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Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer

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Transcription : Femme de ménage dans les cabines de bateaux des chantiers dès 1969

Collecteur : Prestataire exterieur
Langue : Français

Qualité du son : bonne


Femme de ménage sur les bateaux Écouter cette séquence

J'ai travaillé aux chantiers navals. Moi, je n'y travaillais plus quand ils ont fermé.
J'ai travaillé pour la Saminet, puis pour la Somonet. Je nettoyais les plaques de formica dans les cabines. On enlevait du plastic sur le formica.
Je travaillais avec ma mère et puis seule après. Ma sœur aussi y travaillait. On est rentrées ensemble à la Saminet.
C'était des grands bateaux. Je ne sais pas à quoi ils servaient. Les cabines étaient petites, avec une salle de bain, un lit. On était que des femmes.
La Saminet m'a renvoyée, alors j'ai travaillé pour la Somonet.


Les conditions de travail Écouter cette séquence

J'étais une jeune femme de 24, 25 ans.
On travaillait même la nuit, pour éviter d'être avec les hommes.
La nuit c'était pas plus payé.
Je ne sais pas pourquoi on m'a renvoyée de la Saminet.
C'était une pourrie notre patronne. Elle ne faisait rien.
A la Somonet, c'était mieux.


Le personnel au ménage Écouter cette séquence

Le travail était très difficile. Il fallait enlever le plastic qui protégeait les plaques en formica.
Y'avait pas beaucoup d'immigrées.
Les différences de races ne me dérangeaient pas. On s'entendait très bien. Il y avait toutes les générations.
On parlait quand on sortait, mais pas pendant le travail.
On était plusieurs dans la cabine.


Les hommes et les femmes aux chantiers Écouter cette séquence

J'avais une copine qui habitait à Saint-Jean.
J'ai rencontré sa famille, son frère…
Tous travaillaient aux chantiers.
Mon oncle était soudeur aux chantiers aussi.
Les ouvriers se formaient dans les chantiers.
Mon oncle y a travaillé toute sa vie.
Les femmes n'étaient pas ouvrières. Elles n'étaient qu'au ménage. C'était très dur, pas comme un ménage traditionnel.
On avait une lame de rasoir pour racler le plastic.


La cabine de commandement du bateau Écouter cette séquence

On a travaillé dans la cabine de commandement.
On était heureuses de travailler là.
On était toutes folles parce que c'était le centre du bateau.
Une seule fois je suis montée dans cette salle de commande.
Les cabines, elles, étaient aveugles, mais je ne me sentais pas enfermée.
Il y avait au moins 60 cabines: elles étaient doubles.


Les armateurs Écouter cette séquence

Les armateurs privés venaient visiter pour acheter.
Ils nous disaient ce qui allait ou n'allait pas.
Je pense que les chantiers n'étaient pas privés.
Parfois l'armateur achetait. Je ne connais pas le prix d'un bateau.
Il y avait une bonne ambiance sur les bateaux.
Je vois encore des gens avec qui j'ai travaillé aux chantiers.


L'amicale bar à La Seyne Écouter cette séquence

Beaucoup de gens travaillaient aux chantiers.
Je suis arrivée à La Seyne à 10 ans, de Paris.
Mes grands-parents voulaient quitter leur hôtel là-haut et acheter un bar dans le sud.
Ils ont acheté "l'Amicale Bar" dans le centre de La Seyne.
Dans ce bar, tous les ouvriers du chantier venaient boire un coup.
On entendait le chantier sonner.
Quand ça a fermé, c'est devenu une ville morte. Avant c'était chaleureux, il y avait des concours de boules dans le bar.


La fermeture des chantiers Écouter cette séquence

J'ai travaillé au bar à partir de 16 ans. Je suis de 1959.
Quand le chantier a fermé, ça a été un désespoir. On ne savait pas que ça allait fermer.
J'y suis entrée à 23 ans. Après, tout le monde s'est retrouvé au chômage. Tout le monde était désespéré.
Après on n'en parlait plus. C'était un trou.
Après, quand ils ont fermé, puis détruit, qu'est-ce qu'ils ont pensé les gens ?
Fallait bien qu'on fasse autre chose.


La destruction des chantiers Écouter cette séquence

Ils ont détruit vite.
Il y a eu Marépolis. Patrick Bruel, Hervé Vilard sont venus chanter là.
Ça m'a touchée que ce soit détruit.
La porte qu'ils ont gardée ouvre sur la mer et c'est tout.
Je préférerais que ce soit les chantiers plutôt qu'un parc.


Seynoise et parisienne, la sirène des chantiers Écouter cette séquence

Je ne me sens pas seynoise. Je suis parisienne.
On est nés dans le milieu de bar et hôtel. Ma mère et moi, on ne s'est jamais fait à La Seyne.
On était considérés comme des parisiens.
J'étais en concubinage avec un gars d'ici qui travaillait aux chantiers aussi. Ma fille est née ici en 1992.
Les chantiers nourrissaient une famille. Mon compagnon n'en parlait plus, après la fermeture.
La sonnette du chantier s'entendait dans tout le centre ville. Il y avait du monde qui sortait et qui rentrait.


La fermeture des chantiers et les manifestations Écouter cette séquence

On pensait que c'était notre faute la fermeture des chantiers. Comme si on faisait mal notre travail.
Ils ont fermé parce qu'il n'y avait plus de commande. On a pas su plus.
Il y a eu des manifestations devant le chantier. Il n'y avait que des hommes. Il y avait tous les syndicats: FO, CGT, CFDT.


Femme de ménage sur un bateau Écouter cette séquence

J'ai travaillé seulement sur un bateau, pendant des mois et des mois.
C'était long, mais ça nous faisait du bien de travailler.
Il était déjà dans l'eau, mais ça ne tanguait pas.
Je n'ai pas vu le lancement.
Je ne travaillais que sur les bateaux.
On était mélangées entre femmes de ménage de différentes entreprises.
On n'avait pas accès à la cantine. On rentrait à midi chez nous. On venait nous chercher avec le car et on nous ramenait.


La vie familiale, les loisirs et les problèmes de santé Écouter cette séquence

J'habite à Germinal, depuis que ma fille a trois mois, en 1992.
Mon frère aussi y habitait. Il est mort à 40 ans d'une thrombose générale.
Moi aussi, j'ai une thrombose, mais cérébrale. C'est génétique. Ma mère aussi est morte en août dernier. Mais ma fille ne peut pas l'avoir.
Mon mari m'avait foutue dehors. Il avait gardé la petite et je l'ai récupérée.
J'ai envie de partir de La Seyne pour aller à Six-Fours.
Ici, je fais pleins de choses à Nelson Mandela : tricot, crochet, sortie... Ma fille fait des activités aussi.
Je ne peux plus travailler. J'ai toujours été renvoyée dans ma vie.
La dernière fois, j'étais femme de ménage pendant 12 ans à la mairie. Maintenant, j'ai la Cotorep.
Je suis beaucoup allée à l'hôpital.


Les syndicats Écouter cette séquence

J'ai jamais vu de syndicalistes venir nous chercher.
J'étais FO comme mon oncle, ma sœur et ma mère.
Mon oncle nous a pistonnées pour rentrer aux chantiers.
Mon oncle était soudeur aux chantiers. Il a fait d'autres métiers aussi sur les chantiers. Il ne rentrait pas par la même porte que nous. Lui ne travaillait pas sur les bateaux.
La politique ne m'intéresse pas. Je n'avais pas de carte de FO sur les conseils de mon oncle, mais je ne sais pas pourquoi.
On n'allait pas non plus aux réunions.


Les manifestations Écouter cette séquence

Mon oncle et mon père ne voulaient pas qu'on aille aux manifestations. De toute façon, il n'y avait que des hommes.
Entre syndicalistes, ils se frappaient.
Avec la direction aussi c'était dur. Je l'entendais au bar. Là ils parlaient librement.
Il y avait même un ingénieur qui venait au bar: Mr Giovanetti.


Après les chantiers Écouter cette séquence

Je ne sais pas ce que sont devenus les hommes. Beaucoup sont morts de l'amiante.
Mon oncle est en bonne santé.
Mon mari est mort parce qu'il buvait.
Certains vont à la cellule encore aujourd'hui. C'est peut-être politique, je ne sais pas.
Je sais qu'il fallait donner sa paye pour la cellule.


La destruction des chantiers Écouter cette séquence

Sur le site, Charles Scaglia -et avant Maurice Paul- ont détruit les chantiers.
Il y a eu des chanteurs. J'y allais. Maintenant tout ça n'existe plus.
Place de la Lune c'est un parking maintenant. Il n'y a plus rien. Il n'y a plus de cinéma. Ils ont détruit le Rex et l'Odéon. Là, il y avait le Noël des chantiers.
Le marché y est toujours, mais c'est plus comme avant. Il y a moins de monde.
C'est mort, sauf quand viennent les touristes.


Le bar à La Seyne Écouter cette séquence

Il y a quelques touristes. Avant, même le soir c'était animé. Même les carnavals, c'est perdu.
Le 14 juillet, le bar était ouvert. Le soir aussi. Mon père fermait à minuit, parfois plus tard.
On habitait au-dessus du bar.
Enfant, j'allais en vacances à La Ciotat dans un hôtel.
Un taxi nous a proposé une affaire à La Seyne. On s'est installés comme ça. Le bar existe encore.
Avant, il y avait 3 bars. Maintenant, il n'y en a plus qu'un. C'était un bar de quartier. Ça marchait bien.
Après la fermeture beaucoup sont partis, ont fermé.


Le pont et le train des chantiers Écouter cette séquence

Le pont c'était pour le train de marchandises. J'allais le voir quand j'étais petite. On était contents de voir ça quand on était gosse.
Ma fille ne connaît rien de tout ça. Elle n'aime pas trop La Seyne.
Maintenant je ne sors pas parce que j'ai peur. Il y a des voitures qui brûlent.
Le pont est dressé et ne descend plus maintenant. Il passait même sur un terrain de boules. C'était un train de marchandises. Il allait jusqu'à La Piro.


Les Maires de La Seyne-sur-Mer, la politique Écouter cette séquence

Il reste un peu de chantiers mais pas beaucoup.
Je ne vais jamais dans le parc. Pour quoi faire ?
Qu'est-ce qu'ils ont pensé les hommes en quittant le chantier ? Ils ne pouvaient rien retrouver.
Mon oncle est rentré dans la politique. J'ai connu les maires, Giovannini, Blanc, Paul, Scaglia, Pesch.
Le nouveau ne m'intéresse pas. Je ne sais pas comment il s'appelle.
Mon oncle était conseiller municipal avec Scaglia, dans la droite. Pesch est à droite. Tous les autres sont de gauche.
La gauche ne m'intéresse pas. De toute façon, depuis la mort de mon frère et de mon père je ne vote plus. Ce n'est pas la peine. Les politiques ne regardent que ce qui les intéresse. Pesch ne m'a jamais aidée quand je travaillais à la mairie.
Ma sœur habillait ma fille. Ma fille s'en fiche de la politique. Elle a quinze ans.


La fille du témoin et La Seyne avant Écouter cette séquence

C'est une drôle, ma fille. Elle est née à La Seyne. On habitait au Messidor. Elle a connu La Seyne après les chantiers, après les fêtes foraines.
On ne parle pas des chantiers à l'école. Je lui en parle un peu autour de son père. Personne ne parle des chantiers à l'école. Elle est scolarisée en maison d'amaigrissement. Ici à La Seyne, elle n'a personne.
Je suis allée à la chapelle pour la communion de ma fille. Moi j'ai fait mon catéchisme à la maison du peuple. Ma fille a fait son catéchisme aussi. Le père Margier travaille à Gaspar. C'est le directeur de Gaspar. Il était ouvrier à La Seyne.
C'était bien quand j'étais jeune, La Seyne.
Aujourd'hui, personne ne parle de faire revivre La Seyne comme avant. Les ouvriers vivaient et couraient.