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Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer

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Transcription : Femme d'un travailleur intérimaire des chantiers dans les années 80

Collecteur : Prestataire exterieur
Langue : Français

Qualité son : bonne


Présentation du témoin Écouter cette séquence

Je travaille à l’APEA. Je suis rentrée à La Seyne le 22 septembre 80. Mon mari a travaillé jusqu’en 88, les chantiers ont fermé. Il a continué à travailler en intérim à Marseille. Puis problèmes d’amiante, préretraite.
Depuis 2002 il est à la retraite.


L'installation en France Écouter cette séquence

Je suis née en Algérie, 17/12/59.
Père ancien combattant, guerre France-Allemagne 39-45, blessé en Italie, mort en 2001.
Mère au foyer, 18 enfants, 9 morts, 8 vivants.
J’étais toujours mère au foyer, comme ma mère. Mon mari au chômage, pas beaucoup de sous.
J’ai commencé à travailler, ménage.
Je suis venue à 22 ans. Pas pour vivre ici, en vacances chez mon mari. 20 jours après : le tremblement de terre d’octobre 80. Ma maison détruite, famille de mon mari 11 morts. Je suis restée ici, par retournée.
Jeune, je voulais vivre en Algérie. Mais maintenant, les enfants tous nés ici, je ne peux pas repartir.
Mon mari entré jeune en France, 1963.
Je me suis mariée en 77.
Il était à Cannes, dans un restaurant. En 74, il est venu ici, un copain travaillait au chantier. Je ne connais pas le copain, il est mort, lui m’a raconté.
Il y avait du travail, direct, c’est pour ça qu’il est venu ici à La Seyne.
Toute sa famille, ils étaient heureux. Je me rappelle, les cadeaux à Noël pour les enfants, il y avait le restaurant, même j’habitais juste à la place de la Lune. Moi, j’ai habité 11 ans face au chantier et mon mari ne rentrait même pas à la maison, il mangeait à la cantine. Ils avaient la cantine. Il payait presque rien du tout. Il y avait la cantine à côté.
Tous mes enfants sont nés ici.


Le logement Écouter cette séquence

Madame : En 80, il habite dans un studio avec un copain. On a galéré pour avoir un appartement.
Je suis restée dans un studio, avec 4 enfants, jusqu'en 90.
Restée 17 ans aux Tamaris. Après, le propriétaire m’a vendu l’appartement. Maintenant je suis heureuse.
On a fait la demande HLM. Ceux qui travaillent aux chantiers sont prioritaires. Mais la cité était mal fréquentée. On a eu peur pour les enfants, on n’a pas voulu. On nous proposait toujours cité Berthe, on n’a pas voulu.
On avait peur pour les enfants, pour l’école. Maintenant, mes enfants ont réussi à l’école.
On avait peur des fréquentations.

Interviewer : Vous préfériez rester dans un studio avec 4 enfants ?
Madame : Oui, c’était une grande chambre et une cuisine, un lit comme l’hôpital. Non, trois enfants. Le quatrième est né à l’appartement.
C’était là, à côté du chantier, place de la Lune. C’était dur, avant, d’avoir un appartement.

Interviewer : Aujourd'hui, pas de regrets ?
Madame : Non pour mes enfants, je ne regrette pas.


L'analphabétisme, le travail aux chantiers, l'amiante Écouter cette séquence

Madame : J’amène mes enfants à l’école et je les ramène, 4 fois par jour. Je ne les ai jamais mis à la cantine.
Arrivée, pas un mot de français. Appris grâce aux enfants, aux amis.
J’avais des voisins algériens, français. Avec eux, j’ai appris.
Les adultes, on parle arabe, on n’arrive pas à parler français. Avec les jeunes, on force.

Interviewer : Qui vous a aidée, quand vous aviez des difficultés ?
Madame : Mon mari. Il travaille aux chantiers, dans les moteurs. C’est un qualifié, dans les chaudières, c’était l’enfer, l’amiante aussi. Ça le gratte, toujours chez le médecin. La laine de verre, plus l’amiante. Maintenant, sa vie est détruite.

Interviewer : Depuis le début, problèmes avec l’amiante ?
Madame : Non, quand il est parti en retraite, ils ont découvert tumeur de l’estomac. Ils ont enlevé l’estomac en 2003.
Ils ne savaient pas, avant, que l’amiante était dangereuse. C’est quand le chantier a fermé qu’on a entendu que ça tue. Beaucoup sont morts. La plupart des retraités de mon quartier n’ont pas profité de leur retraite.
Des européens, des arabes aussi. Beaucoup, on leur a enlevé le poumon. Mon mari, ils ont dit c’est pas l’amiante. Moi je crois qu'ils n'ont pas voulu savoir. Mon mari ne fume pas, il ne boit pas, pourquoi l’estomac ? Moi je crois que c’est l’amiante.

Interviewer : Travail pénible ?
Madame : Pas fatigué et les derniers 5 ans toujours la grève. Mais travail sale et dans la chaudière, dans un trou, obligé de marcher sur le ventre pour entrer.

Interviewer : Beaucoup de travail de lessive ?
Madame : Oui, au début pas la machine. Ma première machine quand j’ai eu mon troisième fils, en 85.


Les intérimaires et les travailleurs des chantiers Écouter cette séquence

Interviewer : Mari qualifié, formé par les chantiers ?
Madame : Mon mari n’a jamais travaillé aux chantiers. Intérim. C’est pour ça, quand les chantiers ont fermé, ils ont eu 200 000 francs. Lui rien, parce que intérim. Il travaillait. Il pensait pas que les chantiers vont fermer.
Plus de primes aussi, l’agence d’intérim payait bien. C’est pas comme maintenant, les gens aiment bien signer un CDI.

Interviewer : Vous, vous aviez envie qu’il cherche autre chose ?
Madame : Je ne savais ni lire ni écrire. Moi l’essentiel, qu’il travaille, c’est tout.
C’est maintenant que je commence à comprendre ce que c’est l’intérim.
Moi, j’ai commencé à travailler en 99.

Interviewer : Mari a participé aux mouvements de grèves ?
Madame : Non, au contraire, les intérim c’est eux qui continuaient à travailler.
Dans mon bâtiment il y avait la cantine, c’était le parti communiste. Ils étaient chouchoutés, ceux qui travaillaient aux chantiers. C’était la sensibilité communiste.

Interviewer : Vous, vous étiez communiste ?
Madame : Je ne savais même pas ce que c’était.
Ça fait pas longtemps, même en Algérie, je sais que la gauche est pour les pauvres, la droite pour les riches.
Intérim pas pareil, pas comme ceux qui travaillent aux chantiers.

Interviewer : Comment ça se passait pendant les grèves ?
Madame : Ils le laissaient pas rentrer. Il y avait la sirène à 6 h et la dernière à 7 h. S’il revenait, c’est qu’il n'arrivait pas à rentrer.
Des fois, ils l’amènent sur La Ciotat. Ils ne le laissent pas à La Seyne, quand il ne peut pas travailler.


Le niveau de vie et le logement Écouter cette séquence

Interviewer : Pour vous, c’était des années difficiles ?
Madame : Non, c’était pas difficile. C’est vrai, moi je pense c’était mieux que maintenant. Les gens étaient heureux, malgré que… on dépense pas d’argent comme maintenant. Maintenant on dépense plus je pense, à force avec les enfants maintenant ce qu’ils veulent, on dépense plus. Avant il y avait un peu d’argent, on arrivait à vivre et le loyer n'était pas cher. L’électricité c’était pas cher, il y a tout que c’était… Moi je me rappelle, mon studio c’était très grand, je payais 600 francs, ça fait 60 euros maintenant.

Interviewer : A Tamaris, le loyer est plus cher ?
Madame : Oui, mon mari partait sur Marseille. J’avais les enfants, j’avais l’APL.
Les enfants sont grands, j’ai plus l’APL.


Après la fermeture des chantiers Écouter cette séquence

Madame : Après 88, il a été embauché par son patron. Mort en 2003, cancer d’amiante.
Il l’emmenait sur Marseille, à Sète. Ils travaillaient sur les chaudières toujours, Marseille, Port de Bouc, où il y a des bateaux. Toujours en intérim. Kaddouche, agence à Six Fours.
Il prend les gens, il les prête aux petits patrons qui travaillent.
Je reste avec mes enfants. 3 garçons, une fille.
Fille infirmière. Le dernier en seconde. Aîné : bac pro menuiserie, trouve pas en menuiserie, fait intérim. Le troisième, bac électrotechnique, stage de 10 mois, mais ne l’ont pas embauché.
J’ai rien. Mon mari touche 600 euros de retraite. Il touche pas beaucoup parce qu’il n'a pas travaillé longtemps aux chantiers lui, il a travaillé de 74 jusqu’à 88.
Le travail qu’il avait avant, il a pas été déclaré, au restaurant.

Interviewer : Pendant 10 ans, de 63 à 74 ?
Madame : Mmh. Les gens ne pensaient pas à la retraite avant. Ils ne pensaient pas. Ils ne connaissent pas.
Pourtant il sait lire et écrire mon mari, il est allé à l’école. Mais il n'a pas été embauché par des patrons honnêtes.
600 euros de retraite, je peux pas vivre avec. Heureusement que je travaille.


Le travail du témoin Écouter cette séquence

Interviewer : Comment vous avez trouvé du travail ?
Madame : J’ai cherché partout. L’APEA aussi m’ont aidée beaucoup. Au début chez eux et après j’ai envoyé des CV partout, les entreprises de nettoyage, j’ai été embauchée en 2001.

Interviewer : Appris à lire et à écrire ?
Madame : Un petit peu ici. Dès que j’ai commencé le travail, j’ai arrêté.
J’arrive à déchiffrer un peu les noms et les prénoms sur les boîtes aux lettres.
J’ai pas le temps, j’aimerais bien retourner apprendre. Je finis tard le soir, on est fatigués, je n’arrive pas.
Je regrette, quand mes enfants étaient à l’école, on apprend facilement quand on est jeune.
Je suis rentrée à 22 ans en France, à 44 ans j’ai commencé à apprendre.
Je ne connaissais pas. Mon mari m’a dit vas-y, une école, mais comme j’étais trop occupée avec les enfants, je n’ai pas pensé que c’était important. Je n’ai pas cherché. Si je le savais... parce que c’est important. Quelqu'un qui sait pas lire, c’est un aveugle. Heureusement maintenant je commence un petit peu à regarder.


La vie quotidienne Écouter cette séquence

Interviewer : Vous devez, en plus, vous occuper de votre mari malade ?
Madame : Non ça va. Il n'est pas malade, mais il est devenu pénible. Il n'a plus d’estomac, il est très nerveux.
On supporte.
Il m’aide un peu, la vaisselle, la machine.
Il me dit c’est ton tour maintenant.

Interviewer : Vous êtes contente de travailler ?
Madame : C’est vrai c’est fatiguant. Mais je préfère. Surtout mon mari, en retraite, qui reste à la maison. Je veux pas rester avec lui !
Je bouge beaucoup. Je n’arrête jamais. Ça m’angoisse si je reste à la maison.
Mais c’est vrai, c’est fatiguant. Je fais les trajets, je n’ai pas de voiture.
Si je savais lire, j’aurais passé le permis il y a longtemps.
Je pars en bus.
J’ai tout à côté d'où j’habite, le bus, l’école, la pharmacie, parce que les enfants étaient tout le temps malades quand ils étaient petits, le médecin. Comme on n’avait pas la voiture, j’ai pris l’appartement près de l’école.


Le racisme Écouter cette séquence

Interviewer : Vos enfants connaissent l’Algérie ?
Madame : Oui, quand ils étaient petits, tous les deux ans. On restait deux mois d’été.

Interviewer : La Seyne a beaucoup changé ?
Madame : Oui, il y avait plus d’ambiance, des magasins. Pas de racistes. Maintenant, beaucoup de racistes, parce qu'il n'y a pas de travail.
Une fois dans le bus, un retraité a dit au chauffeur, c’est les arabes qui ont pris le travail. J’ai dit monsieur vous parlez comme ça parce que vous connaissez pas l’histoire de France. Mon père a perdu son bras pour le drapeau français. Il touche la misère jusqu’à sa mort. Ça m’a fait mal au cœur.
Je suis désolée ce ne sont pas tous les immigrés qui vivent avec le social.
On est dans la misère quand on vit avec le social.
Les gens qui aiment l’Algérie, ils aiment les algériens.
Mon père est né français, il n'avait même pas le droit d’aller à l’école.
Je me suis énervée.

Interviewer : Quand les chantiers ont fermé, ça a provoqué des problèmes de racisme ?
Madame : Si, je pense que c’est de là. A l’arsenal, ils ont refusé mon mari, parce qu’il n'est pas français.
Dès qu’il y a pas de travail, ils ne prennent pas.
Mon mari avait la nationalité française jusqu’en 65, il a pris la nationalité algérienne.
Les enfants ont le droit, mais nous on n’a pas le droit d’avoir la double nationalité.
Aux chantiers, il restait jamais un jour au chômage. 86-88 il a travaillé à l’arsenal, 88 c’était fini.
Mon mari c’est vrai il est un peu feignant… Il n'aime pas doubler les heures. C’est pour ça qu’il n'a pas trouvé aux chantiers, s’il a envie de s’arrêter il s’arrête.
Depuis que le chantier a fermé, il n'a pas arrêté, parce qu’il a compris que c’est difficile pour avoir du travail.
[elle doit partir]

Interviewer : Vous pensez que le chantier revient, ou non ?
Madame : C’est fini... C’est fini... Je ne sais pas...
J’aimerais bien que les gens vivent tous ensembles, qu’il n’y ait pas de racistes, surtout pour nos enfants, qui sont nés ici.
Parce que moi si je prends la retraite, je ne vais pas rester ici. Je vais vivre plus en Algérie qu’ici, parce que j’ai toute la famille là-bas. Je veux voir mes frères qui ont vieilli. Je suis devenue vieille là, je n’ai pas profité de ma famille. C’est ça que je regrette, je n’ai pas profité de ma famille. C’est tout. Si mes enfants sont là, je suis obligée de venir ici toujours, parce que mes enfants sont là. On ne peut pas rester sans nos enfants, les voir.
J’aimerais bien voir mes petits enfants aussi. C’est tout...