Accueil > Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer > Femme de ménage sur les bateaux dès 1982 et mari soudeur des chantiers
Qualité du son : bonne
[...] J’habite au Maeva. J'ai travaillé aux chantiers 82-86, dans la boite Samnet. Au début, j'ai fait les escaliers, à la fin on a commencé à faire les bureaux du chantier, le soir, 5h-8h.
Le chantier, je connais pas trop, je fais que les bureaux. Des fois je fais les bateaux, pour nettoyer quand ils finissent de les construire.
Je suis née en Casamance en 44. J’ai 65 ans maintenant. Grandi chez nous, mes parents viennent de Guinée. J’ai grandi là-bas. Jeune fille je suis venue en Casamance, quand je me suis mariée. Née en Guinée-Bissau, on a grandi au Sénégal, on a nos enfants au Sénégal. On a connu le Sénégal plus que la Guinée.
Mariée en Casamance. Mari, né comme moi. Mariée vers 18 ans. Pas de travail au Sénégal, c’est pour ça qu’on est venus.
On n’a pas trouvé ce qu’on veut au Sénégal. Mon mari a cherché, il est venu ici, puis m’a amenée ici avec les enfants, le 22 avril 77. 4 enfants, tous nés au Sénégal. La première a déjà 15 ans, la deuxième 10 ans, l’autre 4 ans et demi, le dernier 3 ans.
Beaucoup d’années sans le mari au Sénégal. Mon mari est venu directement à La Seyne. Son grand frère l’a fait venir. Il est resté à côté.
[...] Arrivé ici, il a travaillé aux chantiers.
Interviewer : Qu’est-ce qu’il vous disait de la France ?
Madame : Ça va... Sénégal, c’est bien, mais tu travailles pas. C’est pas bien. Mais ici on a trouvé le travail, moi aussi, lui aussi, on est bien.
Quand il a les congés, il vient me voir.
On a pensé, avec les enfants, je sais pas encore, on va rester là tous les deux, on aime bien.
Mais ça va être dur pour nous de laisser les enfants ici, partir là-bas.
Mon mari ici, m’a amenée ici avec les enfants.
Au début c’est dur. Après ça va aller. En 77 on habitait en face du chantier, dans un HLM. Il a trouvé l’appartement F5, avant que j’arrive avec les enfants.
Je suis l’avant-dernière. Mon père avait un appartement rue d’Alsace. Ensuite, pour pouvoir faire venir sa famille, on lui a demandé de prendre quelque chose de plus grand, pour avoir les certificats d’hébergement. Comme il travaillait aux chantiers, les appartements de la présentation étaient considérés comme des appartements de fonction, pour des personnes qui travaillaient au chantier, donc nous avons eu un F5 au quatrième étage.
Interviewer : Son appartement rue d’Alsace, vous l’avez connu ?
Madame : Non, j’étais très petite, j’avais 6 ans. C’est un vieil appartement. Il nous racontait quand on était petits, c’était une garçonnière. Il vivait seul. Et il a fallu qu’il change d’appartement, de sorte qu’on vive dans quelque chose de décent.
Madame : Il était soudeur dans les bateaux. [..] C’est dur à connaître les choses que quelqu’un fait. Il fait que soudeur.
Interviewer : Ça lui plaisait ?
Madame : Oui avant, oui..
Interviewer : Mais après non ?
Madame : Ben quand le chantier a fermé... Il a fait un stage ici pendant pendant six mois pour apprendre le métier de soudeur. Il est embauché directement, jusqu’à la fermeture du chantier, licencié.
Madame : Je mets mes enfants à l’école. Quand je suis arrivée, je suis restée 5 ans sans travailler. Au bout de 5 ans, j’ai cherché, parce que le grand se débrouille.
Interviewer : Pourquoi travailler ?
Madame : J’en ai besoin? Une personne peut pas faire tout.
Interviewer : Salaire insuffisant ?
Madame : Voilà. J’ai la famille derrière aussi, mes frères, ma sœur. Mes parents sont morts. Ma mère est morte en 66. Mon père je ne le connais même pas. Il est mort quand j’étais petite.
Y’a des entreprises de nettoyage. Ma copine travaille dedans. J’ai demandé, je suis allée me présenter moi-même. On m’a pris comme remplaçante pendant un mois ou deux, on m’a embauchée direct. Bien passé. Continué jusqu’en 86. Ils voulaient nous baisser les heures. On a dit non, on est partis. On peut pas baisser, on va chercher ailleurs. Au début, des fois 8h aux chantiers, puis ailleurs encore 3h. Des fois 12h par jour !
Entreprise Samnet, n'existe plus maintenant. Y’a des africains, arabes, français, italiens, tout mélangés. C’était une grande boite. Mais quand les chantiers ont fermé...
Le ménage dans les bateaux, quand ils finissent les bateaux, faut nettoyer, les coursives, les cabines, les WC, tout.
Interviewer : des machines ?
Madame : Non, à la main. Les gants, éponge, chiffon, balai, seau. On nettoie au chantier, mais je sais pas où il part après...
Interviewer : Est-ce que vous avez nettoyé des bateaux sur lesquels votre mari a travaillé ?
Madame : Je crois, parce que eux travaillent les bateaux. Donc, quand ils finissent, le nettoyage c’est en dernier. Donc c’est possible.
Interviewer : C’était des beaux bateaux ?
Madame : Oui ! Des grands bateaux. De beaux, beaux bateaux. Des plateformes aussi. Des fois on se déplace jusqu’à Marseille, toute la journée à Marseille, on rentre. Le lendemain encore.
Interviewer : Pourquoi vous alliez jusqu’à Marseille ?
Madame : Pour nettoyer les plateformes, les grands bateaux. [...]
Interviewer : Vous étiez contente de faire ce travail ?
Madame : Si j’ai quelque chose à faire de moi, c’est mieux que dormir à la maison !
Interviewer : Les bateaux, ça vous donnait pas envie de partir au Sénégal ?
Madame : J’en ai envie. Mais si je vais là-bas, qu’est-ce que je vais faire ?
Madame :... Ils disent y’a plus beaucoup de travail. Ils vont baisser les heures. On dit non. Ils demandent qui veut rester, qui veut partir. On est partis.
Si y’a pas assez d’heures, on se dérange pour rien. On n’est pas d’accord pour partager 5 heures.
On a un contrat indéterminé. Quand il finit, ils nous ont donné des...
Pas de prime de fin d’année, rien du tout. Samnet, pas de syndicat. Si y’a un syndicat qui peut nous aider, on va y aller.
C’était en 86. Les chantiers sont fermés, plus de bateaux. L’entreprise de nettoyage a continué 3 ou 5 ans.
Quand j’ai quitté, chômage pendant 2 ans, puis petit boulot. Puis j’ai trouvé le boulot que j’ai fait jusqu’à maintenant.
Le petit boulot, Madame Bagnolet, escaliers dans les cités, trouvé grâce à une copine.
La patronne a dit y’a plus de contrat, c’est terminé.
Madame : Maintenant, je travaille dans un foyer, depuis 92 ou 93.
J'ai trouvé par une autre copine. Quand quelqu’un travaille quelque part, s’ils ont besoin de quelqu’un, ils te demandent. Mais Samnet, j’ai trouvé moi-même.
A ce foyer, je nettoie couloir, cuisine, escalier. A Toulon, foyer Sonacotra. Mais c’est une entreprise qui nous embauche. Ça fait plus de 15 ans. Je fais un mi-temps. Tous les jours, lundi au vendredi. 7h à 12h. 5h par jour. Si tu finis tôt, tu pars tôt. Je descends avant 6h. J’ai l’habitude.
Interviewer : Des amis au travail ?
Madame : Oui, beaucoup sont à la cité.
Interviewer : Du travail à La Seyne ?
Madame : J’ai cherché partout, j’ai pas trouvé. Lettre à la mairie.
Je crois que je vais arrêter en fin d’année. Je suis fatiguée, je peux plus. Je suis pressée de finir.
Madame : [...] En 86, ils ont fermé le chantier. Mari a travaillé pour beaucoup d’entreprises. 5 mois. Puis, il a trouvé une entreprise de nettoyage, jusqu’à la retraite.
Quand il a quitté la soudure au chantier, après nettoyage. Ici, plus de soudure.
Y’en avait beaucoup qui partaient. On est habitués ici, c’est pas mal pour nous, on est restés.
On a envie de retourner au Sénégal, mais on peut pas laisser nos petits-enfants et les enfants. Ils vont nous manquer.
86, ils sont à l’école tous, on peut pas quitter.
Il a trouvé facilement dans le nettoyage. Retraite depuis cette année.
Interviewer : Est-ce qu’il a participé aux grèves, aux manifestations ?
Madame : Ah oui, oui, tous les jours ! le chantier y’a le syndic, voilà, il fait la grève tout le temps, jusqu’à la fin, de fermer.
Interviewer : C’était comment pour vous cette période ? C’était difficile ?
Madame : Ah bien, oui, c’était difficile. Quand on travaille pas, c’est pas facile.
Interviewer : Parce que pendant une période, il n’a pas eu de salaire ?
Madame : Oui oui, quand il a fermé, il a pas eu de salaire, il est au chômage.
Interviewer : Et la grève, ça a duré combien de temps ?
Madame : La grève, des fois ça dure deux jours, trois jours, ça arrête. Mais la dernière grève, je crois ça a duré une semaine, ils ont fait une semaine, je me rappelle.
Interviewer : Comment ça se passait pendant les grèves, est-ce qu’ils allaient sur les chantiers ?
Madame : Non, ils restaient à la porte des chantiers.
Interviewer : Toute la journée ? Est-ce que vous alliez les voir ?
Madame : Non, je travaille ailleurs. Au début, quand ils disent ils ferment, on croyait pas. Mais à la fin on a dit oui, ça va fermer. Au début on croyait pas, parce qu’ils changent les bureaux, tout. Mais si ça ferme, pas la peine de faire des travaux dans les bureaux !
Ça fait mal quand même, parce que ça fait longtemps qu’on fait là-bas. Ça nous manque.
Interviewer : Vous êtes allée voir quand ils ont rasé ?
Madame : Non, je suis restée ici. Grande manifestation. Je suis pas allée. Mon mari, si. Il a dit ça y est, il va fermer, c’est tout, c’est pour tout le monde, qu’est-ce que tu vas faire ?
Je sais pas qui a décidé, peut-être le grand patron. Je connais pas beaucoup.
Interviewer : Le métier de votre mari est difficile ?
Madame : Soudeur, oui difficile.
Interviewer : Des problèmes de santé ?
Madame : Non. Après, oui, âgé, des fois fatigué. Comme maintenant il fait rien, ça va. C’est moi qui me débrouille encore un peu. Il se repose, moi, je travaille.
Le samedi et le dimanche, je reste à la maison. Je fais le ménage, je vais à la messe, en ville, grande paroisse.
Mes petits enfants ont fait baptême et communion.
Un enfant à Paris, un enfant à Montauban, y’a qu'elle qui reste ici, avec les garçons qui sont pas mariés.
Elle est aide-soignante à La Seyne, l’autre à Toulouse aussi.
Grand fils à Paris, il a un BTS commercial. Il travaille dans une grande assurance. Le quatrième, il travaille ici à la CNIM.
Un fils à Paris, parti à cause du travail. Mais diplômé ici, à Toulon, fac.
Interviewer : vous avez connu le comité d’entreprise des chantiers ?
Madame : Non. Mes enfants vont en colonie par la mairie. Je connais pas.
Interviewer : Avant que ça ferme, vous pensiez que vos enfants allaient travailler aux chantiers ?
Madame : Au début on a pensé ça, mais quand ça a fermé, ils travaillent où ?
Interviewer : Quand vous êtes arrivée, vous parliez déjà français ?
Madame : Non, c’est pour ça que je parle pas bien. J’ai appris au travail. Des français, espagnol, italiens, arabes, africains, mais on parle que français.
Interviewer : Vous n’êtes jamais allée à l’école en France ?
Madame : Si, à l’école à ... un mois ou deux. Après je suis entrée au travail, je peux plus aller. J’ai appris rien du tout. Juste parler.
Après, retraite, je me repose. A la retraite, tu vas commencer l’école ?!!! Je suis déjà vieille, il faut que je me repose. Sport, oui, comme ça je bouge un peu. Quand je vais arrêter de travailler, courir, gymnastique.
La tête, reposer.
Interviewer : Jeune, vous aviez envie d’aller à l’école ?
Madame : Oui, si c’est possible. Les enfants, ils ont toujours envie d’aller à l’école. Si t’as pas fait, t’as pas fait.