Rechercher

Recherche avancée

Accueil > Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer > Fille d'un démolisseur des chantiers dès 1961 et femme d'un ancien Maire de La Seyne de 1978 à 1985

Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer

Imprimer

Transcription : Fille d'un démolisseur des chantiers dès 1961 et femme d'un ancien Maire de La Seyne de 1978 à 1985

Collecteur : Prestataire exterieur
Langue : Français

Qualité du son : mauvaise


Le projet d'enquêtes orales "Femmes et chantiers" Écouter cette séquence


Les portes d'entrées du chantier Écouter cette séquence

Madame : Ma sœur aînée a travaillé aux chantiers.
Interviewer : Elle faisait quoi ?
Madame : Elle était secrétaire à la direction.

Interviewer : Et ça consistait en quoi ?
Madame : Tu sais, ce qu’on appelait la rotonde qu’on a démoli, c’est pas l’entrée principale des chantiers. La rotonde c’était celle qui était le plus près du port.

Interviewer : Ce n’était pas la cantine ?
Madame : Non, toi tu confonds, la cantine. Près du port, il y avait deux entrées. Quand tu es sur le port, que tu arrives vers Toussaint Merle, tu avais l’entrée de la direction. C’était une rotonde. Ce n’était pas grand. Ce n’était pas comme la rotonde, le restaurant des chantiers, ils l’ont démoli aussi. Ils auraient dû en faire un centre culturel.

Interviewer : C’était joli.
Madame : Je ne sais pas pourquoi ils l’ont démoli. Donc elle travaillait là, 8-10 ans.
Moi, mes parents me serinaient pour que j’aille travailler aux chantiers. Mais moi, tout ce qui est structure trop importante où il y a des sous-chefs, des archi-chefs et petits chefs, des cons et la direction, ça ne me va pas.
Je déteste l’administration, je n’aurais jamais pu travailler dans une mairie, ce n’est pas possible.


Une grande entreprise Écouter cette séquence

Madame : Dans les chantiers tu es dans un grand ensemble, tu fais partie, tu es dactylo, par exemple. Moi j’avais un diplôme de sténo dactylo comptable donc j’aurais été dans un pool tu vois et j’aurais eu à faire à beaucoup trop de monde.
Ça ne m’intéresse pas. J’aime pas quand il y a trop de monde, j’aime pas les gens réunis ensemble.
Tout de suite, ça peut tourner à la bêtise, des idioties, des vulgarités et il y en avait pas mal des vulgarités.

Interviewer : Oui c’était un peu paillard des fois ?
Madame : Il parait oui. Je ne suis jamais rentrée là, mais il parait. Et les chantiers c’est tout ce que j’en connais.
Aussi, Maurice Blanc il a travaillé aux chantiers.


La sécurité de l'emploi et le racisme italien Écouter cette séquence

Interviewer : D’abord, on va un peu te présenter. D’où tu viens ? Comment tu as entendu parler des chantiers ? Pourquoi tes parents te serinaient pour que tu ailles travailler aux chantiers ?
Madame : La sécurité de l’emploi, ma chère ! À l époque il n’y avait que ça ! La sécurité de l’emploi. C’est bien les chantiers, c’est pas très loin…. la sécurité de l’emploi. Ça ou la mairie, moi je déteste ça, tout ce qui est grosse structure comme ça.

Interviewer : Ah oui ! Donc ça faisait penser à une entreprise où il y avait la sécurité de l’emploi
Madame : Ah oui, tu te rends compte le nombre de gens qu’ils employaient les chantiers à l époque. Je sais pas, ils ont eu jusqu’à 8000 personnes.

Interviewer : 8000 personnes en tout, avec l’administration ?
Madame : Oui, des personnes qui venaient de tous les horizons, de Six-Fours, de La Seyne naturellement, de Toulon, d’Ollioules, etc. C’était les 2 grosses entreprises, l’arsenal et les chantiers. Et donc pour eux c’était la sécurité.

Interviewer : Et ton père ?
Madame : Mon père travaillait aux chantiers. Il a travaillé d’abord dans d’autres entreprises et puis maman voulait que mon père rentre aux chantiers. Il est rentré aux chantiers. Je serais incapable de te dire combien de temps il a travaillé aux chantiers.

Interviewer : Il faisait quoi aux chantiers ?
Madame : Mon père c’était un tout petit ouvrier. Il découpait les tôles. Il travaillait au chalumeau.
C’était un immigré italien, un manœuvre... Même mieux, je vais t’expliquer... Les humiliation des gens, des non français. On était des italiens et à ce titre on subissait du racisme.

Interviewer : En quelle année ton père est arrivé en France ?
Madame : Alors moi je suis née en 39, j’ai entendu parler autour de moi. On nous disait « sales babi » ou « mangia macaroni », des trucs comme ça quoi.

Interviewer : A La Seyne ?
Madame : Naturellement ! Partout !


Le métier de démolisseur Écouter cette séquence

Madame : Sur les fiches de paye de mon père, au départ il n’y avait pas marqué...
Après c’est devenu OS 1, Ouvrier Spécialisé 1, 2, je crois que ça allait jusqu’à 3.
Mais au début il y avait marqué « démolisseur ». Et quand les maîtresses, quand on était enfant, demandaient « Qu’est-ce qu’il fait votre père ? » ça alors, le mal qu’elles pouvaient faire. On me disait qu’il était démolisseur à la maison. Moi je disais « démolisseur » et toute la classe qui s’esclaffait. Tu vois « démolisseur ! Ah, ah ! »
Voilà les petites humiliations de l’enfance, tu vois déjà. Il était démolisseur mon père.

Interviewer : Aux chantiers quand même !
Madame : Oui aux chantiers. C'est-à-dire il découpait et tapait sur des tôles qu’il découpait au chalumeau.
Il revenait à la maison avec les pantalons tout troués parce que c’était les éclats du chalumeau.
Alors maman elle s’amusait. Enfin, elle s’amusait pas la pauvre. On était pauvres. Les pantalons, il fallait qu’ils durent. Elle reprisait les petits trous.


La présence visuelle des chantiers Écouter cette séquence

Interviewer : Et comment il est arrivé à travailler aux chantiers ?
Madame : Je serais incapable de te dire comment. Je ne sais pas comment il a fait.

Interviewer : Il avait déjà entendu parler des chantiers, c’était un objectif ?
Madame : On habitait pas très loin des chantiers. Du grenier, on voyait les chantiers. En soulevant le vasistas, on voyait les chantiers. On était vraiment à proximité. C’était là ! Il y avait une présence énorme. Ces chantiers qui étaient là. Et puis le frère de mon père avait été embauché aux chantiers. Il avait fait la demande. Mon père n’avait jamais fait la demande. Puis un jour, il a dû faire la demande. Et puis, je ne sais pas comment il y est rentré. J’ignore totalement.

Interviewer : On y est rentrés facilement peut être ? Il y avait de l’emploi ?
Madame : Je ne sais pas. Je ne pourrais pas te renseigner. Peut-être que ma sœur aînée pourrait te renseigner davantage.

Interviewer : Havane ?
Madame : Oui, Havane elle saurait, parce que elle travaillait déjà à l’intérieur des chantiers. Je crois quand mon père a travaillé.


Un communiste, les manifestations Écouter cette séquence

Interviewer : Et il en parlait quand même de son métier à la maison ?
Madame : Oui, il n’aimait pas tellement... C’est la hiérarchie et puis ces positions politiques, syndicales, les grèves.

Interviewer : Il était quand même impliqué ?
Madame : Oui c’était quelqu’un de... Il était communiste, en fait. Pas encarté, mais il s’est toujours battu. Il a toujours fait des grèves au point de... comment te dire... ces ouvriers là, on appelait... c’était des « seigneurs » si tu veux. C'est-à-dire qu’ils avaient leur conviction profonde et on pouvait pas leur en faire démordre par des menaces, ne serait-ce qu’ils perdraient un salaire, ils perdraient de l’argent.

Interviewer : Il a reçu des menaces ?
Madame : Des menaces non ! Mais il savait que sa fiche de paye serait amputée par ces journées de grève, comme beaucoup d’autres ouvriers des chantiers.

Interviewer : Qui est-ce qui les appelait les seigneurs? Les autres ouvriers ?
Madame : Mais non ! Ça c’est historique. C’était des gens qui se conduisaient... comment on les appelait ? Il faut que je demande à Bernard. Cette classe ouvrière là qui était cultivée syndicalement et politiquement et critique. C’était de la race des seigneurs !

Interviewer : Et comment il était perçu au niveau de sa hiérarchie ?
Madame : Certainement il ne devait pas être trop aimé. La hiérarchie était méfiante. Du moment où tu faisais du syndicalisme, tu faisais grève. Déjà faire grève ! Est-ce que mon père était encarté au niveau des syndicats, j’ignore, mais ce dont je suis sûre, c’est que mon père faisait grève.


Les "seigneurs" syndicaux Écouter cette séquence

Interviewer : Et son discours était suivi au niveau des autres ouvriers ? Il rassemblait les gens ?
Madame : C’était pas un syndicaliste ! Je pourrais te parler de mon cousin, là oui, Dimo. C’est à lui qu’il faudrait parler d’ailleurs. Si tu veux, je peux en parler.

Interviewer : Oui, oui !
Madame : Je vais simplement te donner un livre qui est paru. C’est l’Université de La Garde, par l’intermédiaire de son président, Bruno Ravaz, qui a fait paraître ce livre en racontant aussi au niveau du patrimoine de Toulon et de la région. Et à l’intérieur il y a un texte d’un certain Pradier, qui brosse le tableau de mon cousin dans une aventure syndicale, de résistance au moment où la navale disparaissait. Et en fait, c’était leur dernière grande grève. C’était pour le 14 juillet, la date je ne m’en souviens plus très bien… mais je vais te donner les éléments.

Interviewer : Tu l’as le livre avec toi ?
Madame : Oui, il faut que tu le prennes, que tu le lises. C’est vite fait. C’est un petit paragraphe.

Interviewer : Son nom c’est Dimo et son prénom ?
Madame : Raymond. Donc à travers ça, il y a tout, la lutte syndicale, tout ce que je te disais tout à l’heure. La races des « seigneurs », de ces ouvriers là qui avaient une morale extraordinaire et une exigence extraordinaire. On n’en voit plus. C’est fini, ça n’existe plus. Je vais te chercher le bouquin.


La rémunération et les autres sources de revenus Écouter cette séquence

Madame : D’abord il rentrait harassé ! C’est une image, mais ce n’était pas que les chantiers aussi...

Interviewer : A quelle époque il est rentré aux chantiers ? De quelles années à quelles années ?
Madame : C’est une image de mon adolescence. Il ne gagnait pas suffisamment sa vie en travaillant aux chantiers. Naturellement ces pauvres ouvriers tu sais ! Avant qu’il y ait ces grandes luttes syndicales, après 68, où il y a eu des salaires corrects, auparavant c’était des salaires de misère.

Interviewer : Je ne savais pas ! Des salaires qui ne permettaient pas de vivre correctement ?
Madame : Très mal, très mal, on vivait. Tu me diras tout le monde était logé à la même enseigne pratiquement. Mais quand même on vivait dans une pièce cuisine. C’était la cuisine, la salle à manger, le salon etc.
Mon père, pour se détendre probablement de ces tensions des chantiers et pour se faire un peu d’argent, il avait appris à réparer les réveils et les montres qui étaient mécaniques à l’époque. Il avait son petit établi et quand il rentrait le soir, l’hiver, il travaillait là.
Et l’été, pour faire vivre sa famille, il cultivait une campagne à Tamaris, c’était la propriété des De Demandols, des aristo. Il y avait une grande maison au fond, je me souviens. J’allais porter les légumes que mon père cultivait. Il ne louait pas la terre. Il la cultivait et les produits de ce qu’il cultivait, il en donnait les ¾ aux personnes qui lui cédaient la terre et il en gardait l’autre partie, le quart. Et c'est comme ça qu'on avait des légumes frais.

Interviewer : Ils ne le payaient pas, ils le payaient avec les légumes en fait ?
Madame : Ils le payaient avec la force de son travail. Les légumes c’était la force de son travail ! Après une journée de travail, l’été, il sortait des chantiers et il allait cultivait la terre. On le rejoignait. On arrosait. On avait des seaux très lourds. On l’aidait à arroser parce qu’il était tout seul. Il n’y avait pas l’arrosage automatique. Il cultivait des haricots, du maïs, des salades, des pommes de terre.
Et on rentrait le soir à 9 heures. Nous, on y allait une fois par semaine et lui rentrait tous les soirs à 9 heures parce qu’il faisait très jour, à partir du mois de juin, juillet et août.
Après sa journée harassante, il n’était pas dans son bureau, tu vois, ce n’était pas la détente parce qu’il faisait des exercices physiques qui n’étaient pas du sport naturellement !
Il arrivait harassé à la maison. Et quand on le voyait arriver comme ça, nous enfants, moi j’étais préadolescente, il était tellement crevé pauvre homme. On lui disait « papa viens, assieds-toi » dans la cuisine.
C’est toujours très émouvant quand je raconte ça ! On lui montait les pantalons et on le lavait pour essayer de le détendre, parce qu’on avait pas de douche. On prenait un tub une fois par semaine ! Tu sais dans la bassine avec l'éponge. On le lavait. On le défatiguait et il était content, il se délassait en fait, pauvre homme.
Il travaillait la terre et il travaillait à l’horlogerie, mais il se faisait plaisir en fait. Quand il s’agissait de demander de l’argent, il n’osait pas. Alors maman râlait parce que c’était elle qui faisait bouillir la marmite. Elle savait les difficultés qu’elle avait. Et elle lui disait « Enfin quand même, Martino ». Il s’appelait Martin mon père, « Fais-toi payer ! Au moins pour aller à Toulon, tu prends le car pour aller chercher des pièces à Toulon, tu dépenses de l’argent... au moins récupère l’argent de tes dépenses ! »
C’était un autre monde, moins intéressé qu'aujourd’hui. Il y avait de la naïveté.


Les raisons du départ d'Italie Écouter cette séquence

INterviewer : Il y avait de la naïveté ?
Madame : Chez mon père non, c’était un grand esprit, c’était un philosophe. Trois années d’école primaire, après il a travaillé la terre. Après il a fait de la contrebande en Italie, pour pouvoir vivre.
Et puis après, il est venu en France, juste après son mariage. Mais il est venu tout seul parce qu’après il y a eu la guerre. Les frontières ont été fermées. Et il était séparé d’avec maman pendant 3-4 ans.

Interviewer : Et pourquoi il est venu en France ?
Madame : Pour le travail !
Interviewer : Ah, pour le travail aux chantiers ?
Madame : Pour le travail premièrement, parce que dans le sud italien, il n'y avait pas de travail. Et deux, il fuyait le fascisme de Mussolini. Parce que c’était un anarchiste. Il n’avait pas froid aux yeux. Il avait déjà essuyé pas mal de déboires avec les fascistes et on le menaçait de la purge. On l’amenait sur XXX pour prendre la purge. On l'a jamais fait parce qu’il avait de bonnes relations. IL avait des amis qui étaient fascistes, lui était anti-fasciste. Il était socialiste en fait, à l’époque c’était ça. Et on le menaçait et ses amis fascistes, un jour lui on dit : « Il faut que tu t’en ailles parce qu’un de ces jours, il va t’arriver quelque chose, il vaut mieux que tu partes ». Et c’est pour cette raison qu’il est parti, pour le travail et pour ça. C’est terrible !


Des mines de la Lorraine aux chantiers de La Seyne Écouter cette séquence

Interviewer : Il est venu directement à La Seyne ?
Madame : Alors non. Il est allé en Lorraine. Il a travaillé 3-4 ans dans les mines et le froid. La mine c’est terrible surtout le climat. Il ne supportait pas le climat. Il y avait déjà son frère aussi.

Interviewer : Qui travaillait dans les mines ?
Madame : Aussi en Lorraine, le père de Raymond. Ils vivaient comme vivent les arabes maintenant, en groupe ! Parce qu’il n’y avait pas le regroupement familial. Ils vivaient que les hommes. Ils se débrouillaient. Ils faisaient leur repas. Ils rapiéçaient leur pantalons. Ils lavaient et ils travaillaient dans la mine.
Et un jour, il y a eu un accident au niveau de la mine. C'est-à-dire que le monte-charge un jour s’est cassé. C’était très profond. Ils ont dû se dire ça y est on est mort ! Et puis il s’est arrêté avant d’arriver au sol. Il n’y a pas eu de fracas. Donc il s’est dit faut qu’on parte de là. Ils avaient des compatriotes qui étaient installés ici à La Seyne.
Ils ont écrit pour savoir si on pouvait trouver du travail et ils sont descendus. Mon père a travaillé dans la maçonnerie. Il a aussi été…, tu sais, le torpilleur de La Seyne, t’as connu.

INterviewer : Non.
Madame : Tu sais ce que c’est le torpilleur ? Le torpilleur de La Seyne c’était lui qui passait ramasser le caca. Il n'y avait pas de tout à l’égout à La Seyne. Pour pouvoir vivre, il fallait bien qu’il travaille, il a même fait ça.
Après la guerre, il a travaillé au viaduc de Bandol en tant que maçon, tu vois c’est eux qui ont restauré le viaduc.
Il a aussi travaillé comme livreur de pain de glace.
Il a fini par travailler chez Vanaquer à la démolition, qui travaillait elle-même avec les chantiers.
Et puis il a fini par travailler aux chantiers.
Il a travaillé aussi aux bus, il était receveur.

Interviewer : Quelles ressources !
Madame : C’était pour te dire que c’était un travailleur quand même, il n’était pas inactif !

Interviewer : Non, puis avec beaucoup de ressources, avec tellement de compétences.
Madame : C’était pas tellement les compétences ! C’était les bras !

Interviewer : Quand même, faire pousser des légumes, réparer le mécanisme des réveils...
Madame : Alors ça, j’ai jamais vraiment compris. Je pense que mon père était un grand nerveux, probablement un grand angoissé. Et il avait une angoisse de la famille, la peur de la maladie. Parce qu’à l’époque quand tu étais malade, déjà il fallait payer le docteur, c’était difficile. Et ensuite il n’y avait pas la sécurité sociale. Il n'y avait rien. La sécurité sociale est arrivée bien après quand même.


Les manifestations Écouter cette séquence

[...] C’est pour cette raison, quand il faisait grève, il savait à quoi il s’exposait. Mais il faisait grève. Il avait une conviction. Il fallait défendre cette classe sociale qui était exploitée.
Donc mon père était un philosophe. Il avait un esprit très critique, très ouvert. Il était très intelligent. Et il n’avait pas fait d’études, mais il avait une vision assez aiguë des problèmes. Que se soit des problèmes politiques, des problèmes philosophiques et en plus quelqu’un de très moral.


Femme au foyer Écouter cette séquence

Interviewer : Et ta mère, elle partageait ses convictions ? Elle travaillait ?
Madame : Maman non. Parce que mon père ne voulait pas. Maman voulait faire des ménages pour élever ses 3 filles et mon père disait « Tant que ces 2 bras auront de la force, tu ne travailleras pas. Je ne veux pas que tu travailles. Occupe-toi des enfants ». Parce que, que veux-tu qu’elle fasse, des ménages ? C’était un choix, c’est plus comme maintenant. c’était encore... les aristos.

Interviewer : Et ses convictions politiques, ses luttes à l’intérieur des chantiers, il en parlait à la maison ? Vous en parliez ensemble ?
Madame : Oui, on en parlait.


Les non-grévistes Écouter cette séquence

Madame : Il faisait passer son coté analyse politique. Il en parlait à table avec ma mère. Il racontait les difficultés des chantiers, les grèves.

Interviewer : C’était quoi les difficultés des chantiers ?
Madame : Les rapports, premièrement avec les chefs qui n’étaient pas grévistes et avec les ouvriers eux-mêmes qui n’étaient pas grévistes.

Interviewer : Il y en avait beaucoup quand même ?
Madame : Oui. Tout le monde n’était pas inscrit aux syndicats. Après, il y avait plus de monde aux syndicats, au moment où c’était plus facile. Où ils ont eu des gains extraordinaires après 68. Mais au début, c’était très difficile. Ils étaient très mal vus, mal notés. Et il n’y avait aucun espoir de passer à la catégorie supérieure.


Les femmes de syndicalistes Écouter cette séquence

Interviewer : L’engagement politique et syndical...
Madame : Mais partout, pas qu’aux chantiers. C’est dommage, il aurait fallut interroger les femmes de syndicalistes. Ma cousine notamment qui a mené une vie avec l’engagement de son mari jusqu’au sacerdoce, vraiment ! Il y a aussi la femme de Conac. Elles, elles l’ont vraiment connu au cœur. Parce que moi mon père, il faisait grève mais il n’avait pas de fonction au niveau du syndicat. Il ne s’était pas engagé jusque-là, toujours pour préserver les enfants.


L’implication politique Écouter cette séquence

Madame : Et puis après, on revenait d’une guerre. Tout le monde revenait de cette guerre.
D’abord, mon père en tant qu'émigré, il était limité. C’était difficile, il avait 3 enfants. Il y avait qu’un salaire à la maison. Maman lui disait de faire attention de ne pas trop s’engager. Elle essayait de temporiser alors que mon père était un battant.

Interviewer : Il y avait quand même une distinction entre français, italiens ?
Madame : Oui, regarde les arabes qui essaient d’avoir la nationalité française maintenant. Ils l’ont vécu, c’était pareil. Seulement on avait la même religion. Alors que maintenant on te porte ça sur le plan de la religion. C’est un faux problème la religion. Tu le sais bien.


Maurice Blanc, de menuisier des chantiers à Maire de La Seyne Écouter cette séquence

Interviewer : Et après, Maurice Blanc, il était engagé dans les chantiers ?
Madame : Oui, Maurice aussi faisait des grèves. Il était aussi gréviste syndicaliste.

Interviewer : Pour les chantiers ?
Madame : Oui, pour les chantiers.

Interviewer : Il a travaillé dans les chantiers ?
Madame : Oui.
Je l’ai connu en 1961. Il a fait son apprentissage aux chantiers. Il a dû rentrer aux chantiers vers l’âge de 14-16 ans, jusqu’en 64–65. Et là, il a quitté les chantiers à mon instigation. Il avait du talent. C’était quelqu’un de très sérieux, qui avait beaucoup de possibilités.
Il était très attiré par l’architecture parce qu’il était menuisier de profession.

Interviewer : Et aux chantiers, il faisait quoi ?
Madame : Tout ce qui a trait au bois, il travaillait à la menuiserie des chantiers.
Et sa vie s’est arrêtée lorsqu’il a eu cet accident de la circulation. Il a subi des tas d’interventions sur sa jambe pour pouvoir la récupérer.
Moi je lui disais « Arrête les chantiers, tu as d’autres possibilités intellectuelles ». Il avait pris des cours de maths...
[...] Il ne travaillait plus comme menuisier. On l’avait mis comme dessinateur du bois, des choses comme ça.
Et un jour, il s’est pris son pied abîmé dans les rails. Il y avait des rails dans les chantiers pour les wagonnets, les trains et il souffrait terriblement quand il se prenait le pied comme ça, une fois, deux fois, la troisième fois il a pas supporté. De rage, de douleur, il est allé donner sa démission. Quand il est arrivé à la maison, il m’a dit : « Et bien voilà j’ai donné ma démission aux chantiers ! ». Je lui ai dit : « tu as très bien fait, tu vas te reconvertir. »
Alors il est devenu commis d’architecte. Ça lui plaisait énormément. Il avait un sens des volumes. Ils ont beaucoup aimé son expérience. Travaillant dans un cabinet d’architecte, Sauset-Parente, un cabinet d’architecte qui s’était installé à Toulon, ensuite à Six Fours, avenue Kennedy, où il a travaillé pas mal d’années et ça a été une ascension pour lui.
Et puis après, là aussi à mon instigation, je n’aurais peut-être pas dû. Je l’ai regretté par la suite. Je l’ai incité à entrer au parti communiste. Où j’ai pris ma carte du PC en 69.
En fait, je disais dans des discutions entre amis, « C’est facile vous critiquez, vous critiquez, seulement vous êtes là en train de regarder le fleuve passer, vous n’êtes pas à l’intérieur. Il faut s’engager quoi ! » Moi je m’étais engagée, c’était la promotion Toussain Merle. Moi je m’étais engagée en juin. Maurice à la rentrée en septembre et puis ça l’a mené jusqu’à être Maire.

Interviewer : Pas mal, quand même.
Madame : C’est pour te dire qu’il avait des possibilités. Donc, Maurice et ses rapports aux chantiers, bien c’est toujours pareil, la hiérarchie, le problème syndical, surtout le problème syndical.


L'apprentissage aux chantiers Écouter cette séquence

Interviewer : C'est quand même pas mal comme entreprise. Elle accueillait des jeunes ! La scolarité n’était pas obligatoire jusqu’à 16 ans à l’époque ?

Madame : Non, je crois jusqu’à 14 ans.

Interviewer : Ils accueillaient des adolescents qu’ils formaient, c’est quand même...

Madame : Donc ils faisaient leurs études à Martini, mon cousin aussi et après ils rentraient. C’est ce que l’on est en train de remettre en place et ils rentraient dans les chantiers. Ils étaient pris en charge. Ils faisaient une formation en fait dans les chantiers ou ailleurs et puis ils étaient embauchés. Et oui il y avait beaucoup de commandes et puis quand il y avait moins de commandes, on balayait, on licenciait. Taillable, corps et âmes à leur merci, ça n’a jamais changé et ça continue.