Accueil > Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer > Femme veuve d'un nettoyeur des chantiers dès 1979
Qualité du son : moyenne
Je suis veuve de l'amiante. Je suis née à Dakar au Sénégal, de famille française. Mon grand-père est mort à la guerre de 40. Mon père a travaillé aussi aux chantiers. Il était nettoyeur, pareil que mon mari. Mon mari est venu pour travailler comme tous les hommes à 20 ans.
On s'est mariés au Sénégal en 1979. Vous le connaissez, vous le connaissez pas : c'est votre mari. Je préférais rester avec mes parents avant de venir en France parce que la France et le Sénégal, c'est pas la porte à côté.
En 81, c'était bien parce qu'il y avait les chantiers. Les hommes y travaillaient. Il y avait l'ambiance parce qu'il y avait plein de monde. Depuis que le chantier est fermé, tout est vide. Ça fait triste. Avant il y avait le marché tous les jours. Tous les samedis, je dansais. Depuis que les chantiers sont fermés, j'ai plus la possibilité financière de continuer.
C'était un travail dur mais en même temps, ça lui plaisait parce qu'il gagnait sa vie là-dedans. Il gagnait le SMIC. Pour le travail supplémentaire, il était payé. Mon mari me disait qu'aux chantiers, on disait que ça allait fermer mais il ne m'a pas expliqué pourquoi. Il était à la pré-retraite en 1986. Je lui ai dit de toucher la retraite plutôt que recevoir une certaine somme.
Il y avait aussi l'amiante qui apparaissait. Déjà on en parlait mais c'était pas encore sûr. Il a eu un cancer. Il était tout abîmé dedans. Tous dans mon immeuble sont décédés de l'amiante. Il est décédé au Sénégal. L'amiante a provoqué une crise.
Je reste avec les enfants petits en France. Comme ils sont nés ici, je préfère les élever ici. Je parle 5 langues de chez moi. Mes enfants ils parlent aussi wolof et mandjak.
Ça a changé la ville. Il y a moins de monde. Nos maris sont tout le temps à la maison. On faisait avec, toutes les femmes. Au début c'était dur. Après ils se sont habitués. Avec les chantiers, vous pouviez voir 2, 3 hommes c'est tout. Sur la cité après, ils étaient tous là. Les gens sont tristes mais ils savent pas quoi faire. Même les femmes voulaient travailler parce que les enfants étaient grands, mais il n'y a rien à faire.
Quand mes enfants ont grandi, j'ai commencé à travailler.
[...] Aux chantiers, ils se parlaient d'homme à homme. Maintenant, ils se voient sur la route mais c'est plus comme avant. Ça lui a manqué beaucoup à mon mari. Des fois, ils organisent des réunions entre hommes pour se parler. Mon mari, il était dans les mouvements syndicaux comme ouvrier.
A la fermeture, il était déjà endommagé. Il toussait. Il avait des vertiges. Il était indemnisé de l'amiante. Depuis qu'il est décédé, j'ai pas touché d'indemnités du fait de l'amiante. Je compte recommencer avec mon dossier. Je compte pas me laisser faire, jusqu'à ma mort. Ils me disent que j'ai pas le droit de toucher le capital. Pourquoi ? Je vais reprendre un rendez-vous avec un médecin qui est de mon côté. Je touche rien du tout, même pas le RMI. Je suis tombée malade, je peux plus travailler. J'arrive pas à payer mes factures. Mon mari est mort de maladie professionnelle. Pourquoi je suis en double souffrance ? Je n'ai rien à manger et j'ai perdu mon mari. Je sais plus où je suis. Je suis chez moi, je fais plus rien. Je cherche du travail.
Ils vivent tous avec moi mes enfants. Je suis grand-mère 2 fois. Entre femmes on se voyait tous les jours. On s'entend bien. Beaucoup de femmes ont fait des ménages après la fermeture des chantiers. Ici il y a beaucoup de chômage. Les enfants n'ont pas trouvé de travail, ou alors ils partent ailleurs. Ils sont là à se demander entre eux comment sera leur avenir. Ma fille, je peux pas l'aider pour ouvrir son dossier d'aide-soignante. J'ai pas les moyens. L'aînée elle fait des remplacements de ménages. Celle qui a les 2 enfants n'est pas encore mariée. Moi j'ai jamais été à l'école. J'ai appris à parler avec ma paroisse, des sœurs, des prêtres. Mais comme on fait des associations on parle beaucoup, alors j'ai appris à parler. Même mon courrier, je le fais moi-même, sauf si c'est compliqué.
J'ai créé Femmes dans la cité. Ça a été créé par mon idée. Pour sortir les femmes, pour se connaître. On a contacté toutes les femmes en 86/87. J'ai proposé ce nom-là pour l'association. N'importe quelle femme a le droit de venir. Il y a toutes les origines à l'association et dans la cité. Je ne sais pas quelle communauté est la plus nombreuse. Moi j'ai gardé ma culture par la mentalité ouverte. Et puis, on a le respect des personnes âgées, du monde des hommes, du monde des femmes. Et les enfants, ils sont à tout le monde. La femme, elle n'a que la grossesse. On a gardé ça. Quand je suis arrivée, il y a des choses qui me choquaient. Par exemple, la française qui te regarde d'en bas jusqu'en haut, sans rien te dire.