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Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer

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Transcription : Fille d'une soudeuse et mari mécanicien sur les moteurs des bateaux dès 1948

Collecteur : Prestataire exterieur
Langue : Français

Qualité du son : bonne


Les débuts au chantier en 1948 Écouter cette séquence

Interviewer : Quand est-ce que vous y êtes rentré ?
Monsieur Q : Je suis rentré à 17 ans, en 48.

Interviewer : Quelle était votre formation ?
Monsieur Q : J’avais fait le lycée, à l’époque c’était Martini. J’avais un CAP et un Brevet Industriel, qu’on appelait un BEI. C’est ce qui m’a servi ensuite de rentrer dans l’enseignement.

Interviewer : Vous passiez le CAP et le BEI après ?
Monsieur Q : Dans la même année.

Interviewer : Après, vous êtes rentré directement aux chantiers ?
Monsieur Q : Oui, c’était la voie. Je voulais rentrer à l’arsenal mais comme je n’avais pas 18 ans, il me reprenait qu’à l’école d’apprentissage. Je ne voulais pas, donc je suis rentré aux chantiers.

Interviewer : En 48, il y avait déjà une école d’apprentissage aux chantiers ?
Monsieur Q : Je suppose, je ne m’en rappelle plus.

Interviewer : Vous ne l’avez pas faite ?
Monsieur Q : Non, moi j’ai fait le lycée.

Interviewer : Vous êtes rentré directement aux chantiers, vous aviez un matelot comme on dit ?
Monsieur Q : Non, quand je suis rentré c’était moi le matelot. Je suis rentré à l’époque comme jeune ouvrier. C’était à partir de 18 ans qu’on était ouvrier.

Interviewer : Directement vous avez été sur les travaux ?
Monsieur Q : Directement sur les travaux, oui.


Le métier de mécanicien Écouter cette séquence

Interviewer : Qu’est-ce que vous faisiez ?
Monsieur Q : Là, on faisait de la mécanique. Je travaillais sur les turbines. Vous savez à l’époque, il y avait des garçons qui rentraient à 14 ans et qui faisaient ce qu’on appelait le matelot. C’était courant qu’ils traînent la caisse d’outils, en particulier ceux qui travaillaient à bord.

Interviewer : Vous avez eu un apprenti avec vous ?
Monsieur Q : Non, je ne pense pas que j’ai eu d’apprenti. J’ai suivi les gradations P1, P2, P3.

Interviewer : Quand vous êtes parti des chantiers, vous étiez à quel niveau ?
Monsieur Q : J’étais OP3. Là, quand j’ai travaillé plusieurs années à l’ailetage quand il avait ces fameux... Puis, on l’a supprimé, on m’a mis au contrôle pendant à peu prés 1 an et je suis parti.

Interviewer : C’est quoi P1, P2, P3 ?
Monsieur Q : C’est des catégories, qui existent toujours d’ailleurs. C’est ouvrier professionnel 1, 2 et 3. Ça vient à l’ancienneté, au bout d’un certain temps qu’on était dans une catégorie, vous passiez à une autre catégorie. Après, on a créé les maîtres ouvriers. Je m’en rappelle, mais moi je n’ai jamais été maître ouvrier. Ça c’était pour les anciens.

Interviewer : Vous étiez directement dans l’atelier mécanique ? Et vous avez travaillé sur quoi ?
Monsieur Q : En principe, on faisait la réparation des turbines parce qu’à l’époque il y avait encore beaucoup de bateaux à vapeur, surtout des vieux bateaux, parce que c’était après la guerre. J’ai travaillé à bord aussi et je revenais. Oui, on a fait des réparations parce qu’il y avait le montage et le démontage. Après, je me suis spécialisé pendant plusieurs années pour ce qu’il appelait l’ailetage. C'est-à-dire que c’était la fabrication de ces turbines. Une turbine, c’est un stator, un rotor. Donc, je m’étais spécialisé dans la fabrication de ce qu’on appelait des ailettes. Vous voyez, ces systèmes qui étaient sur la partie... ça c’est le stator et puis vous avez la partie qui tourne le rotor. Donc, on était spécialisés pour fabriquer ça et puis de les monter. Alors, souvent il fallait les mettre en place sur le bateau, s’il était ici, ça va mais des fois il était à Marseille. Ces machins-là étaient transportés et rapportés.


Le travail des femmes aux chantiers Écouter cette séquence

Monsieur Q : Donc, c’est là qu’il y avait les dames qui travaillaient. Elles faisaient des travaux, il y avait des petits travaux minutieux, faire des trous. Comme dans l’électronique, ce sont les dames qui font les petites soudures. Il y avait ma belle-mère, elles devaient être au moins 6 ou 7. [il y avait plusieurs personnes entre autre madame B] Madame B, je ne sais pas si elle est toujours en vie. Dernièrement, elle était …

Interviewer : Et elle, vous ne savez pas jusqu’à quand elle a travaillé ?
Monsieur Q : Oh, elle a travaillé, parce qu’après... Elle s’est retrouvée avec moi dans le bureau.
Madame Q : Elle est partie avec moi dans les bureaux de la direction.
Monsieur Q : Quand, ils ont supprimé ce machin, il n’y a plus eu de ...

Interviewer : Les femmes sont parties de l’atelier mécanique à partir du moment où ils ont supprimé ...
Monsieur Q : Oui, c'est-à-dire qu’à partir d’un certain moment il n’y avait plus assez de travail. D’ailleurs après, moi aussi on m’a viré. Quand il y avait une réparation, comme moi ou d’autres, on allait travailler une semaine, quinze jours parce que des bateaux à vapeur, il y en a eu de moins en moins. A un moment donné, il n’y en a plus eu du tout.

Interviewer : Il n’y avait plus…dans les turbines….
Monsieur Q : Il n’y avait plus de turbines, c’était des diesels, c’était plus la vapeur. C’était le moteur comme sur une voiture.

Interviewer : Donc, les femmes ont travaillé dans l’atelier mécanique tant qu’il y a eu des turbines à vapeur.
Monsieur Q : Oui, en gros je suppose jusqu’à la fin des années 50.

Interviewer : L’idée, c’était parce que c’était des petits travaux minutieux.
Monsieur Q : Oui, c’est ça je suppose parce que ma belle-mère, elle est rentrée à la fin de la guerre en 45, 46, à peu près. Avant, elle travaillait, elle faisait un pont roulant à la tôlerie pendant un certain nombre d’années. Elle n’était pas la seule.
Madame Q : Et même au début, quand elle est rentrée, elle a commencé à faire l’école de soudure, au décès de papa.
Monsieur Q : Oui mais enfin, elle n’a pas soudé après. Elle a travaillé quelques années après je ne sais pas si on a supprimé ce type de …. On les a toutes ramenées petit à petit. Ces dames étaient employées à la lingerie où ils arrangeaient les vêtements de travail. On les a toutes rassemblées là. Pourquoi, je n'en sais rien. Elles étaient 6 ou 7. Alors, cette madame B, il y a quand même quelques années, parce que nous on est allés la voir. Elle était à Six-Fours au foyer Faraud. C’est le foyer quand vous prenez l’avenue, pas loin de la mairie, en face. Vous traversez Six-Fours, l’avenue qui a la mer et il y a un foyer là, un foyer logement.

Interviewer : Je téléphonerai au foyer et je demanderai si madame B est encore de ce monde.
Monsieur Q : B, c’était son nom de ... je ne sais pas si elle était divorcée. Anna, elle s’appelait. Ça fait bien 3, 4 ans.

Interviewer : Et il y a 4 ans, elle avait quel âge, à peu près ?
Monsieur Q : Elle devait avoir 75 ans, à l’époque pas loin de 80. Elle était valide puisqu’elle était dans le foyer logement.

Interviewer : Ce n’est pas d’être valide, c’est d’avoir toute sa tête.
Madame Q : Maman, ça fait 8 ans qu’elle est décédée, elle n’aura pas pu trop vous donner de renseignements.
Monsieur Q : À la fin, elle avait 90 ans, ça n’allait pas du tout.


L'atelier mécanique Écouter cette séquence

Interviewer : Parlez moi un peu de cet atelier mécanique parce que je me suis posé la question que...
Monsieur Q : Vous n’avez pas parlé avec Monsieur L ?

Interviewer : Oui.
Monsieur Q : Parce que lui il y a fait sa carrière.

Interviewer : Oui, lui, il m’a dit, ce qu’il a bien voulu me dire. Chacun dit ce qui...
Monsieur Q : Mais, moi, ça fait loin.

Interviewer : Vous y avez travaillé une certaine époque, vous avez travaillé de 48 à 61 donc vous n’avez même pas connu la période 66 où il y a eu des menaces sur les chantiers, vous n’étiez plus là, mais vous aviez quand même connu une période florissante.
Monsieur Q : Oui, à l’époque il y avait du travail. On était 5 ou 6000 à l’époque. Il y avait du monde parce qu’il y avait de la construction.

Interviewer : Combien vous étiez à cette époque là dans l’atelier mécanique ?
Monsieur Q : Il y avait du monde.

Interviewer : Comment c’était organisé parce que selon les personnes, il y a certaines personnes qui vous parlent de certaines choses mais qui ne vous parlent pas d’autres choses. La mémoire c’est ça, elle est sélective.
Monsieur Q : Je pense qu’il a dû en rester jusqu’à la fin. Vous aviez tout un rez-de-chaussée où il y avait les machines outils. Il y avait une grande partie de l’atelier où c’était des grosses machines. Où ils faisaient justement ces turbines. Puis, il y avait ce qu’ils appelaient des nefs, c'est-à-dire des allées. Donc, il y avait deux allées où c’était des grosses machines, des turbines. A une certaine époque, on faisait des chars dessus. Ils faisaient l’usinage des tourelles des chars. Après, il y avait la troisième nef où c’était des petites machines. Chaque machine avait son opérateur. Il y avait des tours. Chacun faisait des pièces. Là, il y avait toute une allée. Au dessus, au milieu, ils avaient mis un étage où il y avait ce fameux ailetage où on fabriquait les ailettes. Puis, à l’autre bout, il y avait ce qu’on appelait l’entretien, ça c’était en étage.

Interviewer : Est-ce qu’il y avait une ambiance particulière dans cet atelier mécanique ?
Monsieur Q : C’est toujours pareil.

Interviewer : Ambiance de travail. Généralement à cette époque là, tout ce qui était ajustage, mécanique, c’était assez prestigieux ?
Monsieur Q : Oui.

Interviewer : Est-ce que le fait de travailler à l’atelier mécanique ça donnait un certain prestige ? Je peux vous poser la question à vous madame qui étiez l’épouse de..., est-ce que cela donnait un certain prestige ou pas, selon vous ?
Monsieur Q : Non, moi je pense qu’il y avait des tôliers, il y avait des ateliers qui avaient autant de prestige que nous.

Interviewer : Parce que les chaudronniers ils frappent la tôle, moi, je sais j’ai étudié l’enseignement technique, c’est que l’ajustage, le mécano c’était quand même autre chose que le chaudronnier.
Monsieur Q : Cela dépend du point de vue où on se place. Moi, je sais qu’à la tôlerie, il y avait quand même, ne serait-ce que la section traçage ; quand il fallait faire des portions de navire, ça demandait beaucoup de savoir faire.

Interviewer : Donc, vous n’avez pas ce sentiment là ?
Monsieur Q : Non.

Interviewer : Dire que mon mari travaille à l’atelier mécanique c’est un peu plus que de travailler à l’atelier bois ?
Monsieur Q : Non, ça se trouvait comme ça. Quand je suis rentré au lycée, il y avait trois sections chaudronnerie, menuiserie et mécanique. Il n’y avait pas ni l’électronique, ni l’informatique. Il y avait un choix à faire. J’avais choisi la mécanique parce que j’étais plus ou moins intéressé. Puis, c’est parti de là puis après dans l’enseignement. J’ai enseigné la mécanique.


Enseignant maître auxiliaire Écouter cette séquence

Interviewer : Comment vous avez quitté la mécanique, comment c’est venu ?
Monsieur Q : C’est une histoire un peu... d’ailleurs il faut se situer dans la période des années 60 où je n’étais pas le seul à partir. On avait du travail, on pouvait partir au Canada, en Australie, en Afrique du Sud. J’ai des copains qui sont partis en Afrique du Sud. Ils sont revenus après. On pouvait partir, par exemple, parce que moi j’ai prospecté un peu et j’avais un copain qui était parti dans la région de Grenoble où on avait monté une zone industrielle et ils cherchaient justement des mécaniciens régleurs. Lui, il était parti il était tourneur. J’avais toute la documentation pour, parce que je voulais partir. On n’était pas les seuls à quitter. Puis, ça c’est trouvé que j’avais un autre copain qui est parti ailleurs. On est partis ensemble. Et il m’a dit : « Dans l’enseignement, on cherche des maîtres auxiliaires ». Parce qu’après il fallait passer les concours. Alors, je suis parti en bon terme. Quand je suis parti, il y avait un gérant qui m’a dit : « Si, ça marche pas tu peux revenir ». J’aurais pu revenir.


L'avancement et les promotions professionnelles Écouter cette séquence

Interviewer : Aux chantiers, ils vous incitaient à avancer socialement, ou ils vous retenaient plutôt ?
Monsieur Q : Non, c’était une époque où j’étais déjà axé sur l’enseignement. Il y avait une école d’apprentissage à l’époque. J’avais un collègue qui travaillait là, il s’est spécialisé dans les soudures. Il est allé faire un stage. A l’époque on commençait à souder, la soudure à l’argon, les aciers inoxydables. Donc, son poste était libre. J’ai sollicité ce poste et on m’a dit oui, après on m’a dit non et on en a mis un autre. On m’a dit on a besoin de toi à l’ailetage. Puis, à l’ailetage, six mois après, on m’a viré parce que je n’avais rien à faire, on a fait un contrôle. De là, j’ai dit j’ai 30 ans, il faut que je trouve autre chose parce qu’après c’est trop tard. C’est parti de là. J’ai eu la chance d’être maître auxiliaire et d’être tombé ici à Martini.

Interviewer : Vous avez fait une demande pour être maître auxiliaire ?
Monsieur Q : Ah oui, à l’époque c’était facile, on recrutait. Après, c’était toujours pareil, j’ai présenté des concours. J’ai travaillé, j’ai pris des cours par correspondance.

Interviewer : C’est un exemple là.
Monsieur Q : Ah oui, et puis on travaillait seul. Là, il m’a fallu trois ans. La troisième année, j’ai eu un poste automatiquement parce que, normalement, ceux qui présentent le concours on les envoyait dans les écoles normales.

Interviewer : Quel concours vous avez fait ?
Monsieur Q : J’ai présenté le concours, maintenant on appelle ça les lycées professionnels, avant c’était les collèges techniques.

Interviewer : C’était quel concours exactement, c’était les PTA ?
Monsieur Q : Oui, c’était le concours des PTA à l’époque, Professeur Technique Adjoint de collège. Je l’ai présenté une fois, c’était en 64. J’étais sur une liste supplémentaire, mais je n’ai pas pu passer parce que c’était l’époque où on a rapatrié tous les profs qui étaient en Algérie, en Tunisie. L’année d’après j’ai réussi et j’ai été nommé en Haute-Savoie. Là, je suis reparti, j’ai continué toujours mes cours par correspondance. J’ai préparé le concours lycée et je l’ai eu. Là, aussi il a fallu travailler beaucoup ; surtout qu’à l’époque on avait pas des... c’était la planche à dessin.

Interviewer : C’était quoi votre spécialité ?
Monsieur Q : Ça a été un peu tout. Au départ, ça a été les petites machines. Puis, après quand j’ai fini au lycée, c’était les commandes numériques. Donc, on a été obligés de s’adapter au fur et à mesure. Après, de la Haute-Savoie, j’ai été nommé à Champigny, dans le Val de Marne, 2 ans ou 3 ans.

Interviewer : Vous avez suivi bien sûr ?
Madame Q : Oui.
Monsieur Q : Après, j’ai posé mes machins, ç'est tombé qu’ils ont créé des postes et j’ai eu un poste.

Interviewer : A Langevin.
Monsieur Q : C'est-à-dire qu’à l’époque on n’était pas encore à Langevin. On était à Beaussier. Ils avaient mis des baraquements.

Interviewer : Combien de temps vous avez enseigné à La Seyne, en dernier lieu ?
Monsieur Q : A La Seyne, j’ai dû arriver en 69 et je suis parti en 91, puisque j’ai eu 60 ans en 91.

Interviewer : Donc, plus de 20 ans.
Monsieur Q : Oui, j’ai eu 30 ans d’enseignement. Je suis rentré à 30 ans et je suis parti à 60.

Interviewer : Est-ce qu’il y a d’autres gens de votre génération qui ont fait la même chose peut être pas l’enseignement forcément, mais qui ont quitté les chantiers comme ça ?
Monsieur Q : Oui, il y en a pas mal. Celui qui nous a renseigné et qui est parti dans la région de Grenoble. Après, on se perd de vue. Moi, j’ai un copain, lui il s’est arrêté au collège. Lui, il a été nommé aussi à Corbeil. Quand on montait sur Paris, on montait ensemble et il est revenu lui à Cisson, à Toulon. Lui aussi, on s’est un peu perdus de vue. On se téléphonait au début.

Interviewer : Ce qui est intéressant par rapport à leur génération, c’est qu’il y avait des possibilités de promotion extraordinaire qu’il y a beaucoup moins aujourd’hui.
Monsieur Q : Énorme, parce que par exemple vous alliez à l’époque, enfin moi, je suis tombé sur une mauvaise année mais vous présentiez un concours, il y avait un certain nombre, c’était toujours une question de budget, ils mettaient par exemple 400 places. Mais, ils faisaient des listes supplémentaires et à la rentrée, ils puisaient sur ce supplémentaire parce qu’il y avait des créations d’établissements, donc il y avait des créations de postes. Donc, vous n’étiez pas éliminé sur la liste supplémentaire. Vous aviez des chances de trouver un poste. Maintenant, c’est différent quand il y a 300 postes, il y a 5000 candidats, c’est plus compliqué.

Interviewer : Il ne faut pas trop les plaindre quand même, parce qu’il y a d’autres choses positives, les conditions de vie meilleures qu’avant mais, en même temps, il y a des choses beaucoup plus difficiles. Il ne faut pas être trop négatif. Quoi qu’il en soit il faut beaucoup travailler. Il n’y a que ça.


Les grèves, les appelés pour la guerre d'Algérie Écouter cette séquence

Interviewer : Pour revenir à notre affaire, avant de passer à madame, à l’atelier mécanique est-ce que vous étiez syndiqué ?
Monsieur Q : Non, je n’étais pas syndiqué. J’étais syndiqué en tant qu’enseignant, mais pas en tant qu’ouvrier, mais enfin quand il y avait des mouvements, je suivais le mouvement.

Interviewer : Vous suiviez le mouvement.
Monsieur Q : De gré ou de force.

Interviewer : Mais c’est intéressant parce qu’on a des idées toutes faites parfois de l’extérieur et à force d’entendre les gens, on se rend compte que ce n’était pas tout à fait …
Monsieur Q : Oui, il y avait des trucs souvent. Moi, je me rappelle qu’on avait des grèves des fois qui n’avaient rien à voir avec le salaire, qui étaient des grèves politiques.

Interviewer : C’était l’époque aussi, c’était l’époque de la guerre froide.
Monsieur Q : Puis, il ne faut pas oublier que c’était l’époque de l’Algérie, ça a marqué notre génération. Moi, j’ai eu une chance inouïe, c’est d’avoir fait mon fils en 55, ça a reculé ma classe. Au lieu de la classe 52, je me suis retrouvé dans la classe 57. Ce qui fait que j’étais versé comme gendarme auxiliaire, mais j’ai des copains qui sont partis en Algérie, en 56. Donc, ça aussi, ça a marqué parce que c’est toute une génération qui a souffert. Il y en a quand même 23 ou 24 000 d’appelés qui y ont laissé la vie, là-bas. La Seyne était moins peuplée, on se connaissait beaucoup plus par génération. On a quand même des jeunes qui sont revenus les pieds en avant, des collègues.

Interviewer : C’était à cette époque là, années 50, 60, que vous avez connu, vous le ressentiez ça et puis la guerre froide là-dessus et dans le travail ça se ressentait par le mouvement de grève ?
Monsieur Q : Ça se ressentait parce que ce n’était pas gai non plus. Moi, je me suis trouvé à Marseille et on a marqué les jeunes pour l’Algérie un peu comme on emmène les animaux à l’abattoir. Ils venaient à la Joliette avec le train. Puis, il y avait une haie de gendarmes et puis du train il fallait qu’ils montent sur le bateau et s’ils s’écartaient, ils recevaient des coups de crosse. Je l’ai vu. On ne peut pas dire qu’ils partaient la fleur au fusil.


La démolition des bâtiments des chantiers Écouter cette séquence

Interviewer : Qu’est-ce que vous pensez maintenant avec le recul, même si vous n’y êtes pas resté longtemps, il y a ce bâtiment qui existe encore, tout a été rasé pratiquement, qu’est-ce que vous en pensez ?
Monsieur Q : Moi, je pense qu’il faudrait le raser complètement et puis faire autre chose.

Interviewer : C'est-à-dire que nous, on se dit que c’est quand même ça qui a fait vivre La Seyne pratiquement pendant 200 ans.
Monsieur Q : Ce n’est pas ça qui a fait vivre La Seyne, c’est l’ensemble. On a rasé des tas de bâtiments qu’on avait rebâtis après la guerre, qui étaient quasiment neufs. Tous les bâtiments qui longeaient la place Frachon, c’est comme si on laisse le pont, qu’est-ce qu’on va en faire du pont. On rase tout, si encore on avait laissé comme pendant un certain temps ça a fonctionné, ça a été mis en gérance ou sous-traitance, je ne sais pas. Je veux bien, il suffisait de rafistoler, de lui donner des couleurs, maintenant qu’est-ce qu’on va en faire de ce pont.

Interviewer : C'est-à-dire qu’en fait, il faut réutiliser ces bâtiments, ce n’est pas de les laisser comme ça.
Monsieur Q : Mais on a tout démoli. On a démoli des bâtiments qui étaient plus jolis et meilleurs que celui-là. Déjà, pour le remettre en état, ça va coûter assez cher. Alors, je ne sais pas trop ce qu’on peut en faire.
Madame Q : L’école d’apprentissage, les bâtiments étaient encore bons.
Monsieur Q : Oui, avec la rotonde parait-il, mais enfin.

Interviewer : Ils l’ont détruite la rotonde.
Monsieur Q : Et oui et tous les bâtiments qui étaient parallèles, jusqu’à la porte principale. C’était des bâtiments qui servaient de magasin. C’était des bâtiments qui ont été reconstruits après la guerre.

Interviewer : Ils ont été rénovés dans les années 70.
Monsieur Q : Effectivement. Il y a des bâtiments qui avaient 100 ans, la mécanique c’est vieux, c’est encore des bâtiments en briques.

Interviewer : C’est le début du 20ème siècle, 1903, 1906.
Madame Q : Mais quand on passe des fois en voiture, je lui dis : « tiens, regarde ton atelier ».
Monsieur Q : Oui, il faut voir aussi les inconvénients parce que c’était un atelier où on se gelait.

Interviewer : Oui, mais il n’est pas question de le garder comme ça.
Monsieur Q : Non, mais vous me dites ce que je me rappelle d’un atelier où on se chauffait avec des braseros au charbon. Comme il faisait froid, les portes on les tenait fermées. Quand on dit maintenant qu’on regarde quand on analyse l’air, qu’on dit : « il y a des dioxydes de zinc », j’aurais bien voulu qu’on vienne un peu analyser l’air de l’atelier mécanique parce que tout le monde avait son petit poêle. Il y avait un tas de coke, on allait chercher le coke. Puis, ça marchait et encore il y en a qui travaillaient la nuit, ils se chauffaient aussi.
Madame Q : C’est là que vous chauffiez les gamelles quand tu ne rentrais pas à la maison.
Monsieur Q : Oui, dans certain trucs, ils faisaient les 3/8, ça marchait 24 heures/24. A l’époque, on ne cherchait pas si c’était pollué ou pas.

Interviewer : Est-ce qu’il y avait beaucoup de bruit ?
Monsieur Q : En comparaison d’autres ateliers, c’est évident que si vous alliez à la tôlerie ... on ne peut pas dire qu’il y avait beaucoup de bruit, les machines-outils.

Interviewer : Ça vous voyez, par exemple, l’histoire des braseros, je ne la connaissais pas.
Monsieur Q : Oui et c’est vrai ça. Puis, il y avait deux grandes portes. Il avait une porte à l’entrée et une porte qui donne côté mer. Quand il y avait des va-et-vient de camions, de wagons parce qu’il y avait des rails, les jours de mistral, il y avait du courant d’air. Ceux qui travaillaient à proximité, puisqu’il y avait sur le côté, il y avait des établis, ceux qui étaient manuels, ils avaient intérêt de mettre un cache nez.

Interviewer : Les gens attrapaient froid ?
Monsieur Q : Peut être, je ne sais pas. Il y a une accoutumance. C’est comme les mineurs qui travaillent à la mine. Ils n’ont pas un machin idéal. Ils n’ont pas la climatisation mais ils s’accoutument, ils sont bien obligés. Remarquez c’est pareil, à bord, ce n’était pas ...


Le bateau Pasteur, le mariage Écouter cette séquence

Interviewer : Vous alliez à bord ?
Monsieur Q : Ça m’est arrivé, quand il fallait mettre... quand les turbines étaient finies, de les mettre en place sur un bateau, quelques fois, moi pas tellement, il y en avait qui étaient spécialisés pour. Parce qu’il y avait beaucoup de bateaux à Marseille, ils allaient là pour faire des réparations, pour assembler. Ça durait quelques jours, une semaine.

Interviewer : Vous avez connu des bateaux prestigieux, célèbres ?
Monsieur Q : Oui, j’ai travaillé sur ce qu’on appelait le "Pasteur". C’était, à l’époque, un grand paquebot puisqu’à l’époque, il faisait l’Indochine. A chaque voyage, il était en panne, mais enfin.

Interviewer : C’est là que vous avez connu votre belle-mère ?
Monsieur Q : Non, je la connaissais avant, parce qu’on s’est connus...
Madame Q : Quand on s’est connus, moi j’en avais 14, et lui il en avait 17.
Monsieur Q : Oui, parce que nos mères et nos pères respectifs se connaissaient.
Madame Q : Ils étaient amis.
Monsieur Q : Nous, on s’est mariés en 54, ça faisait déjà quelques années que ... parce que vous savez qu’avant, on se fiançait, puis on allait faire le service, puis on se mariait après. C’était la tradition.
Madame Q : Ce n’est pas comme maintenant. C’était une bonne époque.
Monsieur Q : Il est évident que si on remonte 100 ans en arrière, c’était une autre époque. On s’adapte à l’époque où l'on vit.


Le travail et les horaires des femmes aux chantiers Écouter cette séquence

Interviewer : Parlez-moi de votre mère parce que c’est très intéressant justement, c’est rare de trouver des femmes … les femmes travaillaient à la lingerie, elle travaillaient dans les bureaux…
Madame Q : Maman, elle travaillait à la tôlerie, elle menait les ponts roulants.
Monsieur Q : Il y en a qui travaillaient à la soudure.
Madame Q : Maman, elle a fait l’école de soudure, mais après elle n’y a pas travaillé.
Monsieur Q : Elle a travaillé à l’atelier. Elle ne travaillait pas sur les bateaux, sur la construction. Je me rappelle, au début des années 50, il y avait des femmes qui soudaient à l’arc.

Interviewer : C’est étonnant quand même, comment elle est rentrée, comment elle a fait l’école de soudure ?
Madame Q : Maman, elle est rentrée parce qu’elle est restée veuve. Elle a perdu papa, on était trois. J’avais 10 ans, ma sœur 7 ans et mon frère 5 ans. Papa est décédé en 44. Je pense qu’elle est rentrée en 45-46, à peu près. Elle a commencé quand on l’avait mise à la buanderie, à laver les bleus. Après, elle a fait l’école de soudure. Elle a fait un certain temps.

Interviewer : Parce qu’on avait besoin de gens ?
Madame Q : Et oui, parce qu’il y avait des femmes qui faisaient l’école de soudure. Il y avait des box et on leur apprenait à souder comme si elles étaient en apprentissage.
Monsieur Q : Parce que probablement qu’il devait en manquer.
Madame Q : Après, là je ne sais pas comment ça s’est passé qu’on l’a mise au pont roulant, à la tôlerie.

Interviewer : Les questions que je vous pose, ça vous semble un peu bizarre ou un peu naïf, mais quand on n’est pas du milieu, on ne connaît pas. C’est pour ça que pour vous c’est naturel tout ça, mais pour nous ça ne l’est pas et pour les personnes qui viendront après encore moins.
Madame Q : C'est-à-dire que moi je l’ai vécu.
Monsieur Q : Je suppose qu’ils devaient manquer de main d’œuvre, c’était après la guerre. Du fait, qu’en principe c’était les femmes qui rentraient, elles étaient veuves.

Interviewer : L’école de soudure était payée par les chantiers ?
Madame Q : C'est-à-dire qu’on leur faisait faire ça, mais elles étaient payées comme si elles travaillaient.
Monsieur Q : L’école, c’était un bien grand mot. Ils leur apprenaient à souder et après, ils devaient leur donner des petits travaux à faire, pas souder des machins sur les échafaudages. Moi, je me rappelle qu’il y en avait plusieurs qui travaillaient dans l’atelier.
Madame Q : Maman, après cette école de soudure, comme on disait en ce temps là, elle est allée mener les ponts roulants. Alors, elle montait à l’échelle. Elle était en salopette, bien entendu. Les ouvriers attachaient les grosses tôles. Maman, elle prenait les tôles de là, elle les mettait plus loin. Elle avait toujours peur que ça tombe. En face, il y avait comme un grutier, elle était dans la cabine. Elle avait les manettes. Alors, pour descendre, pour aller à droite, à gauche, je pense qu’il faisait toute la nef, tout l’atelier. Ce n’était pas elle qui mettait …pour attraper les tôles, elle était en haut. Mais des fois, elle voyait les gars qui le faisaient : « je vous avertis, rangez le bien parce que ça va … ». Une fois, la palanqué de tôle, heureusement qu’il n’y avait personne, ils l’avaient mal amarrée et elle est tombée. Alors, je ne vous dis pas quand elle est arrivée et qu’elle me l’a raconté. Puis, maman, il n’y avait pas longtemps qu’elle avait perdu papa, elle voyait toujours…

Interviewer : Votre père, il est mort … ?
Madame Q : Il est mort, il avait le diabète. On l’a soigné à l’hôpital de La Seyne, en 42. Puis, on l’a envoyé à Grange Blanche pour l’insuline. Il est mort là-bas, le 6 novembre. Quand papa est décédé, on a été évacués dans la Drome parce qu’il y avait la guerre.

Interviewer : Oui, beaucoup de seynois sont partis par là-bas.
Madame Q : Maman, après la tôlerie, elle est rentrée aux turbines.

Interviewer : Je ne sais pas si le fait d’être femme et d’être là, parce que malgré tout conduire, mener ça…
Madame Q : Surtout que maman était aussi grande que moi, peut être un peu plus petite. Mais non, on le lui avait appris, elle le faisait.
Monsieur Q : Je crois que l’avantage aussi, c’est qu’ils étaient plusieurs. Au pont roulant aussi, c’était surtout des femmes.
Madame Q : 4 ou 5, elles étaient.
Monsieur Q : Donc, ça faisait quand même, comme on dit, un clan. Et nous, à la mécanique aussi, ils étaient 6 ou 7. Et donc, à un certain moment, ils étaient plus de femmes que d’hommes.
Madame Q : Puis, les femmes, elles vous chouchoutaient quand vous mangiez. Elles vous chauffaient les gamelles, elles vous faisaient le café.

Interviewer : Les femmes à la cuisine avec le café. La fonction féminine, ils ne s’en lassaient pas.
Madame Q : Tu t’en rappelles, toi, qui c’est qui t’appelait Coco ? Alors, des fois maman, quand ça ne marchait pas bien, c’est lui qui lui réglait la machine : « Berthe, viens voir » ; « alors, oui faites comme ça ».

Interviewer : Et vous, vous avez fait beaucoup d’heures ?
Monsieur Q : Moi, j’en ai fait, des nuits des fois.
Madame Q : Puis, vous faisiez aussi, 12 heures par jour.
Monsieur Q : À la fin, on travaillait 12 heures, oui, à une certaine époque oui.
Madame Q : Elle, elle partait de 7 à 7.
Monsieur Q : Sinon, on faisait les 2/8.
Madame Q : Maman, elle préférait faire de 5 heures à 1 heure parce qu’après, l’après-midi, elle était chez nous pour s’occuper des petits. Elle faisait une deuxième journée.

Interviewer : Donc, après, elle a travaillé ensuite aux turbines, c’est pareil, c’est par nécessité qu’on l’a fait passer ?
Madame Q : Probablement, enfin faut dire qu’il y avait Albert, elle ne s’y est pas mal adaptée.
Monsieur Q : Après, à la fin des années 50, elle s’est occupée du courrier.
Madame Q : Après 50, 60 oui, ils l’avaient mise au courrier à la porte principale.

Interviewer : Elle avait quel âge à l’époque, à peu près ?
Monsieur Q : Elle a eu 60 ans en 68, ce n’est pas difficile donc, elle avait 8 ans de moins. Donc, là elle a fini là, elle faisait le tri du courrier.
Madame Q : Puis, il y avait un gars avec une voiture qui le portait dans les ateliers. Tandis que ta mère, elle faisait tout à pied. De cette porte principale, elle faisait à pied jusqu’au Mouissèques. Elle portait tout le courrier, les plans.

Interviewer : On revient à l’atelier mécanique et votre mère, il y a quelque chose qui est intéressant, c’est le côté, elle chouchoutait ces ouvriers.
Madame Q : Toutes, même les autres dames, il n’y avait pas que maman, toutes.

Interviewer : Elles leur faisaient la cuisine ?
Madame Q : Non, c'est-à-dire que chacun portait son repas.
Monsieur Q : C'est quand on faisait 12 heures et donc, on mangeait sur place.
Madame Q : Après, il y en avait qui faisaient le café. A ceux qui fumaient, elle donnait les cigarettes, des bonbons.
Monsieur Q : Il y avait des jeunes, elles les ravitaillaient en cigarette.

Interviewer : Votre mère aussi à travaillé aux chantiers ? Qu’est-ce qu’elle faisait ?
Monsieur Q : Oui, elle faisait le courrier, elle est rentrée en 40 parce que mon père est mort en 39.
Madame Q : Au mois de février, je le sais parce qu’elle me l’a toujours raconté qu’il avait neigé, gelé, il faisait un froid de canard quand elle est allée passer la visite médicale.
Monsieur Q : Après, je ne sais pas quand est-ce qu’elle a quitté parce qu’après on l’a mise à la reproduction. Je sais qu’elle a fini là, au tirage des plans jusqu’à la retraite.

Interviewer : Et votre mère, à l’atelier mécanique, elle trouvait que le travail était dur ?
Madame Q : Non, ce n’était pas ça, mais comme ce n’était pas des travaux durs.
Monsieur Q : Normalement, c’était des travaux où elle était assise ou alors il y avait même des machines qui étaient réglées, automatiques. Elle pouvait s’asseoir. Il n’y avait pas des travaux de force
Madame Q : Mais c’était que comme elle faisait les pièces, elle avait de la limaille un peu dans les doigts, des choses comme ça.
Monsieur Q : Alors, il y avait des trucs par exemple, il fallait meuler, percer.
Madame Q : Alors, des fois, elle se meulait un peu les doigts.
Monsieur Q : Là, elles étaient assises.

Interviewer : Elle n’a jamais eu d’accident ?
Monsieur Q : Dans l’atelier, non. D’ailleurs, là où on travaillait, il n’y en avait pas.
Madame Q : Je crois qu’une fois on lui a coupé l’alliance. Il me semble, c’est tout. Non, ça s’est toujours bien passé.
Monsieur Q : Moi, je réglais les machines donc, les dames, elles avaient des barres. Elles avançaient une barre et puis elles avaient embrayé quelque chose et ça marchait, puis, ça revenait. Puis, elles repoussaient la barre. D’une barre, on en faisait des petits morceaux. Quand la barre était finie, ils en mettaient une autre. Il fallait compter. Après, naturellement, il fallait nettoyer la machine parce que c’était plein de limaille. Je veux dire mais entre les machins, elles pouvaient s’asseoir, elles n’étaient pas obligées de surveiller.
Madame Q : Mais là, les dames, elles étaient en blouse. Elles n’avaient plus les pantalons. Les pantalons, c’était pour les ponts roulants, les choses comme ça.

Interviewer : Elle avait donc un travail répétitif ?
Monsieur Q : Oui, c’est un travail répétitif. Il y avait parfois des milliers de trucs à faire, comme ça, les petites ailettes.


Les changements de postes Écouter cette séquence

Interviewer : Mais alors, pourquoi avoir quitté l’atelier mécanique, c’était un choix ?
Monsieur Q : Non, il n’y avait plus de travail. On a eu à la fin des années 50, on a fait ce qu’on appelle l’ailetage pour les deux porte-avions, le Foch et le Clemenceau qui étaient en construction. Alors, pour les deux porte-avions, ils avaient fait un rechange, comme ils avaient un rechange d’hélice, d’ailleurs c’est le dernier gros travail qu’on a fait. Après, c’était ponctuel, s’il y avait une réparation, on détachait deux ou trois gars. Ils montaient à l’ailetage, ils le faisaient et ils redescendaient à l’atelier travailler. C’est parce qu’il n’y avait plus de travail. La vapeur a fini.

Interviewer : Ce pourquoi elles étaient employées, n’existait plus.
Monsieur Q : Non, ni pour elle, ni pour les autres, ni tous ceux que nous étions. Notre collègue on l’avait mis à l’outillage.
Madame Q : On vous a placés à droite à gauche.

Interviewer : Donc, elle, on l’a placée dans les bureaux, donc en quelque sorte, après elle est partie au tri du courrier c’était dans les bureaux.
Madame Q : Ça dépendait de la direction, ce n’était plus l’atelier.
Monsieur Q : C'est-à-dire qu’il y avait quelqu’un qui lui amenait le courrier de la poste alors, elle faisait le tri, elle faisait les petits paquets.
Madame Q : Il y avait les casiers, il y avait les ateliers, il y avait la direction.
Monsieur Q : Elle préparait, puis il y avait un gars avec une petite voiture qui prenait tout.
Madame Q : Il passait dans chaque atelier, il ramenait ce qui devait partir à la direction où on faisait partir par la poste.
Monsieur Q : C’était un travail de triage.

Interviewer : Et les autres dames qui ont travaillé avec elle, qu’est-ce qu’elles sont devenues ?
Madame Q : Là, ça fait un moment parce qu’il y en a beaucoup qui sont décédées.

Interviewer : Après, quand elles sont sorties de l’atelier mécanique, où est-ce qu’on les a mises ?
Monsieur Q : Je sais que la fameuse B, on l’avait mise à la reproduction parce que tu l’as retrouvée quand tu es rentrée.
Madame Q : Madame B de là, elle est partie faire la cantine. Après, je ne sais pas s’ils ont diminué, que ça a été une société qui a pris. Alors, ils l’ont mise au courrier, à la direction. Après, elle a eu un accident et elle est re-rentrée quand moi je suis rentrée aussi. Moi, on m’avait prise pour la remplacer parce qu’elle avait eu un accident de vélo moteur à la jambe. Elle est restée trois mois. Après quand, elle est rentrée, je lui ai dit : « Madame B, vous rentrez, moi je vais voir le chef, je vais lui dire que vous êtes là, comme c’était provisoire ». Là, elle me dit « N’y allez pas pour le moment, je vais moi avant le voir ». Je lui ai dit : « Bien, allez-y si vous voulez, lui dire que je suis rentrée ». Puis, elle me disait : « d’abord moi, Francine, vous vous restez, mais moi je ne veux pas faire ça, je vais demander à aller à la reproduction ». Elle a vu le chef monsieur B, il lui a dit : « Il y a une place, vous allez là-bas, au tirage des plans ». Parce que là où on était, il fallait faire signer le courrier aux ingénieurs. Quand ils recevaient des gens, il fallait leur faire du café, leur porter des boissons. Il y avait des fois, le directeur quand il faisait une grande réunion, des fois le midi, il fallait faire des sandwichs et elle ça ne lui plaisait pas. Elle était très gentille, mais c’était une femme qui fumait. Et ça fait quelle me dit : « Francine, vous restez » et j’ai dit « Comment, je reste » ; « Je vais au tirage des plans et d’abord allez voir monsieur B ». Alors, il m’a dit : « Madame Q, allez à la direction, j’ai téléphoné, faites les papiers, mutuelle et tout, vous travaillez ». Je suis rentrée là, en 69, quand maman est partie. Je suis rentrée quelques temps après. Quand on m’a mis en préretraite, en 87 parce qu’on commençait à mettre les gens dehors.

Interviewer : Vous, vous avez connu la fin des chantiers ?
Madame Q : Oui, j’ai connu la fin des chantiers parce qu’au fur et à mesure les gens partaient. Mais vous devez connaître madame B.

Interviewer : Oui, bien sûr, je suis allé la voir.
Madame Q : C’était elle ma chef. Elle, elle peut vous renseigner.