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Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer

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Transcription : Femme d'un travailleur des chantiers de 1967 à 1969

Collecteur : Prestataire exterieur
Langue : Français

Qualité du son : bonne


La présentation du témoin Écouter cette séquence

[...], Retraitée? 7 enfants, 8 petits enfants. Je suis quand même un peu seule, à la maison. Mais je fais plein de bénévolat : restaurants du cœur, secours populaire, secours catholique, centre social... avec la curiosité. J’aime bien écouter...


De la naissance au mariage Écouter cette séquence

Je suis née en Tunisie à Bizerte, en 1942, je suis vieille. J’ai vécu en Tunisie jusqu’à presque 20 ans. Fiancée à 16 ans, mon mari est rentré en France en 58 avec ses parents. Son père était maçon en Tunisie. Il est venu avec son patron, de Tunisie. Après, mon beau-père a fait le regroupement familial. Il a amené sa famille. Mon fiancé est parti, moi j’attendais. Il est revenu en Tunisie, nous nous sommes mariés. Je suis rentrée au début de l’année 63. Je suis restée là-bas pour faire mes papiers. J’étais enceinte de ma première fille, je suis entrée ici enceinte de 7 mois.
Et voilà, la vie a commencé. Mon mari, quand il est entré ici avec ses parents, il avait 19 ans, moi 16 ans.
Son père, un vrai maçon, lui un ouvrier. J’étais enceinte, la première fille est née à Toulon.


L'analphabétisme, la langue française méconnue Écouter cette séquence

Je suis l’aînée de 10 enfants. Mon père travaille aux chantiers en Tunisie.
Ma mère et mon père m’ont pas envoyée à l’école, les autres oui. J’ai une sœur institutrice, un frère ingénieur, une couturière, tout bien, sauf moi, je sais ni lire ni écrire. J’étais dans une école de broderie, de 12 à 20 ans, petite ouvrière. Je travaillais chez moi. Après, en France ça change tout.
Là bas, les français, tous vont à l’école, mais les arabes, il y en a mais c’est rare. La fille, ils la laissent pas faire de grandes études. Lire, écrire, c’est tout pour la vie. Arrivée en 6ème c’est tout, tu restes à la maison ou les tapis, la broderie.
Un directeur, une institutrice, il y en a mais c’est rare.
Moi, c’est drôle… ma mère a dit on l’inscrit à l’école, mon père a dit on verra, c’est une fille. Mais après il a regretté. Il a vu que je suis partie en France. Il s’est dit ma fille, la pauvre.
Pour eux c’est un peu difficile aussi les années 60.
Avant il y a pas de mal, c’est tout le monde comme ça.
Cette période, quand je suis rentrée en France, si j’avais su lire et écrire, ça se serait passé un peu mieux, différent. J’ai souffert de ça, beaucoup même.
Mon père a vu que j’ai souffert beaucoup avec mes enfants, à cause de la langue. Il me demande pardon, jusqu’à sa mort.
Il est intelligent, il est bien. Un homme dur, c’est vrai, un homme arabe.
Je suis pas différente de mes frères et sœurs, mais tous sont allés à l’école.
Ma dernière sœur, institutrice, c’est moi qui l’ai élevée.
A l’école, pour broder, ils m’ont laissée aller à l’école. Je mets le safsari d’accord, mais ils me donnent leur confiance un petit peu.


La déchirure familiale de Tunisie en France Écouter cette séquence

Interviewer : Vous imaginiez la France avant de venir ?
Madame : Avant, le garçon ou la fille qui sort de chez lui, pour nous, c’est comme s’il était mort. On pleure beaucoup.
Moi, l’aînée de mes frères et sœurs, je me sentais comme une mère qui partait. Même mes frères et sœurs, je leurs manquais beaucoup. Certains m’appelaient maman. J’ai laissé mes enfants, c’est tout. On pense pas : heureux, malheureux, on imagine pas. On parle pas de tout ça.
Y’en a qui pensent : en France on va manger un peu mieux, on va construire, on va ramener beaucoup de sous.
Moi, je suis différente. Y’en a qui me disent : on te comprend pas, t’es ni arabe ni française.
J’ai pas cette mentalité de ramener l’argent.
J’ai suivi mon mari, parce que c’est automatique. Peut-être si j’avais pensé ça, j’aurais vécu un peu mieux.
On dirait qu’on m’a arraché les racines. J’ai souffert beaucoup. On dit la dépression, moi je l’ai fait cent fois la dépression. Mais on dit pas que j’ai une dépression, je suis enfermée, toute seule, je souffre, on parle pas comme maintenant. Le mari sort travailler, on reste avec cette souffrance.
On sait pas lire. Au début, ça m’a pas beaucoup manqué, après ça m’a manqué.
Mon mari était fatigué, je me suis occupée des papiers, aller à l’hôpital. Là j’ai compris ce que ça veut dire savoir lire et écrire.
C’est pour ça que je dis que je pardonne pas à mon père. A cause de ça. Si j’avais vécu dans le bonheur, ce serait autre chose. J’ai des copines, elles sont pas allées à l’école, elles s’en foutent. Elles ont des morceaux de bonheur, mais moi, j’ai vécu un moment dur dans la vie, c’est là que j’ai eu besoin de m’exprimer. J’ai souffert de ça. J’arrive pas à m’exprimer. C’est la souffrance totale : de votre cœur, de votre tête. Après tu vois noir. Tu vis avec ton idée. L’idée des autres, t’arrives pas à comprendre.
Pourtant, j’étais beaucoup intégrée. Peut-être la souffrance de mon mari m’a fait aller voir, les aides. J’étais bien accueillie partout, pas rejetée.


Le télégramme Écouter cette séquence

J’arrange mes problèmes comme je peux. Je reçois une lettre, je tape chez la voisine. C’est dur.
La lettre de mon père qui est décédé, je sais pas. C’est un télégramme. Jamais j’ai reçu un télégramme de ma vie. Je suis descendue chez ma voisine, elle est très gentille, j’ai tapé à la porte, elle me dit : « c’est votre père, décédé ». Et le mot de décédé, à cette période, j’ai pas compris qu’il était mort. J’ai compris dans ma tête, il a décidé de faire quelque chose. J’ai dit « mais qu’est-ce qu’il a décidé mon père ? ». Elle me dit : « ton père, il est décédé ! ». Elle m’a pas dit mort. Parce que mort, je comprends. Il est décédé. Mais, je dis, mais décidé de quoi ? Mais j’ai rien compris, mais répète moi. J’attends mon mari. Décidé de quoi, qu’est-ce qu’il a fait en Tunisie, décidé quelque chose, jamais il me demande ! « Tu te calmes, assieds-toi, décédé ! ». La troisième fois, elle a compris elle-même que moi j’ai rien compris. Elle me dit : « il est mort ! ». Ah là, je suis tombée par terre. »
Quelqu’un qui dit ça et tu comprends pas, c’est dur.
L’école, lire écrire, ça me manque beaucoup.


L'éducation des enfants Écouter cette séquence

Interviewer : C’est ça qui a été le plus dur en France, de ne pas réussir à comprendre et à vous exprimer ?
Madame : Les causes de ça, c’est de ne pas être allée à l’école. J’ai eu plein de difficultés avec mes enfants. Pour faire les devoirs, signer les cahiers, voir le maître. Mais j’y vais quand même, je signe les cahiers, je vois les punitions.
Mais une autre erreur que j’ai fait dans ma vie, cette période, dommage que j’ai pas appris à lire et à écrire avec les enfants.
Je conseille maintenant les mères, dans les associations, je dis fais pas cette erreur. Moi quand je suis rentrée j’ai pas pensé à moi. J’ai pas pensé que j’étais une femme et qu'un jour mes enfants allaient grandir.
La seule chose que j’ai fait, j’aime bien que mes enfants réussissent, j’ai fait tout pour eux, mais à ma façon.
J’ai fait des erreurs. Les erreurs n’étaient pas programmées. Ma tête, je sens qu’elle est évoluée. Mais je fais comme je peux. Tu sais pas lire, comment tu fais ? Je veux qu’ils réussissent. Je demande à la voisine.
Avant, y’a pas d’associations, de centres comme maintenant. Y’a rien. J’ai pas les moyens pour un professeur. Je fais à ma façon.
Je laisse pas les enfants faire le ménage. Je refuse. Rien que les devoirs. J’habitais dans une propriété privée, c’est malheureux à dire je suis la seule arabe, tous français. Mes enfants sortent pas dans la rue. Ils rentrent, la douche et les devoirs.
Je remercie le bon Dieu, j’ai une fille psychologue, une fille institutrice, une fille cadre, les garçons mécanique bac plus deux, un autre grand serveur-chef de rang, minimum niveau bac, et le plus bac plus 8.


Les conseils aux immigrés Écouter cette séquence

Interviewer : Quand vos enfants étaient petits, vous aviez compris que l’école c’était très important ?
Madame : Ici, c’est normal. J’ai fait plus pour mes enfants qu’une maman qui est allée à l’école.

Interviewer :Vous n’avez pas pensé à vous ?
Madame : Les années 65-70, les immigrés sont évolués un petit peu, prendre des cours, sortir. Mais moi non, dans ma tête on dirait que jamais j’existais. Je pensais rien qu’à mes enfants.
Dans les associations, je dis pensez à vous. Quand les enfants font les devoirs, faites avec eux. Quand les enfants seront grands, tu sauras lire, ça servira pour toi.
C’est une erreur de ne pas l’avoir fait. J’ai passé vingt ans ratés. Maintenant c’est trop tard. Au moins un nom, une adresse, aller chez le docteur, que je sache chez qui je sonne. Ce sont des petites choses.
Ici y’a beaucoup de jeunes immigrées, 30 ans, même 20 ans, elles savent pas lire et écrire.
Avant, jamais je parlais. Maintenant, je reste deux heures à parler avec tout le monde. Chaque semaine, enregistrer un mot.
C’est un bon conseil.
Je suis vieille, je regrette, ça me manque de plus en plus.
Je fais du bénévolat, mais je parle pas comme je veux. Je voudrais, à mon âge, parler mieux. Tout ça, ça se prépare. Les enfants vont partir peut-être, il faut y penser.
C’est bon de penser aux enfants, c’est la vie, mais à nous aussi.
Ma petite fille, elle me lit, elle me dit je veux que tu écrives, je lui dis non, non me casse pas la tête.
J’écris mon nom et mon prénom, une feuille je sais d’où elle vient.
J’ai appris toute seule, j’ai pris un peu de cours, pas beaucoup.
Les gens qui arrivent de l’Algérie, du Maroc, je leur dis, allez dans les associations. Tu prends que les bonnes choses, tu restes pas enfermée. Faut pas faire les erreurs qu’on a fait avant, rester enfermée.
C’est une grande erreur. Moi, mon mari m’empêche pas, rien m’empêche, c’est comme ça, je reste à pleurer, enfermée, chez nous, ça me manque, on reste avec ça.
On entend qu’il y a une fête là-bas, on pleure ici. Une vie, une routine triste. Toujours avec des larmes, de la souffrance. Tu vis mais ton cœur est partagé, plus les enfants… Apprendre à lire et à écrire, l’idée vient pas.
Sur cent, y’en a une qui a pensé à elle, qui a passé le permis, lire et écrire, passé des stages.
Moi j’ai passé des stages, mais après le stage tu redeviens toi-même.


L’université citoyenne Écouter cette séquence

Je vais à l’université citoyenne tous les trois mois. Des fois je lève le doigt, je dis un mot ou deux.
Sur le thème, je marque ce que je veux. Six mois après, le thème que j’ai demandé arrive ! Le racisme, les jeunes.
Mon idée, elle est pas bête.
Ma petite fille me dit dommage tu parles pas bien, tu sais pas lire et écrire, t’es pas bête du tout.


Les difficultés des jeunes Écouter cette séquence

Interviewer : Aujourd’hui vous avez l’impression d’exister ?
Madame : Ça dépend. D’un côté, je sens une fierté, j’ai aucun regret. Malgré quelques erreurs. J’ai protégé mes enfants. La vie n’est pas facile en France. Les enfants jeunes comprennent pas. Mais ils ne me reprochent pas de leur avoir fait du mal.
Aujourd’hui j’écoute les jeunes, plus que j’écoute les vieux. J’ai pas pitié des vieux. Une personne âgée malade, oui. Mais une maman qui me dit, oh je souffre, mes enfants m’ont fait ça, m’ont fait ça… J’écoute la mère, mais je me tourne vers les jeunes.
Bon Dieu, ils ont souffert les enfants, ils en ont bavé. C’est mon point faible, un jeune.
J’ai une copine, elle a le même nombre d’enfants que moi, on se connaît depuis 35 ans. Elle est toujours malheureuse. On partage tout, le bon et le mauvais. A force que je lui dise que les enfants aussi sont malheureux, elle me dit mais pourquoi, y’a le fromage, y’a le pain. Je lui dit c’est pas le fromage qui porte bonheur. L’enfant il est né en France, il est partagé. Je lui ai donné un cours. A force, cette femme, elle commence à dire « Ah oui, ma fille, mon fils, ils souffrent ». j’ai dit bon Dieu maintenant elle dit ça ! Merci bon Dieu, à force elle m’a écouté.
C’est vrai, nous on a souffert, mais nos enfants...
Si j’ai quelque chose de bien, je dois le donner aux autres. Cette femme, elle adore ses enfants, mais elle arrive pas à comprendre qu'ici, immigrés, ils souffrent. A force, après 35 ans d’amitié…
Je l’ai pas cassée, je dis ce que je pense.
Je parle de moi. Je dis ce que j’ai vécu. La villa, le travail, c’est pas le bonheur. Tic, elle part avec une petite idée que je lui ai donnée.
Nos enfants souffrent ici. Y’a du bonheur c’est vrai, mais eux ils vivent une autre histoire. Leur souffrance est différente de la nôtre.
La vie, c’est des étapes. Tous les dix ans. L’expérience de la vie est très importante, plus que l’école. Un proverbe arabe : « Demande l’avis de quelqu’un qui a passé l’expérience, demande pas un avis de docteur ».
Moi, la vie m’a appris, tous les dix ans je change.
Maintenant, je suis dégoûtée pour les jeunes.
On ne peut pas commencer à parler de ça, c’est trop long...


Le choix du mari, l'amour et le mariage Écouter cette séquence

Interviewer : Qui a choisi votre mari ?
Madame : Mon mari m’a vue dehors. Sa mère et ma mère sont arrière-cousines. Il m’a vue à 14 ans, avant que je mette le voile. Après quand je suis allée à l’école, mon père m’a mis le safsari, un voile blanc, on cache la moitié du visage.
Il m’a vue, mais on n’a pas parlé.
Deux garçons ont demandé ma main, j’avais 15 ans et mon père est allé demander conseil au père de mon mari !
Moi, les garçons, je les connais, parce que même si je sors avec le safsari, je les connais.
Le père de mon mari est rentré, il a parlé à sa femme : ta cousine, elle a une fille, elle a l’air très bien. Elle a quinze ans.
La mère de mon mari, elle m’a vue dans les mariages. Je danse, je sers, cette époque 57-58, j’étais un peu éveillée. « Je veux cette fille pour mon fils ! ». C’est pas le coup de foudre de mon mari, c’est la mère !
Ils sont venus le soir même. Mon père m’a demandé mon avis. Arriéré, d’accord, mais c’est pas un mariage forcé. Nous sommes d’accord. Mon père m’a dit qu’est-ce que tu veux ? J’ai dit je veux pas les deux autres, je veux celui-là.


Le départ de Tunisie Écouter cette séquence

Interviewer : Quand vous vous êtes mariée, vous avez commencé à penser que vous alliez partir en France, changer de vie ?
Madame : Oui. J’y pensais, mais j’imaginais pas ce que j’allais trouver. Ces années, les gens qui partent, l’adieu est vraiment dur, c’est compliqué.
J’ai pas pensé que je partais pour toujours.
On va partir, on verra le destin. Personne ne pensait partir pour toujours. Maintenant, oui.
Les années 1950, les gens pensaient, on va venir, ramasser un peu de sous, le destin va tourner. Personne ne pensait rester. Après 60, 70, 80, ça change tous les dix ans.

Interviewer : Vous avez posé des questions à votre mari ?
Madame : Oui, j’habitais avec ma belle-mère. Elle m’a donné une chambre, je suis restée trois mois, après j’ai déménagé, j’ai pris un studio.


Le logement Écouter cette séquence

Interviewer : Votre belle-mère habitait où ?
Madame : Toulon, place d’Espagne.
C’était une vieille maison, avec un grand jardin. Pas de chauffage, pas très agréable. Quand j’étais en Tunisie, j’imaginais pas. Des lits pour les enfants, pas de frigidaire. La vie, quand ils ont commencé, c’est rien.

Interviewer : Vous étiez surprise ?
Madame : Oui, je pleurais de plus en plus. Ça c’est en France ? pourquoi ils ont pas de frigidaire.
Après un an et demi je suis retournée en Tunisie. Y’a rien en France, y’a pas d’argent.
Mon mari commence à travailler, manœuvre.

Interviewer : Votre maison en Tunisie était plus confortable ?
Madame : La maison de mon père oui. Même la maison de ma belle-mère en Tunisie, 4 chambres, maison arabe, grand puits dans la cour.
Je dis pas que je vivais mieux, mon père est ouvrier, mais quand tu entends « on va partir en France »…, maintenant les jeunes ils croient que c’est Dallas. Mais moi j’ai pas imaginé Dallas, parce qu’on n’a pas la télé.
Mais maintenant les jeunes ils rêvent trop, c’est la folie complètement.
Nous, on est venus, ma belle-mère est venue, on se pose pas toutes ces questions comme maintenant, on vit. Le mektoub.
On n’a pas calculé.
Je pensais pas que j’allais mourir ici.
A la limite, vivre sans vivre, sans poser cette question là.
Les enfants de ma belle-mère, ils ont une belle situation. Mais la vie de la mère, quand elle est rentrée, elle était malheureuse.


Vivre en France et en Tunisie Écouter cette séquence

Interviewer : Vivre sans réfléchir ?
Madame : Nous ne sommes pas préparés, on n’a pas programmé, comme maintenant, tout le monde programme.
Mais avant, les gens sont pas préparés. Avant, le mari fait le regroupement familial. La femme elle le sait pas, elle enlève le safsari, elle vient ici, elle est perdue.
Le mari va travailler, elle fait la lessive, les enfants vont tout seuls à l’école, le week-end le mari fait les courses.
Elle vit peut-être un peu mieux, le mari rapporte beaucoup de nourriture, la vie pour elle roule bien, elle a les allocations familiales, mais la vie, qu’est-ce qu’elle imagine dans sa tête, le bonheur éclaté. Là-bas elle a laissé la fête, le hammam, les bijoux, ici y’a plus rien de ça. On n’a pas de goût de ça.
Elle s’en foutait un peu, elle commence la vie ici, mais quand même elle pose pas cette question, elle vit sans vivre.
Ma belle-mère, elle va à Monoprix, elle fait quelques courses, du manger. Y’a pas d’autre vie.
Je suis venue de Tunisie, je suis restée bête. Même pas de frigidaire. J’ai acheté avant elle, le frigidaire.
Elle dit un jour je rentre en Tunisie.
Après, les enfants sont installés, c’est une autre histoire…


Le travail du mari Écouter cette séquence

Interviewer : Votre mari travaillait à Toulon ?
Madame : Maçon, avec son père. Manœuvre, pas maçon comme son père. Mon mari, entre les deux, un peu mieux qu’un manœuvre, carrelage, faïence, non. Ouvrier.

Interviewer : Pourquoi il n’a pas appris le métier ?
Madame : Après il est tombé malade, dépression. Il est resté 12 ans malade. Là ça fait 27 ans qu’il est parti. On n’a pas vécu comme un couple, quelqu’un qui travaille, qui arrive à la retraite avec sa femme… Non, il est parti très jeune.
Il a travaillé presque 10 ans normal, et 14-15 ans malade.
Sa vie est partie un peu… On n’a pas vécu une vie de travail. Il n’a pas connu trop les enfants.
Une autre histoire, avec la maladie.
Moi j’ai élevé mes enfants toute seule. J’en ai bavé. La vie est un peu dure. C’est pour ça que ça m’a manqué, lire, écrire, me débrouiller.
Peut-être que si j’avais eu une belle vie, un mari qui travaille, y’a des immigrés ils ont une belle vie, construire en Tunisie, partir en voyage, ça leur manque pas de lire et d’écrire.
Mais moi mon destin n’est pas rose, il est un peu noir.
Tu lèves le pied, l’autre entre dans la boue.


L'analphabétisme Écouter cette séquence

Là, c’est dur. Je crois, si j’avais trouvé une belle vie, ça m’aurait pas manqué. Je n’en aurais pas eu besoin, pour me défendre, pour parler, pour courir.
J’en vois maintenant, même les devoirs des enfants, il s’en foutent. Moi ça m’a manqué beaucoup, parce que j’ai eu beaucoup de difficultés. Ça m’a toujours fait penser que je peux pas. Même pour passer des stages, travailler, c’est dur.
Dieu merci, je me suis bien débrouillée, tout le monde m’a aimée, j’ai été correcte, quand même je suis fière de ma valeur. Maintenant, ça me donne cette force.
Maintenant, je me bats pour les autres.
Pour moi, le bien, c’est de sortir de la maison, participer. Je donne. C’est bon pour mon moral. J’ai rien appris quand je suis restée enfermée.
Le malheur des autres, en parlant, ça me fait du bien, j’écoute, je donne mais je prends quand même.
Je reçois le bien aussi, la personne me dit merci. Tu as donné, partagé ton bien, mais quand même tu as pris.
Par exemple, au restaurant du cœur. J’ai pris un vieux dans ma voiture, quelqu’un m’a dit « une prière pour votre père ». J’ai dit bon Dieu, c’est vendredi, merci bon Dieu, ma mère et mon père ont reçu une prière.
Ça c’est très beau, ça s’achète pas avec l’argent ça, ça s’achète sur nous-mêmes.
J’ai continué, même que je commence à vieillir. Je me sens fatiguée, mais il y a une autre force qui vient.
Les morts peuvent recevoir des insultes, là ils ont reçu un remerciement, ils sont contents. Ça me donne un autre courage, pour m’accrocher.
Quelqu’un me barre la route, je l’écoute, j’oublie l’heure.
J’ai pas besoin qu’on me parle de choses dures, j’ai été malheureuse.
Maintenant les enfants me disent sors, rigole.
Je dis c’est le contraire, une force, je donne aux autres, et je prends aussi.
Les jeunes, je leur dis sors, passe des stages, fais. Il faut pas rester, vous avez beaucoup de chances maintenant.
En 55-60 on n’a pas eu cette chance. Mélange pas tout. Vis le présent. Y’a cette chance. Vous êtes ici, à l’association, bois un café, parle avec les autres, rigole, c’est pas beau ça ?


La solitude Écouter cette séquence

Maintenant une femme accouche, tout le monde va la voir à l’hôpital. Moi j’ai accouché, la première, je suis restée toute seule, personne est venu, j’attends mon mari le soir.
Je suis arrivée enceinte de 7 mois de Tunisie. J’imaginais la fête qu’on fait là-bas. Ma mère elle danse, parce que quand on accouche on fait une fête le septième jour. Toute seule avec mon mari, attendre, regarder. Je pleure à la fenêtre de l’hôpital, à Toulon.
Ici, regarde quelle chance. Une femme de l’association a accouché, on est venues, on a apporté des cadeaux, on a fait la fête. Bon Dieu, profite de la France ! On a fait le couscous… T’as les gens qui sont venus, t’as reçu les cadeaux, regardez quel bonheur.
Des jeunes, y’en a qui sont intelligents. Profite ce moment, c’est beau.
Nous on a souffert. Maintenant, une autre souffrance.
Les jeunes de là-bas qui viennent ici c’est le bonheur.
Nous on a pas vécu ça. On tombait malade, une fièvre à 40, personne venait, tu attendais ton mari.
Tu peux mourir, même pas un téléphone à la maison.


Le logement, le quotidien Écouter cette séquence

Interviewer : Quand vous avez quitté vote belle-mère, vous avez trouvé un studio où ?
Madame : Ollioules. Un grand studio, on a trouvé, on a pris. Après, F2, F3, F4. Cette période, on peut louer comme on veut. Maintenant l’ouvrier il peut pas prendre une maison.
Après, La Seyne, en 68. Mon mari par l’agence a pris un bel appartement neuf, une propriété privée, du côté du chantier.

Interviewer : Pourquoi votre mari a arrêté de travailler avec son père et est entré aux chantiers navals ?
Madame : Il a trouvé. 68, 69, il est resté quelques mois au chômage, parce qu’il y avait des problèmes. Après il a trouvé dans une autre entreprise, peintre.
Il est parti de l’entreprise de son père, au chômage, je me rappelle pas trop. Il a trouvé par l’intérim, ou je sais pas, une entreprise qui fait de la peinture dans le chantier. A peine que j’habitais à La Seyne. J’avais 5 enfants.
Mon mari a travaillé aux chantiers 2 ou 3 ans.

Interviewer : Ça a changé pour vous ? Il gagnait plus ?
Madame : Oui un petit peu mieux, parce qu’il travaillait un peu le soir. Pas beaucoup, mais mieux.

Interviewer : Il peignait les bateaux ?
Madame : Oui.

Interviewer : Vous l’avez vu travailler ?
Madame : Non, jamais je suis allée sur place. Il part, je lui fais les sandwiches.
La date exacte, je sais pas.
Tout le monde travaille aux chantiers, Mont des oiseaux, Présentation, plein d’immigrés.
Il a travaillé, matin, de temps en temps le soir.

Interviewer : Pas trop dur, avec les 5 enfants ?
Madame : Non, la femme, elle a pas vu d’autre chose, elle a pas goûté. Elle arrive pas à imaginer. Elle est pas malheureuse, la vie se présente comme ça.
Maintenant, à mon âge, tu me mets comme ça, je refuse, mais cette période, on n’a pas connu d’autre chose. Tu es malheureux s’il te manque quelque chose.
Mes enfants, je leur demande, elle te manque la fête tunisienne ? oh oui, elle est belle… mais ils ont pas connu.
Moi j’ai goûté le bon et le mauvais. Mais ici… c’est pour ça, les enfants d’ici, on dit « ni rôti ni bouilli », aucunes racines, ils sentent pas…
Ils sont perdus dans le sentiment.
Nous on a vécu là-bas, ici. On a vécu plus de choses. Eux, ils sont douloureux ici. Mais ni ils sont de là-bas, ni ils sont d'ici.

Interviewer : Tu n'es pas malheureuse parce que ton mari travaille le soir ?
Madame : Non, je pose pas cette question. Je me sens pas malheureuse, je me sens pas folle de joie, la routine elle tourne comme ça. Y’a rien. La vie est un peu triste, elle roule mais un peu triste.


La convivialité à la cité Écouter cette séquence

Interviewer : Vous aviez des amis ?
Madame : Au début j’ai pas fréquenté. C’est ça aussi qui est un peu dur.
Un peu, mon mari, quelques copains qui ramènent leurs femmes. On mange ensemble, mais tu peux pas parler, tu peux pas pleurer, bonjour bonsoir, après ciao.
Pour partager, on n’a pas. Ça aussi, c’est nous qu’on n’a pas été chercher.
Mes voisins m’adorent, mais pourquoi on n’a pas commencé à parler ? Une erreur, encore. C’est comme ça. Eux n’ont pas tapé à la porte, toi tu sens que tu es seule. Je dis bonjour, mais la tête par terre, je me sens gênée. C’est pas comme ils disent maintenant le mot de racisme. Le racisme jamais je l’ai senti dans la vie. Mais c’est comme ça.
Heureuse, malheureuse, je suis toute seule.

Interviewer : Avec votre famille, les gens qui venaient du même village que vous ?
Madame : Pas du tout, chacun chez lui. Ça dépend où tu habites. Moi, propriété privée, que des français. J’ai habité toujours des bons coins.
Avec les enfants, malgré tout, quand tu as des problèmes, tu arrives à t’en sortir un peu mieux.
Un HLM, tu arrives pas à t’en sortir.

Interviewer : Mais à Berthe vous vous seriez sentie moins seule ?
Madame : Mais c’est différent, la mentalité, le vécu des enfants, l’éducation, les études, le travail, le mariage… c’est un autre débat.
A Berthe par exemple, tes enfants, t’arrives pas à les empêcher de sortir de la maison à 4h.
Mes enfants ont réussi. Dans un HLM, la mentalité des gens ne change pas, comme quand on est arrivé en 55 du Maroc, de l’Algérie ou de la Tunisie, parce qu’on habite entre nous, on peut pas changer. Les lieux, l’adresse ça ça vient…
C’est une autre souffrance.
Avec les amis tu es bien, tu fais la fête, tu rigoles. Des fois, tellement tu rigoles, tu oublies les enfants.
C’est un peu compliqué tout ça. C’est vrai, la fête, les amis, les voisins, y’a beaucoup de mélange, mais des fois les mélanges ça fait pas évoluer les choses.
Je préfère les mélanges, mais dans l’évolution.
Mes enfants me disent maman t’as changé. Parce que je fréquente partout, d’ici au bout de Toulon, une association.
Chaque personne est différente. Y’a la fête, du thé, du café, des cassettes, de la danse, mais y’a beaucoup de souffrance.
Je suis contre les HLM, le regroupement, le ghetto. Toujours dans les associations je parle de ça. C’est bien d’un côté, pour le moral, mais pour d’autres choses c’est pas bon.
Oui, tu es bien à Berthe, la femme est bien, mais après ? Toujours je pense aux enfants, comment il va chercher du travail.

Interviewer : Alors, vous avez pensé aux enfants et vous avez pas rigolé ?
Madame : Moi j’ai pas rigolé du tout.
Peut-être c’est le destin. C’est pas juste parce que je ne voulais pas tout ça. C’est un peu le destin, un peu moi.
Je choisis aussi.
J’ai pris un appartement, mes enfants ont grandi.
Après j’ai pensé peut-être que ça je n’aurais pas pu le donner à mes enfants ailleurs.
C’est venu tout seul, c’est pas moi qui ai décidé ça. Quand les enfants ont grandi, j’ai vu ailleurs.


Les chantiers, le chômage, la reversion Écouter cette séquence

Interviewer : Jusqu’à quelle année votre mari a travaillé aux chantiers ?
Madame : 68, 69. Il a commencé en 67 je crois. Début 69 il est parti. Je sais pas pourquoi. Il est inscrit au chômage. Il est parti sans problèmes. Est-ce que le contrat est fini ? Je sais pas ?

Interviewer : C’est pas lui qui a décidé ?
Madame : Non puisqu’il est retourné au chômage. Quand tout est en règle c’est pas nous qui partons. Il a pas été renvoyé. Je crois pas.
C’est pas comme les gens qui ont travaillé longtemps, après ils ont touché l’argent. Je connaissais plein de copines. C’est pas ça.
Je sais pas… Je lui ai peut-être pas posé la question.

Interviewer : Il était bien aux chantiers, il aurait aimé rester ?
Madame : Oui, à partir de là il était pas trop bien. J’ai senti qu’il a changé. Il aurait aimé rester à sa place.
Je ne sais pas, pour les points de retraite je n’ai pas retrouvé la trace. Je touche la réversion de mon mari. J’ai pas trouvé. Mon mari a jeté les papiers, perdu, je sais pas, j’ai pas trouvé. Je me rappelle plus, je peux pas te parler.


La rémunération Écouter cette séquence

Interviewer : C’est lui qui gérait l’argent ?
Madame : Non c’est moi. Il me donnait l’argent. Pas de chèque, des fiches de paye. L’argent liquide, il touche sur le chantier. Il n’a pas de compte.
En 63, je suis rentrée, j’ai fait un compte. Lui, avant moi, n’avait pas fait de compte.
J’ai évolué toute seule. Jamais quelqu’un m’a aidée dans la vie.
Je suis entrée, j’ai ouvert un compte. Comme ça, de temps en temps, je mets 50 francs de côté, moi toute seule, personne m’a conseillé.


En France et en Tunisie Écouter cette séquence

Interviewer : En France vous n’avez trouvé personne avec qui parler, ou demander conseil ?
Madame : Pas du tout. Maintenant les jeunes un peu perdus, ils trouvent des conseils, des stages, de l’aide, des assistantes sociales. Mais nous, 55 à 63, moi et ma belle-mère, on trouve pas. On n’a pas. La voisine, pas bonjour, pas bonsoir.
En se cassant la gueule, on se relève toute seule. J’ai vécu comme ça. On se casse la gueule, parce qu’on sait pas ce qu’on fait des fois. On est pas consciente. On se trompe. Mais c’est pas programmé. On sait pas. On n’est pas formés. On existe, mais on n’est pas formés. Maintenant, on fait attention, on programme. Avant, on vivait.
Construire au pays, c’était le seul programme. Mais c’est pas le meilleur programme. C’est vrai c’est beau, mais c’est tout. Moi j’ai pas vu que ma belle-mère ait construit d’autres choses. Je vois rien. Vivre, vivre… On peut pas savoir ce que nous amène la vie… C’est bien ou pas bien, ma foi…
La vie est différente pour les jeunes. S'ils ne programment pas, ils sont morts. Ils souffrent.
Après, on vieillit, les enfants grandissent, on rentre plus au pays, on finit nos vies ici.
Là-bas, ton frère, tes sœurs, mariés, vieillis, sont partis à gauche et à droite…
Quand on est venus on n’avait pas l’intention de rester. Même les gens de mon âge disent on va rentrer un jour. Ils rentrent, et six mois après ils reviennent, parce que les enfants et les petits enfants ne retournent pas.
Ils ont vécu ici. Même s’ils vivent mal ici, ils rentrent pas. Ils arrivent pas à vivre là bas. Ils ont pas cette mentalité.
Je dis pas qu’il y a pas d’amour, mais c’est pas comme les parents. Les parents pleurent.
Ici, y’en a qui sont perdus complètement, y’en a qui sont bien reçus dans la vie, mais quand même nous sommes derrière un peu… Mais c’est la vie, y’en a qui sont heureux attention.
Le monde, c’est partout.


Le logement Écouter cette séquence

Interviewer : Cet endroit où vous viviez, « Propriété privée », c’est le nom de la résidence ?
Madame : Non, je veux pas dire le nom. C’est un immeuble neuf, privé, c’est pas un HLM. Pas par la mairie, par l’agence.
C’est propre, très beau. Pas très loin des chantiers. On est locataires. F4, deux balcons.
Je suis restée presque trente ans.
J’ai changé dans le même immeuble pour un F5.


La maladie du mari Écouter cette séquence

Interviewer : Après les chantiers navals ?
Madame : Il a travaillé dans la maçonnerie, avec son ancien patron. Mais il était pas bien. Il a fait une petite dépression. Je pense pas que ça vienne des chantiers, mais à partir de là, 69-70, il a commencé à aller pas trop bien.

Interviewer : Comment il était votre mari, militant, activités ?
Madame : Non, rien, travail, père de famille. Un peu de cinéma. Il fréquente pas beaucoup de gens.
Il est sérieux, très gentil, très bien.
On sortait, les courses, moi femme au foyer, lui dehors. Il sort pas le soir tout seul, c’est pas comme maintenant.

Interviewer : Qui gardait les enfants quand vous sortiez ?
Madame : On sortait quand j’avais trois ou quatre enfants, je les prenais avec moi. Après on a arrêté un peu de sortir, le cinquième et lui a commencé à être pas trop bien.
Après, il a travaillé un peu moins. On n’a pas trop vécu.
La maladie s’est déclarée. On sortait plus.
Après il est décédé. On n’a pas eu une vie normale.
Même quand il était là, malade, j’ai vécu toute seule. Je m’occupe des enfants, je sors pas.

Interviewer : Avant d’être malade, est-ce qu’il s’occupait des enfants ?
Madame : Un peu, mais pas plus. C’est un homme arabe, il montre pas ses sentiments.
Il aime les enfants, il est là. Il est gentil, doux, mais il montre pas, il est un peu timide. Un peu fermé sur lui.
Après, les enfants ont commencé à grandir, leur père était malade, il ne se sont pas rapprochés de lui.
J’ai protégé les enfants.
Des fois à la maison, des fois à l’hôpital, entre les deux. Il a souffert. Nous aussi, avec lui. Surtout avec les enfants toute seule.
A partir de là, les paroles, j’ai senti, avec les docteurs, les enfants, abandonnée, le plus mauvais j’ai passé.
Pire que l’immigration. Parce que ta vie est en jeu. Les enfants, le mari malade.


La force individuelle Écouter cette séquence

Interviewer : Comment vous avez réussi à passer ça ?
Madame : J’ai trop souffert. Je dis pas que j’ai réussi. Les enfants ont souffert aussi, ils ont été marqués.
Là, c’est le destin. C’est contre personne. Tu souffres, tu te bats avec la vie, avec ton moral. Le mektoub.
C’est pas comme quand quelqu’un te fait du mal, tu cries dessus. Là c’est le destin. Tu souffres en silence.

Interviewer : Là aussi, personne n’a pu vous aider ?
Madame : La vérité, personne.

Interviewer : Les parents de votre mari ?
Madame : Visites à l’hôpital. Mais de vraie aide de la belle-famille, j’ai pas reçu. J’ai souffert de ça aussi.
J’oublie l’immigration. J’oublie la maladie et là une autre souffrance. J’oublierai jamais.

Interviewer : Votre famille ?
Madame : C’est pour ça, mon père répète pardonne moi. Tu sais pas lire et écrire. Tu as trouvé des difficultés.
Si ma fille savait un peu, elle s’en serait mieux sortie. Et c’est vrai. Je perds mes droits. Je sais pas demander de l’aide. Comment soigner, comment avoir de l’aide ménagère. Y’a plein de choses que j’ai raté parce que je savais pas.
J’avais honte de demander. Faut pas dire que ton mari est malade. Ça c’est une erreur aussi. Maintenant, je parlerais.
Je disais à mes enfants faut pas dire dehors que papa est malade. Personne ne parlait. C’est la mentalité de l’arabe. C’est une erreur. Si j’avais parlé, j’aurais rien gagné, mais j’aurais su ce que je faisais, aller à l’hôpital, mettre mon mari en maison de repos…
L’assistante sociale était là. Mais il y a des choses, il faut que ce soit moi qui les demande. J’ai compris après, ça.
Je suis contre personne, c’est comme ça, c’est la vie. Du côté de ma famille, on m’a pas vraiment tendu la main. Un moment, on m’a laissée tomber. J’oublie jamais.
En même temps, j’ai la conscience tranquille et je suis fière. J’ai pas fait de mal. Je l’ai accompagné jusqu’au cimetière. J’ai pas mis mes enfants à garder. L’assistante sociale m’a demandé. Tout ça, avec la vie qui roule, j’avais 27 ans, une gamine, je me battais. J’ai tenu jusqu’au bout.
Maintenant j’arrive à accrocher la vie. Les problèmes s’arrêtent pas, mais ça donne un peu de force .


La maturité Écouter cette séquence

Interviewer : Aujourd’hui vous parlez facilement, qu’est-ce qui a changé ?
Madame : C’est l’expérience de la vie. A 45 ans, quelque chose m’a fait sortir.
A force, t’apprends. A mon âge, je suis vieille, je sors. Si je restais à la maison, qu’est-ce que j’apprends ?
Je vais avec les français et avec les arabes, un morceau là, un morceau là.
Je vais rigoler, parler, même si je parle pas de moi-même, mais toujours on entend un mot, on enregistre.
Une femme plus vieille que moi, je lui ai demandé « S’il vous plaît, votre recette ? ». Elles me disent toutes « T’es belle, t’es épanouie ». je fais épanouie, mais dedans je suis pas épanouie. Un peu quand même, ça va.
Je lui dis : dis-moi ta recette pour rester jeune. Elle me dit : quand il arrive un problème, laisse-le de côté. Pense pas au passé. Vis le présent. Merci Dieu, je suis pas handicapée, j’arrive à vivre. Profite.
Elle m’a conseillée. Elle m’a dit plein de choses. Je sentais les larmes venir. Je montre pas. Les gens disent « Une femme, elle a pas de problèmes ». Pour eux, cette femme est épanouie.
Obligée de prendre les choses bien.
En Tunisie y’a pas tout ça.
A Ollioules, le marché une fois par semaine. Maintenant, le monde bouge, t’as la parabole, la télé. Nous on avait la télé blanc et noir. On en a bavé.
J’espère que tu marques pas tout ça, que tu vas trier un petit peu...


La naissance des enfants Écouter cette séquence


L'arrivée à La Seyne Écouter cette séquence


L'école maternelle, la cantine Écouter cette séquence


Famille nombreuse Écouter cette séquence


Des voisins aux chantiers Écouter cette séquence


Les heures supplémentaires Écouter cette séquence


Le budget familial Écouter cette séquence


Un amour discret Écouter cette séquence


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