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Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer

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Transcription : Fille d'un soudeur et femme d'un ferronnier des chantiers dès 1970

Collecteur : Prestataire exterieur
Langue : Français

Qualité du son : mauvaise


La sirène des chantiers Écouter cette séquence

D : Alors, moi mes souvenirs en tant que fille d’abord.
Pour moi, les chantiers c’est d’abord la sonnerie. Ce n’était pas une sirène, pour moi c’est une corne de brume. Parce que les chantiers on construisait des bateaux et dans mon esprit, c’était plutôt les bateaux qui partaient en mer que les bateaux qu’on construisait. Donc la sirène ce n’était pas quelque chose de triste à mes yeux, c’était celle qui sonnait le rassemblement pour un grand départ en mer.


Au travail, même malade Écouter cette séquence

D : Mais, petit à petit, après en voyant mon père partir, j’ai compris malgré tout que c’était un lieu de souffrance.
C'est-à-dire, je voyais mon père partir. Je sais pas si M t’a dit la même chose ?
À bicyclette, quel que soit le temps et très tôt le matin. Et très tôt le matin, ça voulait dire que ma mère se levait la première pour allumer le fourneau dans la cuisine, parce qu’il faisait très froid. Elle préparait le café, le déjeuner de mon père et que tout ceci se faisait dans la nuit, tu vois, surtout en hiver.
C’est donc en même temps quelque chose d’un peu angoissant, malgré tout. Mais ça je l’ai découvert petit à petit.
Et puis je me souviens que mon père, même malade, ça je m’en souviens, allait travail et à bicyclette. Alors il se couvrait. Il se mettait du papier journal sous les chemises et les vestes et il allait au travail comme ça, parce qu’il n’avait pas de manteaux. Et, en même temps, je crois me souvenir qu’à l’époque quand on ne travaillait pas, ne serait-ce qu’une journée, on perdait 3 jours de paye.

Interviewer : Pour quelle raison ?
D : Pour éviter que les travailleurs ne s’absentent trop souvent. Alors 3 jours de paye en moins, c’était trop pour la famille. Donc, mon père allait au travail même malade ! Ça je l’ai vu, transpirant et malade.


La soudure Écouter cette séquence

D :Et puis, en tant que fille toujours, pour moi les chantiers c’était quand mon père travaillait à la soudure. Il revenait les jambes piquetées de…pites de… je ne sais pas comment on appelle ça !

M : c’est le chalumeau.

D : Oui, les résidus.

M : C’était les étincelles des chalumeaux qui lui piquetaient le pantalon.

D : Et non seulement ça trouait le pantalon, les chaussettes, mais ça piquetait la peau.

M : Et puis maman ravaudait sans arrêt les pantalons, les chaussettes.


Un père fatigué Écouter cette séquence

D : Et puis, en tant que fille aussi, mon père arrivait tellement fatigué, mais tellement fatigué !
Mais je ne sais pas si c’est dû aussi à la coutume italienne, le fait que les filles soient au service de leur père… Il y avait à la fois, c’était un petit humiliant et pourtant très beau, parce qu’on lui lavait les pieds,. Il était tellement épuisé qu’il s'asseyait et on lui lavait les pieds.
M : Nous avons la même mémoire.
D : Parce que c’est ça qui nous a marqué.
M : Bon, entre autres.
D : Et puis après, alors par contre…

E : Et puis c’est symbolique en même temps, les pieds.
D : C’était en même temps le respect aussi. Le père travaillait. Il rapportait l’argent. C’était lui qui nous nourrissait.
M : C’était aussi l’amour, l’affection aussi.
D : Oui, c’était un signe de respect.

E : En même temps, les pieds c’est ce qui nous supporte toute notre vie…
D : Et puis il ne faut pas oublier, qu’à l’époque, nous étions très pauvres. Et il n’y avait pas le confort que vous connaissez aujourd’hui. Nous n’avions pas forcement d’eau courante, pas de douches, pas de bidets et donc le lavage des pieds c’était accroupi, la bassine par terre, les pieds dedans, accroupi.
Alors en même temps il y avait une espèce de…
M : Soumission !
D : Oui, tu sais c’était le rituel du respect mais de la soumission, c’est curieux, c’est étrange comme sentiment que j’éprouvais.
M : En même temps, moi ça me fait penser à Jésus-Christ.
D : Le lavage des pieds, oui c’est le respect, une humilité aussi.
M : Oui une humilité.
D : Voilà, donc c’était un peu ambigu. Mais bon, ça faisait partie de notre quotidien.


La sirène Écouter cette séquence

Interviewer : Et pour la sirène alors ?
D : La sirène c’était tous les matins de toutes façons et tous les soirs à la sortie

Interviewer : A quelle heure, à 7 heures le matin ?
D : Oh non, c’était bien plus tôt. Le matin je crois que c’était 6 heures
M : 7 heures, non ?
D : Non 6 heures ! Tu plaisantes ?
M : L’été !
D : Non, non. L’horaire bloc c’était encore plus tôt, c’était 5 heures du matin.

Interviewer : Donc, la première sonnerie à 6 heures ?
D : Et puis alors le midi et le soir aussi.

Interviewer : Il rentrait à midi ?
D : Oui. Et puis la sirène de 13 heures et après ça a été 13 heures 30. Et puis, à l’époque, c’était la sirène de 17 heures ou 18 heures. Parce qu’il faisait quand même des journées de 10 heures !

Interviewer : La sirène ne sonnait qu’aux heures…
D : De rentrées et de sorties.

Interviewer : (à M) Tout à l’heure tu parlais de la sirène…
M et D : Et pour les grèves.
M : Quand, au milieu de la journée la sirène sonnait, c’était pour annoncer une grève.

Interviewer : Donc, toute la ville était au courant d’un débrayage ?
M : Et toute la population affluait. Enfin, pas toutes mais celles dont leur mari était aux chantiers probablement. Celles qui pouvaient descendaient.

Interviewer : Tout le monde, rassemblement place de la Lune…
M : Oui, oui.


La gamelle et la musette Écouter cette séquence

D : Et puis, ce qui a aussi rythmé notre enfance, mais ça c’était commun, lorsque papa faisait la nuit, parce qu’il en avait besoin, il travaillait la nuit.

Interviewer : Ah, les chantiers étaient ouverts la nuit ?
D : Oui. Ou quand il faisait des heures supplémentaires, il travaillait beaucoup plus tard. Maman préparait la gamelle.
Alors la gamelle et la musette, parce qu’ils avaient des musettes à l’époque. La musette était en toile assez rustique.

Interviewer : Une sacoche ?
D : On appelait ça la musette ! Alors les soixante-huitards s’en sont servis pour faire ouvriers, tu vois. Mais c’était la musette, c'est-à-dire un espèce de sac en toile, dans laquelle ils mettaient la gamelle. Alors la gamelle, c’était des espèces de récipients en étain, pas en inox hein, ça n’existait pas ! Trop luxueux.
M : En aluminium !
D : Oui pardon en alu, pas en étain. L’étain c’est encore plus luxueux ! En alu et c’était superposé. On essayait de préserver les aliments au chaud. Mais c’était des espèces de casserole qui s’emboîtaient.
M : En principe, il y avait 2 compartiments, à l’époque hein.

Interviewer : Et qu’est-ce qu’elle préparait à manger ?
D : Je me souviens plus très bien.

Interviewer : C’était chaud ?
D : Il le réchauffait.
D et M : Au chalumeau, justement.
D : Ou sur les plaques de tôles incandescentes.
M : Elle devait faire des pates ou des haricots, quelque chose qui tienne au corps.
D : Des ragoûts parce que c’était un plat complet, fruits, fromage, voilà.


Un travail dégradant Écouter cette séquence

Et puis mon père, le dernier souvenir et ça me touche, ça m’émeut, ça me fait énormément de peine, c’est quand je pense que cet homme est parti de son pays ensoleillé, où il était libre. Il était quand même paysan, agriculteur, il était contrebandier et que parce qu’il a été usé par quantité de métiers, particulièrement par le travail aux chantiers, comme il devenait trop faible, il a travaillé au nettoyage des chiottes !
C’est une humiliation sans précédent pour un homme aussi indépendant aussi libre, aussi politiquement conscient que lui.
Ça a dû être une humiliation terrible ! Terrible !


Le manœuvre et le contremaître Écouter cette séquence


Femme d'ouvrier des chantiers Écouter cette séquence


La porte des chantiers Écouter cette séquence

Et cette porte qui reste, pour moi c’est la porte de l’enfer de Dante : « Que celui qui entre ici perd toute espérance ».


L’amiante Écouter cette séquence

Autrefois, nous tremblions parce que nous craignions le chômage.
A l’heure actuelle, nous tremblons parce que j’ai peur que mon époux soit atteint du cancer de l’amiante.


Un homme, ferronnier d’art Écouter cette séquence


Les accidents mortels aux chantiers Écouter cette séquence


La solidarité et la camaraderie aux chantiers Écouter cette séquence

D : Ce qui reste dans les souvenirs de Claude, c’est cette extraordinaire solidarité des ouvriers quand ils avaient une certaine conscience de classe.

Et même des rapports joyeux. Claude, avant les vacances, avait organisé une escargolade, une énorme suçarelle et tous les copains de l’atelier s’étaient réunis et même au-delà, parce qu’elle était tellement bonne qu’ils avaient rameté tout le monde.


Les « jaunes », les non-grévistes Écouter cette séquence


La longue marche de La Seyne à Toulon Écouter cette séquence


L’amiante Écouter cette séquence


La grève de 1966  Écouter cette séquence

M : Tu te souviens de cette grande grève. C’était en plein été, il y avait Roger…
La sirène s’est mise à sonner et il y avait évacuation, par les CRS, des ouvriers des chantiers. […]

Interviewer : C’était en quelle année ?
D : J’ai l’impression que c’était en 66.
M : Oui je pense. Moi j’étais avec Maurice.
D : C’était en 66 ?
M : Mais plusieurs fois, pour briser la grève, on a introduit les CRS.

Interviewer : Dans les chantiers ?
M : Dans les chantiers ! Ils sont même arrivés par mer. Parce il y avait les piquets de grèves, devant, à l’entrée, mais ils arrivaient par mer subrepticement. Ils sont rentrés par la mer, à l’intérieur des chantiers.


Le départ à la retraite à 60 ans Écouter cette séquence


Le lancement des bateaux Écouter cette séquence


En mai 1968 Écouter cette séquence


L’importance des syndicats Écouter cette séquence


Le lancement d’un bateau Écouter cette séquence


Les femmes dans les chantiers Écouter cette séquence


Le « gratin » Écouter cette séquence


Les différents souvenirs Écouter cette séquence


La porte des chantiers Écouter cette séquence


L’immigration italienne Écouter cette séquence

D : Elle aussi était d’origine immigrée. Elle a beaucoup souffert d’une situation qui était liée à son déracinement.
Elle a quitté l’Italie à l’âge de 25 ans, alors qu’elle avait épousé mon père 5 ans auparavant. Elle avait vécu quelques mois avec lui et s’est séparée parce qu’il était parti travailler dans les mines du nord de la France, dans la Moselle à Tille.
Et cette séparation a duré plus longtemps que prévu…

Interviewer : Pourquoi elle a duré plus longtemps que prévu ?
D : Parce que, je suppose, qu’au départ mon père avait l’intention de la faire venir beaucoup plus vite. Il était parti avec son frère là-bas et leur situation était tellement précaire, la vie dans les mines était tellement dure, le climat était tellement rude pour des gens qui venaient des Pouilles, ce pays du soleil dont je parlais, qu’ils sont redescendus dans le sud de la France. Mais chaque fois, en fait, il fallait chercher du travail. Donc, il ne pouvait pas faire venir ma mère tant qu’il n’avait trouvé un travail à peu près stable.


Le travail à La Seyne-sur-Mer Écouter cette séquence

Et du travail à La Seyne-sur-Mer, puisqu’ils sont venus s’installer ici, était pas facile à trouver.
Il y avait une forte immigration déjà. Il y avait une forte concurrence entre italiens, juifs, polonais et espagnols.
Et au bout du compte, elle n’était venue qu’au bout de 5 ans.


La place de la Lune Écouter cette séquence

Elle nous racontait toujours que, quand mon père lui écrivait, il parlait sans arrêt de son travail aux chantiers.
Il lui écrivait qu’il habitait place de la Lune. Et pour les italiens, habiter sur une place était un signe de promotion sociale. Parce que dans le sud de l’Italie, n’habitaient sur les places ou les alentours, que les nobles, les nobliau, les bourgeois, les commerçants…
Parce que sur la place, c’est là que se faisaient les festivités. C’est là qu’il y avait l’église. C’est là que se faisaient les processions, les grandes manifestations religieuses…
Et maman a cru que la promotion avait eu lieu, qu’elle allait mener une vie aisée.
Et quand elle est arrivée, accompagnée d’une amie qui elle aussi rejoignait son mari, mais avec une énorme malle remplie de tous ses trésors, c'est-à-dire son trousseau, sa robe de mariée et quantité de choses… Quand elle est arrivée, un jour de pluie et place de la Lune, en réalité, c’était une place qui se trouvait près des chantiers. C'est-à-dire dans le quartier populaire par excellence, le quartier des travailleurs… et les maisons c’était de vrais taudis !


Le logement sans sanitaires Écouter cette séquence

Et elle racontait toujours que mon père avait eu beau remettre en état le petit appartement qu’ils avaient trouvé dans une maison très vétuste… il y avait des punaises, des cafards… Et ce qui l’a beaucoup choquée c’est que… alors que dans ces pays très déshérités, ils avait les sanitaires dans la maison, il fallait qu’à La Seyne, devant tout le monde, elle descende ce qu’on appelait les toupines. C’était légendaire, La Seyne pour ça et elle se sentait extrêmement humiliée.
L’adaptation a été très, très rude et, malgré son amour retrouvé, le déracinement a été profond et brutal.


La communauté italienne Écouter cette séquence


Le français Écouter cette séquence


Une vie isolée pour les femmes Écouter cette séquence


Une mère, femme au foyer Écouter cette séquence


Les restrictions Écouter cette séquence


Les ambitions pour leurs filles Écouter cette séquence


Les manifestations Écouter cette séquence

Il faisait des nuits supplémentaires. Par contre, chaque fois qu’il y avait grève, il faisait grève ! C’est ça qui est extraordinaire !
Parce que parfois, il était obligé de faire des heures supplémentaires, parce qu’on avait jamais assez. Il sentait bien qu’il y avait des difficultés… Mais quand il y avait un mot d’ordre de grève, il faisait grève ! Et ça c’était très beau.

Interviewer : Comment elle le prenait, ta mère, quand il faisait grève ? Qu’est-ce qu’elle voyait en premier ?
D : Du tracas supplémentaire !

Interviewer : Au niveau financier ?
D : Incontestablement ! On le payait très cher !
On se restreignait encore plus. Mais d’un autre coté, elle ne lui a jamais reproché de faire grève parce qu’elle sentait qu’il retrouvait là sa dignité.
C’était sa manière à lui de combattre, de lutter. Et était très beau de savoir qu’on n'arrivait pas à les faire mettre à genoux, quand même.

Interviewer : Elle luttait avec lui ?
D : Oui ! C’est-à-dire quand il faisait grève et qu’il était piquet de grève, ou qu’il occupait l’usine… lutter avec les hommes à l’époque était leur apporter à manger… préparer la cantine…


Les repas Écouter cette séquence


La démolition Écouter cette séquence


La pneumonie Écouter cette séquence


L’exil Écouter cette séquence


Les vacances Écouter cette séquence