai vu des vagues d'immigration, des arabes, des gitans. Il y en a beaucoup à la cité Berthe. Les arabes venaient pour travailler, puis les femmes avec les enfants. Du coup, on a dû créer des logements. Il y a eu des mouvements de racisme. Mais moi je ne reproche rien à rien.
Ma sœur, elle habite dans un immeuble avec pleins de noirs. Elle en a marre. Nous dans la cité de La Rouve, c'est très peu mélangé. Avant, il y avait des gitans qui faisaient pleins de cochonneries. Mais dans l'ensemble, le quartier est bien.
Moi je suis locataire depuis 50 ans.
Avant, on entendait les bateaux et le bruit de fond des chantiers.
Les femmes immigrées sont là depuis longtemps et n'ont rien appris. C'est curieux. Les enfants parlent français mais à la maison arabe. Même s'ils sont nés en France, ils resteront toujours en dehors.
Certaines femmes se mettent le voile après 40 ans. Quand je suis arrivée, il y avait déjà beaucoup de maghrébins à La Seyne. Les maris étaient surtout maçons, ils travaillaient en général. C'était moins mélangé qu'à Paris. Il y avait du racisme déjà. Il y avait peu d'africains. A la cantine, la gratuité, c'était toujours pour les mêmes. C'étaient des gens assez futés. Il y avait de l'abus.
On vivait chichement, mais il y avait moins de consommation. Mais il valait mieux avoir une petite paye au chantier qu'un RMI aujourd'hui.
Mes fils sont rentrés aux chantiers après la 3ème. On disait « tu travailles pas à l'école, t'iras aux chantiers ». C'était dans les mœurs, c'était rassurant. Mais on aurait pu aller chercher plus loin comme parent.
J'ai plus combattu pour ma fille. Mais finalement, elle n'a pas voulu aller à l'université.
Mais quand ils sont rentrés comme apprentis, on parlait déjà de la fermeture.
Mon fils racontait que les immigrés étaient moins bien traités que les autres.
Après, ils ont fermé l'école d'apprentis. Elle était juste après la porte d'entrée.
Le site, ils l'ont rasé très vite.
C'est pas comme à La Ciotat. C'est resté en friche longtemps. On voulait faire une station balnéaire. La droite a décidé de tout raser, de faire table rase du passé d'ouvriers.
Je suis allée au parc, par curiosité. Il n'y a pas un arbre, on ira pas au mois d'août.
Il y avait des femmes qui travaillaient dans les bureaux. Aujourd'hui on crée des associations d'aide aux personnes âgées où des femmes avec le bac passent la serpillière.
Ce parc est incongru. Le maire a lancé un hôtel 3 étoiles, mais pas la salle de conférence dont il avait parlé. Alors qu'à La Seyne, il y a plus un seul cinéma. Ils espèrent attirer le tourisme, mais il n'y a rien à La Seyne. C'est toujours le point mort. Alors tout le monde va à Toulon.
Trois cinémas ont fermé : l'Odéon, le Rex et le Comedia. Et le Variété quand le mari était petit.
Ils ont fermé au fur et à mesure.
C'est qu'à Toulon ils ont ouvert des multi-salles.
Avec la fermeture des chantiers, il n'y a plus rien eu.
Maintenant La Seyne n'a plus d'âme.
Le marché n'a plus rien à voir. Il y a beaucoup de commerces maghrébins. Moi je n'y vais plus.
L'atelier mécanique... ils pourraient le raser. Pesch a fait raser le restaurant du chantier. C'était bien, ils auraient pu faire quelque chose pour que les gens se réunissent. J'étais déçue qu'il le fasse démolir.
Avant il y avait la sécurité de l'emploi. De notre génération, tout le monde est passé par le chantier. C'était une mono-activité. Le tout tourisme, ce serait pareil.
Avant, il y avait aussi beaucoup de terrains cultivés : des champs d'artichauts à Berthe, par exemple.
Il y avait aussi un hippodrome vers la gare.
En 1900, La Seyne semblait très belle. Il y avait des casinos. A la place de tout ça, il y a des immeubles.
Le maraîchage s'est arrêté car les gens n'achètent plus les produits d'ici. Et les paysans ont vendu aux promoteurs. Ça s'est arrêté petit à petit.
Avant, on allait dans les collines promener les enfants. Les promoteurs veulent acheter toutes les petites villas.
Je désapprouve et pourtant j'aime la ville. C'est artificiel. Aujourd'hui le contact humain se perd.
En plus le père est souvent au chômage. Ça crée des déséquilibres. La porte s'est refermée derrière nous.