Accueil > Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer > Fondatrice de l'Association Histoire et Patrimoine Seynois en 2000
Née à La Seyne-sur-Mer de parents bretons, père marin et mère au foyer, dans une famille de 5 enfants, Yolande Le Gallo a été la seule à faire des études. Elle a eu un enfant très jeune, puis un deuxième. Elle a travaillé tôt comme institutrice, puis, tout en travaillant, elle a passé son CAPES, et finalement un doctorat en histoire. Elle a enseigné en école, en collège et en lycée, un peu partout en France avant de revenir dans le Var. Elle a été syndicaliste et militante. C'est dans les dernières années de son activité professionnelle, et aujourd'hui qu'elle est à la retraite, qu'elle s'est plus particulièrement intéressée à l'histoire de La Seyne-sur-Mer. Elle a fondé en 2000 l'association Histoire et Patrimoine Seynois.
Qualité du son : bonne
Madame Le Gallo : Mes parents sont nés en Bretagne, Melrand dans le Morbihan, des gens modestes, de la Bretagne profonde. Mes grands-parents étaient des petits artisans de campagne. Mon père a travaillé très jeune. Ma mère a été placée dans une famille comme domestique. En Bretagne, comme aux États-Unis pour l'Irak, des gens passaient pour recruter des jeunes gens pour la marine. C'est ainsi que mon père est entré dans la marine. Il s'est retrouvé à Toulon, dans les années 20. Il est allé à l'école jusqu'à 13 ans, puis garçon de ferme dans la Beauce. Il a travaillé aussi à Baccarat où il a soufflé le verre, très jeune, il envoyait l'argent qu'il gagnait à ses parents. La Bretagne, au lendemain de la première guerre mondiale, était très pauvre.
On recrutait les jeunes. Mon père s'est engagé dans la marine, il avait 16-17 ans. Il a dû avoir une petite formation en Bretagne. Il s'est retrouvé à 18-20 ans à Toulon. Il a fait l'école des canonniers à La Londe... Un canonnier c'est celui qui mène les canons, qui manipule les canons...
Pour mon père, quand il était dans la marine, c'était un homme jeune. Il vivait sur les bateaux, il a été formé à ça. Il sortait de sa Bretagne profonde. La marine a toujours été un lieu de promotion sociale. Pour lui ça l'a été. Il n'a pas dépassé le niveau des sous-officiers, il aurait pu. Il n’était pas trop bête. Il travaillait assez bien à l'école, mais à 13 ans il a fallu qu'il aille travailler, c'est comme ça que ça se passait. Il m'a toujours raconté qu'il avait un ami, qui avait progressé, qui lui disait « Mathurin il faut que tu ailles à l'école, que tu progresses ». Il ne l'a pas fait. Il m'a dit, après coup "je le regrette". Il gagnait sa vie. Il avait une famille. Il n’a pas pensé à aller au delà. Il était un peu seul, c'est le problème des milieux populaires. Quand on n'est pas sollicité, entraîné par des gens autour de soi, on ne le fait pas, même si on en a les capacités intellectuelles. Il faut avoir les conditions affectives et intellectuelles pour aller plus loin, parce que la méritocratie républicaine ça existait. Il n’a pas été assez entraîné par ses parents, des gens modestes qui ne l'ont pas poussé à autre chose, pas amené à faire plus que ce qu'il a fait.
Madame Le Gallo : Ma maman vivait dans un village, le même village que mon père. Elle avait 6 ans de moins que mon père. Elle était fille d'un menuisier et d’une épicière. Elle me disait toujours que sa mère ne l'aimait pas. Elle est allée à l'école jusqu'à 12-13 ans, puis elle est allée travailler comme bonne, en ville. Elle a été très bien traitée. Elle était contente, dans une famille de médecin. Elle a perdu son père très jeune. Elle ne s'entendait pas avec sa mère. A 18 ans, elle était célibataire. Mon père, qui était marin à Toulon, est retourné dans son village pour chercher une femme. Comme ma mère était une jolie jeune femme, il a voulu l'épouser. Il a ramené ma mère à Toulon. Depuis, ils ont toujours vécu dans la région, ils ne sont quasiment pas retournés en Bretagne.
Interviewer : C'était dans quelle ville ?
Madame Le Gallo : Je ne sais pas exactement, peut-être Pontivy, la ville la plus proche du village. Une ville du Morbihan, à proximité du village. Elle a été placée. Je ne sais pas quel était le système. On allait chercher des jeunes filles, comme aujourd'hui on va chercher des jeunes filles immigrées, sans doute par relations. Quand elle est partie de cette famille, elle était très malheureuse parce qu'elle y était bien. Elle s'est retrouvée avec sa mère. Elle avait un commerce épicerie-bistrot, ça n'allait pas, elle a été assez malheureuse. Elle est revenue, je ne sais pas, ce n’était pas de son fait. Il n’y avait pas de contrat, on allait et puis voilà.
Interviewer : Comment ça c'est passé pour elle la rencontre avec votre père ?
Madame Le Gallo : Elle ne m’a pas vraiment raconté ça. Elle était sans doute contente de partir, de quitter sa mère. Elle avait 18 ans. C'était un beau jeune homme, marin, qui avait une situation modeste mais qui en avait une. Elle n’avait pas beaucoup d'avenir dans ce village et puis c'était comme ça, on était une fille, on se mariait. Quelqu'un qui faisait sa vie à l'extérieur, ce pouvait être attrayant.
Interviewer : Et partir à Toulon, c'était attrayant?
Madame Le Gallo : Elle ne m’a pas dit mais je pense que ma mère était une femme très résignée. Les choses étaient comme ça. Le jeune homme, je ne sais pas si elle était amoureuse de mon père ... Ça n'a pas été un couple très heureux. Les choses se sont faites comme ça, ils étaient jeunes, ils étaient beaux. Je ne sais pas si elle était amoureuse. Je ne lui ai jamais posé la question. Je pense que le problème ne se posait même pas, pour elle. Au début, je pense qu'ils ont eu une vie de couple assez heureuse, mais ça s'est détérioré assez vite. Mon père partait en tant que marin, ma mère se retrouvait seule. Il n’y avait pas beaucoup d'argent. Elle était mère au foyer. Elle s'occupait des enfants.
Interviewer : Elle aurait eu envie de travailler ?
Madame Le Gallo : Je ne sais pas. Elle a travaillé jeune comme domestique, après elle a travaillé un petit peu. Elle nous disait à nous ses filles, vous avez de la chance vous travaillez. C'était très important pour elle qu'on travaille, qu'on mène notre vie. Mais ça je l'ai su plus tard. C'est l'idée que j'ai de ma mère, la soumission à l'homme et un certain fatalisme. Travailler, ça lui était difficile avec les enfants et mon père c'était un macho, c'est lui qui commandait. Mais comme il n’était là que de temps en temps, elle devait avoir de l'air.
Interviewer : Est-ce que petite vous sentiez que votre mère vous poussait vers un autre modèle, la réussite scolaire, l'indépendance ?
Madame Le Gallo : Non. On a tous bien travaillé à l'école mais il n'y a que moi qui ai suivi des études. On était 5. Ma sœur est allée jusqu'en 3ème, après pour une fille ça suffisait. Mon père voulait qu'elle fasse de la couture. Elle avait une copine qui avait présenté le concours des postes. Il fallait aller à Paris. Il n’était pas question que ma sœur aille à Paris. Malgré tout, ma mère a poussé pour qu'elle fasse du secrétariat au lieu de la couture. Ça avait plus d'avenir dans les années 50. Ma sœur est née en 37. C'était comme ça, les filles allaient à l'école jusqu'en 3ème, dans le meilleur des cas. Après, elles attendaient pour se marier, dans les milieux populaires de préférence avec un marin, voire un officier de marine. Ou alors, on allait un peu au collège pour apprendre à être une bonne maîtresse de maison. Quand on était un peu évoluée, on faisait du secrétariat, avec ça on pouvait passer les concours de la fonction publique. Au mieux encore, on devenait, si c'était possible, institutrice.
Interviewer : Entre la naissance de votre sœur en 37 et la votre 9 ans plus tard, y a-t-il eu un changement de conception ?
Madame Le Gallo : D'abord, j'ai eu un frère, ils sont nés avec ma sœur avant la guerre. Moi en 46, je suis un enfant du retour de guerre. Ce qui a changé, c'est que moi ça a été la période des Trente glorieuses, de l'enrichissement, de la sécurité sociale, des allocations familiales. Moi j'ai bénéficié de tout ça, mon frère et ma sœur, non avant la guerre. En plus, La Seyne c'était une ville communiste. Au lycée, au collège, on ne payait pas les livres. C'était très important quand on n'avait pas beaucoup d'argent. C'était lié à l'époque. Pour les milieux comme le mien, c’était l’époque de la méritocratie républicaine. Mon frère, qui a 7 ans de plus que moi, travaillait bien à l'école. Mais mes parents n'ont pas su le cadrer. Lui aussi est rentré dans la marine. Il n'a pas supporté. Il est quand même resté 15 ans. Il n'a pas utilisé toutes ses compétences.
Il est allé à l'école jusqu'en première. Il a fait le "couillon" comme on dit. Comme il ne travaillait pas trop à l'école, à l'époque on disait : tu vas travailler. Comme mon père était marin, il a passé un concours pour entrer dans la marine, une école en Bretagne pour les transmissions.
Interviewer : On pourrait faire le parallèle avec les chantiers navals ?
Madame Le Gallo : Exactement, j'ai fait un travail là-dessus. Ce qui se passait, quand on vivait dans la région, qu'on appartenait à des milieux populaires, ... si on travaillait bien à l'école, on avait des possibilités de passer des concours, de rentrer dans l'enseignement, la fonction publique. Mais quand on faisait le "zouave", on allait soit à l'arsenal soit au chantier naval ou dans la marine. Ce qu'il y avait d'extraordinaire, (ça a duré un siècle, plus à l'arsenal et à la marine qu'aux chantiers), c'est qu'il y avait une possibilité de promotion. Les jeunes entraient, suivaient les écoles, ils pouvaient devenir ingénieurs. Des gens arrivaient comme simples matelots et devenaient officiers. On arrivait à monter, au chantier aussi. C'était plus difficile d'arriver à être ingénieur, mais surtout on grimpait dans la hiérarchie des ouvriers. On devenait chef d'équipe, contremaître. Quand j'ai démarré, j'étais institutrice, mon salaire n'était pas supérieur à un ouvrier professionnel de 3e catégorie. En plus, ils travaillaient beaucoup, ils faisaient des heures supplémentaires, ça leur permettait de vivre convenablement. C'était ça la soupape de sécurité par rapport à notre époque.
Madame Le Gallo : Il y avait cette possibilité de promotion, dans d'autres régions aussi. Ici, on était quand même dans une région où on avait la marine et l'arsenal, entreprise d'état, et les chantiers navals qui dépendaient beaucoup, dans la production, de l'arsenal et de la marine. Il y avait une rivalité entre l'arsenal et les chantiers navals. Ça créée de l'émulation. C'est une grande histoire. L'arsenal était une entreprise d'état où les ouvriers n'avaient pas bonne presse. On considérait qu'ils ne travaillent pas beaucoup. Tandis que les chantiers navals étaient une entreprise privée où on travaillait beaucoup mais où il y avait beaucoup d'étrangers et qui n'avaient pas le statut et la stature de l'ouvrier d'état. On disait que les ouvriers de l'arsenal étaient des feignants, des "sorbes", parce que le sorbier c'est un arbre qui ne travaille pas. Quand les chantiers ont fermé, 400 ouvriers environ sont allés travailler à l'arsenal. Au début, ils ont été traités comme des moins que rien, des gens qui avaient une qualification, qui savaient travailler. C'était comme une verrue,leur a-t-on dit. Paradoxalement, il y a toujours eu un va et vient entre l'arsenal et les chantiers navals. Mon frère travaillait à l'arsenal, il est venu au chantier où il était mieux payé.
Interviewer : Pourtant dans les entretiens, il y a une image des chantiers navals comme une entreprise subventionnée, quasi publique et des travailleurs comme des fonctionnaires.
Madame Le Gallo : Oui, parce qu'effectivement la construction navale, depuis Louis XIV, a toujours été subventionnée. Evidemment, les dernières décennies, encore plus, pour maintenir l'activité. Et il faut dire que les gens enjolivent les choses parce que cette entreprise les structurait. Depuis la guerre, il y avait un comité d'entreprise, une mutuelle, des cadeaux pour les enfants, une bibliothèque, un tas d'activités culturelles, la coopérative d'achat, la clinique. Toute une structure sociale qui encadrait, qui aidait les gens. Et une solidarité, des syndicats puissants. Les gens avaient le sentiment qu'ils avaient une emprise sur le travail. Le PC était fort. Il s'avère qu'à la mairie, le PC dominait. Les gens dans le travail avaient une maîtrise. Et au niveau politique, dans la ville, ils étaient représentés.
Madame Le Gallo : Ils avaient l’emprise sur leur vie professionnelle et en général. Et dans la région, La Seyne a toujours eu un statut, par sa situation géographique, un peu à l'extérieur, un peu à part. Toulon, c'est la ville des militaires, des marins, des ouvriers d'Etat et La Seyne c'est la ville des ouvriers, des Italiens, des étrangers.
De plus, dans son histoire, elle a été la ville franche. Des gens, qui ne pouvaient pas être à Toulon, étaient La Seyne, la ville rebut. Elle a eu mauvaise presse. Après, ça a été la ville communiste.
Interviewer : Un marin comme votre père gagnait moins qu'un ouvrier au chantier ?
Madame Le Gallo : En tout cas, il ne gagnait pas plus comme les marins à cette époque-là. Mon père a terminé Premier Maître. Il ne devait pas avoir un salaire élevé, à la manière dont on vivait. Mon père n'a jamais acheté une maison, peut-être qu’il n’a pas été habile non plus. Il n'avait pas de voiture. Il n’a jamais envisagé de changer de métier, mon frère oui. Il était là-dedans, il était fier, il était marin, il avait un bel uniforme, ça compte. C'était une "gloriole" qu'ils ont toujours.
Et qu'est-ce qu'il aurait fait d'autre ? En plus, il ne connaissait pas le monde autour de lui. On était extérieur au chantier. Moi, j'ai su que ça existait quand je suis allée au collège. Ça n’existait pas pour moi. On n'était pas de ce milieu. On n'avait pas de famille. Mon père était assez solitaire. On vivait avec les voisins, mais on n'avait aucune conscience politique, syndicale.
Madame Le Gallo : Il ne se souciait pas de ce qu'il y avait autour de lui. Mon père était pétainiste quand il y a eu Pétain, Gaulliste quand il y a eu De Gaulle. Et maintenant, il est peut-être sarkozyste... Vieillissant, il est devenu très conservateur. Nous, ses enfants, sommes divisés. Plus jeune, il nous provoquait pour qu'on se dispute. Je pense que son père était un socialiste du début du siècle.
En Bretagne, la religion est très prenante. Il allait à l'école des "rouges", l'école publique. Par contre, il n'aime pas les curés. Il disait "quand j'allais à l'école, on me jetait des pierres. Tu te rends compte, le curé n'a pas voulu donner les pâques à ta grand mère ! » Je pense que son père était socialisant, un monsieur qui avait la cravate, un bourgeois, venait le voir. A l'époque, c'était le sabre et le goupillon. Il en a un souvenir désagréable. Quoique maintenant le dimanche, il regarde la messe à la télévision. Mais, il a 97 ans alors on lui pardonne.
Interviewer : Quand ils sont arrivés, ils se sont installés à Toulon et ensuite à La Seyne ?
Madame Le Gallo : Oui, mon père travaillait sur un bateau à Toulon. Il était dans le quartier des bretons, du côté de Claret. Les deux catégories d'immigrés arrivés à peu près ensemble étaient les bretons et les italiens. Après, il s'est installé à La Seyne. Il était au fort de Saint-Elme, au bout de Saint-Elme. Il était à la batterie, comme il était canonnier. Après la guerre, moi je suis née en 46, entre Mar-vivo et les Sablettes, dans une petite rue (Impasse Cablat). Après on est allés à Saint-Elme, on a squatté un immeuble. Il y avait des rats, des souris. Puis mes parents ont loué une villa avenue Bésostri. Ce n'était pas comme aujourd'hui, c'était bon marché. Une rue où il y avait énormément d'enfants.
Je dis "squatter". Je force le trait. Ils louaient... J'ai ce souvenir d'avoir vu des rats. Il y avait des cafards. C'était au bord de l'eau, vraiment très frustre, basique, comme les appartements pouvaient l'être après la guerre. La région a beaucoup souffert de la guerre. On allait là où on pouvait aller.
Madame Le Gallo : Avenue Besostri, j'habitais dans une villa qui s'appelait La Louisiane. Ce devait être une villa construite par des gens assez argentés. On n'avait pas de WC, de salle de bain, pas de chauffage central. J'avais froid mais on avait un immense jardin, dessiné à la française, de beaux arbres. Ce devait être des coloniaux ou alors des bourgeois de Marseille qui ont construit une maison secondaire.
Le propriétaire, c'était un instituteur de La Seyne, Monsieur Sageot. Il avait hérité de sa mère. C'était très simple mais on avait un grand jardin. Pour les enfants c'est le bonheur. On vivait dans la rue, c'est le baby boom, ça grouillait d'enfants. Avenue Besostri, c'était à 5 mn de la mer. On partait tous ensembles, ni papa, ni maman, aucun adulte, on se débrouillait. J'ai appris à nager toute seule. Ce sont de bons souvenirs d'enfant. On était dans des espaces où on était libres. On n'avait pas de voiture.
Madame Le Gallo : Je ne savais pas que les vacances existaient. Il a fallu que je devienne adulte pour m'en rendre compte. On ne savait pas ce qui existait au delà de notre milieu. Pourtant on avait la télévision, mais on n'avait pas idée. Mes parents n'avaient pas tellement d'ouverture sur l'extérieur.
Pour les milieux populaires aujourd'hui, ce n’est pas qu'ils manquent d'argent forcément, on a beau leur dire faut que tu travailles à l'école... je le sais parce que je l'ai vécu. Je ne savais pas que la musique existait. Le cinéma oui, parce qu'à La Seyne, il y avait des cinémas. Ma sœur avait une copine qui l'avait initiée. Elle écoutait de la musique, c'est comme ça que j'ai su qu'il y avait de la musique et tout à l'avenant. Une collègue de 40 ans, j'en avais 35, avait un père médecin, quand elle était adolescente elle allait à la montagne, moi je ne savais pas que ça existait.
Interviewer : Vous n'alliez jamais en Bretagne ?
Madame Le Gallo : J’y suis allée une fois à l'âge de 14 ans, un mois. On était dans la famille, dans les prés. Les gens parlaient breton, au bout d'un mois je comprenais le breton, mais c'était tout. On s'est bien amusés. Je sais que je ne suis pas vraiment d'ici, mais je ne sais pas d'où je suis. Je n’ai pas d'attaches réelles avec là-bas. Je suis allée en Vendée, une autre fois en Bretagne du nord. Je me suis sentie bien. J'adore être ici. J'aime la chaleur, la mer. En même temps, je ne suis pas bien, c'est assez curieux. Je me suis dit il faut que tu ailles en Bretagne, je vais me sentir bien. Mais je ne voudrais pas y vivre. Je n’y suis pas allée beaucoup.
Interviewer : C'est quoi qui vous manque ici ?
Madame Le Gallo : Je ne sais pas, rien. Mais c'est un pays qui est artificiel. C'est le sentiment que j'ai, ça manque d'identité et pourtant je n’en suis pas. Je suis née, je n'en suis pas vraiment, mais en même temps j'en suis. En dehors des constructions, par exemple à La Seyne ce qui m'affecte c'est de voir, même si on se raisonne et on se dit les gens ont le droit d'être logés. C'est tellement banal, ça fait mal, cette région c'est la banalité. J'habite Six-Fours par les hasards de la vie, mais je n'aime pas Six-Fours, ce n’est pas la ville. La Seyne ça reste une ville, il y a des populations mélangées. Six-Fours c'est un lieu de résidence pour personnes âgées. Ces maisons fermées, le manque de contact, les mentalités. Cela dit, je suis très contente de vivre ici parce que j'adore aller me baigner, il fait beau, il fait chaud.
Interviewer : Vos parents ne cultivaient pas l'origine bretonne ?
Madame Le Gallo : Ils avaient un accent. Ils roulaient les r. Dans la manière de cuisiner, ma mère, même si elle s'était mise à la cuisine méditerranéenne,faisait des plats de la Bretagne. Au niveau des mentalités, mais est-ce que c'est la Bretagne ou leur milieu social, ils étaient très durs. Je pense parce qu’eux mêmes ont été élevés par des gens durs.
Interviewer : Vos parents parlaient breton ?
Madame Le Gallo : Oui, ils l'ont perdu avec le temps. Ils avaient un cousin breton dans la marine. Ils parlaient breton ensemble. Mon père a reçu longtemps "Ouest-France". Il garde des liens, il a de la famille. Il a perdu les contacts, contrairement à d'autres qui sont retournés. Au début mon père pensait qu'il allait y retourner, comme tous les immigrés, et puis les enfants sont nés, ils se sont installés ici.
Interviewer : Votre mère, la Bretagne lui manquait ?
Madame Le Gallo : Non, ils ont été coupés de la Bretagne. Ma mère par sa famille, sa mère est morte. Les liens familiaux étaient très ténus. Elle a perdu contact avec sa sœur. Elle avait plus de liens. Je ne pense pas qu'elle ait eu des regrets. Ils l'ont oubliée.
Interviewer : Vous, la scolarité, l'école ?
Madame Le Gallo : J'allais à la petite école des Sablettes, reconstruite après la guerre. J'étais bonne élève à l'école, du coup je suis allée au collège et au lycée. Je n’étais pas une brillante élève, mais travailleuse, sérieuse. A 14 ans, j'ai eu un petit amour, à 16 ans, je suis tombée enceinte, à 16 ans et demi j'ai eu un enfant et à 18 ans un deuxième. J'étais en terminale, en math élém. J'ai quitté parce que j'étais enceinte. Je me suis mariée. Heureusement j'avais un mari, un jeune homme, de 19 ans, très orgueilleux, qui m'a poussée, je lui en sais gré, à reprendre mes études. J'ai passé mon bac, j'ai continué, je suis partie avec le père de ma fille. Mais ma fille était handicapée, elle est morte à 23 ans. Puis j'ai eu ma deuxième fille, que j'ai toujours, elle a 43 ans maintenant. Ma fille aînée aurait 44 ans. J'ai passé mon bac et de là je suis allée travailler parce qu'il le fallait. Je suis partie comme institutrice dans l'est. J'avais froid, dans les Vosges. Par manque d'information, selon le milieu, je ne savais même pas qu'il existait des cours par correspondance gratuits. J'aurais pu, je ne savais pas. J'ai eu mon enfant, ma belle-mère a gardé ma petite fille. J'ai repris mes études l'année suivante. J'ai arrêté un an. J'ai passé mon bac et j'étais enceinte de ma deuxième fille.
Madame Le Gallo : C'était ma voisine danoise qui me disait : "il existe la contraception". Ce n’était pas légal encore. Il fallait s'adresser au planning familial. Dès que la pilule a existé, j'ai pris la pilule. J'ai fait partie des premières. On faisait venir un diaphragme d'Angleterre. C'était illégal ici, c'est rigolo maintenant.
Interviewer : Il n'a pas été question d'avortement ?
Madame Le Gallo : Oui, ma sœur aînée m'a aidée, m'a parlé d'avortement. Je voulais avorter mais j'étais une "gnoque". Mon mari ne voulait pas, il était un peu "fada". Ma sœur voulait, je voulais. Il fallait une somme d'argent que je n'avais pas. Je n’ai pas avorté, après on se fait aux choses, on s'adapte.
Ça perturbe quand même beaucoup une vie parce qu'il faut s'en relever de tout ça, avec le recul du temps. En plus ma fille Frédérique a eu une encéphalite. Comme j'étais très jeune, je l'ai amenée chez le médecin, j'ai fait confiance au médecin. Elle avait des convulsions, le cerveau a été abîmé. Même à cette époque, une encéphalite prise rapidement pouvait être enrayée. Donc elle n’a jamais grandi.
J'ai beaucoup travaillé. J'ai beaucoup étudié. Le travail était un moyen de m'en sortir. Je n'avais que ça, l'étude. Après, j'ai divorcé, j'ai eu une autre vie, puis une autre vie.
Madame Le Gallo : Je n’ai pas eu les ressources psychologiques, sociales. Je suis rentrée au lycée à Grenoble. Le père de ma fille m'a poussée. Le lycée Stendhal celui de la bourgeoisie grenobloise, les filles "machin chouette" m'ont pris sous leur protection. Des gens un peu cathos, un peu sociaux. La directrice devait être une femme très émancipée parce qu'elle m'a acceptée. Elle m'a pris dans mon bureau, vous racontez rien. Il ne fallait pas que je raconte mes nuits qui n’étaient pas terribles. Il m'a manqué le substrat social au sens large, cette ouverture que donne la vie intellectuelle, la vie sociale. Quand on est petit, modeste, on n'y arrive pas, il faut se débrouiller.
Tout ça m'a manqué. Je vois ma sœur aînée, elle n’avait pas de conscience mais elle était plus révoltée que moi. A une époque j'étais résignée. C'est le problème des femmes qui intègrent beaucoup de choses. C'est pour ça que je suis féministe.
Interviewer : C'est les études et le travail qui vous ont fait changer ?
Madame Le Gallo : Les études, le travail. J'ai rencontré des gens qui m'ont fait changer. Une femme me donnait des cours gratuits. Des gens m'ont donné un petit coup de main. Ma fille quand elle dit quelque chose de négatif à sa fille, je lui dis non : il faut que les gens aient confiance en eux. Quand j'étais enseignante, j'ai toujours fait ça, je cherchais toujours ce qu'il y avait de positif dans les enfants. Selon ce que j'avais vécu, j'ai toujours essayé de les valoriser, de trouver en eux ce qui pouvait les porter, les aider à s'en sortir.
Interviewer : Vous aviez envie d'être enseignante ?
Madame Le Gallo : Pas du tout, on en avait besoin. Je voulait travailler tout de suite. On apprend à aimer. On apporte ce qu'on est. J'avais ce côté où je voulais aider les jeunes et pas seulement leur transmettre un savoir.
Mon mari a voulu faire propédeutique à Grenoble parce que c'était mieux coté. On a eu un appartement universitaire. On a vécu là-bas durement.
Madame Le Gallo : Mes beaux-parents nous ont un peu aidés. Mon beau-père était au chantier... Ils ont eu quatre enfants. C'était vraiment l'ouvrier des chantiers... Il a progressé... Une femme qui avait certainement un potentiel, mais qui s'est laissée faire par son mari. Ces gens ont été très bien avec moi, ils m'ont soutenue. Mon premier mari était quelqu'un d'un peu particulier. Ils m'ont beaucoup aidée pendant la période où j'ai vécu avec cet homme, qui était un homme jeune. Avec cette enfant handicapée, ils m'ont beaucoup aidée, plus que mes parents. Mes parents, pendant un moment, je ne les ai plus vus, à cause de ce mari. Après je me suis bougée, j'ai eu une période où j'étais éteinte. Et la seule chose qui m'a sortie de là c'est le travail, les études surtout.
Interviewer : Comment ont réagi vos parents à votre première grossesse ?
Madame Le Gallo : Ils ont été très malheureux. C'est ma sœur aînée, qui fait office de deuxième mère,qui a appris à mon père que j'étais enceinte, le soir même j'ai quitté la maison, je suis allée vivre chez ma sœur. On avait peur de sa réaction. Mais ils ont dû être très malheureux. Ils étaient fiers de moi. J'étais la seule qui suivait des études. Je passais mon bac, j'étais en terminale. Ça a dû être terrible.
Après, heureusement, les choses évoluent, les relations changent. Il a dû être malheureux.
Interviewer : A l'époque vous en aviez conscience ?
Madame Le Gallo : Non, pas du tout, j'essayais de me sauver à l'époque. J'avais honte. En même temps, il fallait assumer. Après, ils ont vu que je n'ai pas eu un mariage heureux. Entre l'enfant handicapée, le mari qui "courait le guilledou", ça a été une période très difficile. Mais mes beaux-parents m'ont soutenue. Ils gardaient la petite, des choses comme ça.
Interviewer : Votre premier poste, c'était les Vosges ?
Madame Le Gallo : Je me suis retrouvée à Saint-Maurice-sur-Moselle, au pied du ballon d'Alsace. Il faisait froid, une classe unique, mon Dieu. Je ne savais pas du tout ce que c'était. En 64, le fin fond des Vosges, la vallée textile telle qu'on peut l'imaginer. Après j'ai eu un poste dans le village à côté, une classe primaire avec le poêle au milieu. Puis je suis allée à Nancy, en école maternelle. Je me suis spécialisée pendant 7 ans en école maternelle. J'y suis restée jusqu'en 68. Je suis redescendue parce que j'avais ma fille handicapée chez ma belle-mère, c'est ce qui m'a permis de redescendre. J'étais à Saint-Cyr-les-Lecques, institutrice à l'école maternelle.
Madame Le Gallo : Là, j'ai repris des études. J'allais à Aix. J'ai passé la licence. Je me suis retrouvée en collège à Toulon. Là-dessus, j'ai divorcé. J'ai changé de vie. j'ai rencontré un autre homme, je suis partie en Guyane. J'ai essayé de passer le capes. Je n’ai pas assez travaillé. j'ai passé quatre ans en Guyane avec cet homme. Je suis revenue à Rouen. J'étais avec ma fille qui grandissait. J'ai passé mon capes à Rouen, j'avais 38 ans où j'ai passé 8 années à Rouen. Je suis redescendue dans le Var, à Draguignan pendant qutre ans. Puis j'ai été mutée à La Seyne pendant 10 ans. Là j'ai fait une thèse, donc c'est tout récent, c'est alors que je me suis intéressée à l'histoire locale et la boucle est bouclée.
Interviewer : Vous avez découvert l'existence des chantiers navals très tard, comment ça se fait ?
Madame Le Gallo : J'appartenais à une famille qui ne travaillaient pas aux chantiers. J'habitais aux Sablettes. Mon père était marin, il n'avait aucune relation avec les chantiers navals. On n'en parlait pas du tout, on n'avait pas de conversation là-dessus et sur la vie sociale en général. J'ai découvert les chantiers quand je suis allée au collège, j'avais 10 ans. Je ne me suis pas posée de questions, ça faisait partie du cadre, le bruit, les vélos, les gens qui sortaient des chantiers, la sirène mais c'était tout. Je n'étais pas de ce milieu. Je les ai un peu plus découverts quand je me suis mariée et que j'étais dans cette famille où le père était ouvrier puis contremaître aux chantiers. Je le voyais partir, revenir.
Je savais aussi que ça existait dans la mesure où j'étais allée voir un lancement de bateau. L'école nous y amenait. Tant que ça fonctionnait, on ne se posait pas la question. Quand j'étais mariée avec le père de ma fille, dans cette famille, c'était naturel. Ce n’était pas un militant. Il devait faire la grève, mais pas un militant. C'était son lieu de travail et puis c'est tout.
Madame Le Gallo : J'ai pris conscience des chantiers. Après, moi, je suis partie travailler ailleurs. J'ai pas vécu à La Seyne pendant longtemps. C'est par touches que j'ai été en contact.
Quand j'étais une institutrice, on disait qu'un instituteur ne gagnait pas plus qu'un OP3. Ça fait partie de la vie de la ville mais quand tu n’étais pas du milieu, tu n’étais pas complètement dedans. Je n'avais pas le Noël, pas le centre d'achat... C'est quand j'ai travaillé à Beaussier, mais sur le tard, j'avais plus de 50 ans, les chantiers n'étaient plus là, que des gens comme moi ont pris conscience de l'existence des chantiers. Le lycée malgré tout c'était une coupure. Il a toujours été pas dans le milieu des travailleurs des chantiers, quoique disaient les gens et ça a été le cas longtemps. Je n’ai pas vécu la fermeture des chantiers. Je n’étais pas dans la région.
Madame Le Gallo : Ma famille fréquentait peu le centre ville de La Seyne. Le centre vraiment vivant de La Seyne c'était le marché. On y allait peu. On allait chez le médecin ou à la bonneterie Pellegrin. Ma mère achetait ses soutiens-gorge là, ou les chaussures Padovani, des choses comme ça. Mais on n'était pas comme mon ancienne belle mère qui, tous les matins, allait faire le marché parce qu’elle n’était pas loin. Nous, aux Sablettes, on allait à l'épicerie Pignatel, qui n'existe plus ; aux coopérateurs du midi, des achats moins chers. Ma mère allait peu au centre ville. On prenait le car étoile. On y allait pour des choses précises, le cinéma. On n’était pas des gens qui fréquentions régulièrement le centre ville. On n’était pas de cette activité qui faisait la ville.
Interviewer : Vous avez senti cette extériorité, vous vous êtes sentie exclue ?
Madame Le Gallo : Non pas du tout, je n'avais aucune conscience de ça. J'étais le nez dans le guidon, l'école.
Interviewer : Quel est votre souvenir du lancement de bateau ?
Madame Le Gallo : Je devais être au cours moyen. Les images qui me sont restées c'est beaucoup de monde, beaucoup de bruit, les poteaux sur lesquels on tape, les chaînes qui partent avec le bateau. C’est très impressionnant. Est-ce que ce sont les images que j'ai vues après coup, ou mes propres images, je ne peux pas dissocier les choses. En tout cas, c'est quelque chose qui m'est resté, qui sortait de mon milieu quotidien.
Au cours moyen, on était allés faire une sortie à Aix-en-Provence, parce que je travaillais bien à l'école. L'image qui me reste c'est cette fontaine moussue. Ça me sortait de mon milieu quotidien.
Interviewer : Vous avez quitté La Seyne, vous êtes revenue pour enseigner ?
Madame Le Gallo : J'ai passé quatre ans au lycée de Draguignan, puis je me suis retrouvée au lycée Beaussier en 1993, quatre ans après la fermeture officielle des chantiers. La ville était totalement sinistrée, c'était triste, on voyait ce vaste no man's land des chantiers, cette friche et la ville qui avait complètement décliné. C'est comme ça que j'ai retrouvé la ville. Cela dit, je revenais très régulièrement, mais j'ai vécu beaucoup de choses ailleurs. En discutant avec les gens, petit à petit, c'est curieux, jusqu'à ce que je revienne, je ne me suis pas tellement intéressée à tout ça, prise par mon travail, par ma vie. En revanche, quand je suis revenue, petit à petit les choses sont venues, je me suis intéressée à l'histoire de La Seyne. Comme j'ai fait ma thèse, des recherches pour l'INRP sur l'enseignement technique, du coup je suis allée voir le célèbre Marius Autran, l'historien de La Seyne. C'était un ancien de la fameuse école Martini. Je me suis remise dans ce bain de l'histoire de La Seyne. Je me suis ré-intéressée à l'histoire de la ville. J'ai recollé les morceaux. J'ai vu le lien entre l'école et l'usine à La Seyne, à Toulon. Dans une recherche, on a toujours un lien personnel, je me suis rendue compte des problèmes. Pour notre génération, quand on travaillait bien à l'école on était sûr d'avoir un emploi. Par la suite, les gamins on ne savait pas trop quoi en faire. Quand j'ai fait ces recherches sur l'enseignement technique, j'ai pris conscience de la différence d'époque. Si on ne travaillait pas bien à l'école, on avait toujours le débouché des chantiers ou de l'arsenal alors que dans les années 90-2000, c'était autre chose.
Madame Le Gallo : Ça m'a ouverte. Petit à petit, j'ai redécouvert des choses. Parallèlement, j'étais militante syndicale. J'avais des responsabilités. Tout ça a fait que j'ai pris un peu d'épaisseur. Les dix dernières années de ma carrière professionnelle ont été d'une grande richesse pour moi. Quand j'habitais La Seyne, j'ai beaucoup manifesté pour les chantiers. Ma fille, petite, je l'amenais avec moi, elle en avait assez. Un jour, elle m'avait dit "je prends mon vélo". On manifestait pour les chantiers, pour tout aussi. Généralement, on manifestait pour nos propres revendications syndicales. Je suis partie de La Seyne en 77. Dans les années 70, j'ai beaucoup manifesté. On liait tout. On avait l'espoir de changer le monde. On pensait qu'on allait faire la révolution, changer les choses. Nos revendications salariales étaient liées aux revendications des autres, on se retrouvait.
Interviewer : C'est là que vous avez décidé de vous mettre à la recherche ?
Madame Le Gallo : Voilà, tout s'est fait en même temps. J'ai toujours eu envie de faire de la recherche. A Draguignan, je me retrouvais en lycée. Au niveau professionnel, j'ai fait toutes sortes de choses. J'ai changé souvent de niveau d'enseignement et d'établissement. Le hasard a fait que l'INRP (Institut National de la Recherche Pédagogique) cherchait des professeurs susceptibles de faire des recherches dans les archives, sur l'histoire de l'éducation. Ça m'intéressait. Je me suis inscrite. J'avais les Archives départementales à côté. J’y suis allée comme ça, sans faire ce qu'il faut faire. J'ai attaqué bille en tête les archives, ça me plaisait beaucoup. C'est comme ça que je me suis intéressée à l'enseignement technique. C'est comme ça que je me suis lancée dans cette recherche. Je me suis dit que j'allais en faire quelque chose.
J'ai rencontré un prof qui était intéressé, un seynois qui avait un poste à Paris XIII. Il m'a dit si tu veux, j'ai fait un DEA et une thèse. C'était un excellent prof, Jacques Giraud. Il a beaucoup fait sur l'histoire politique et sociale. Il a travaillé sur la banlieue. Il a fait sa thèse sur le Var rouge de l'entre-deux-guerres. J'ai soutenu ma thèse à Villetaneuse.
Interviewer : Comment ça a été de se remettre à la recherche tout en travaillant ?
Madame Le Gallo : J'ai toujours étudié en travaillant. Et j'ai eu un contexte beaucoup plus difficile que ça. Quand j'ai passé ma licence, ma maîtrise, le capes, j'avais le travail, les enfants, le mari, le divorce... Là, au fond, je travaillais mais j'avais un contexte personnel très équilibrant, avec mon mari actuel. Cela dit il y a des choses qu'il ne comprend pas forcément, mais il est très gentil, il m'aidait beaucoup. Mais c'était dur pour lui quand même, une thèse ça prend beaucoup de temps. Le plus dur c'est la rédaction. J'ai pu m'arrêter de travailler. J'ai fait 5 fois ma demande de congés de formation. Je ne l'ai jamais eu. J'ai travaillé non stop de 18 ans à 57 ans. Étant donné mes annuités, j'ai pu m'arrêter à 57 ans. D'abord en cessation progressive d'activité, payé à 80% et travailler à 50%, c'était pour inciter les gens à partir.
A l'époque, où il y avait encore une dimension sociale, on s'intéressait un petit peu aux gens. Les gens pouvaient partir progressivement à la retraite. A 55 ans, j'étais à 50%. J'ai pu avancer mon travail. Le côté négatif c'est que tu te détaches de ton travail. Tu n’es plus autant impliquée. A 58 ans, j'ai pu avoir le congé de fin d'activité. Il fallait 37 annuités et demi, moi j'en avais presque 40. Je suis partie, ce qui m'a permis de terminer ma thèse. Pendant deux ans, j'ai rédigé.
Interviewer : Qu'est-ce qui vous a motivée ?
Madame Le Gallo : La recherche en soi c'est passionnant, le plaisir de la connaissance. Et puis après, c'est à la fois une souffrance et une satisfaction extraordinaire : écrire, mettre en forme, organiser. Tu sors tout de toi. Tu es crevée, vidée mais c'est passionnant. Et puis je suis quelqu'un qui va au bout des choses. Je vois mon beau fils, il a commencé une thèse en même temps que moi, il n’est pas allé au bout. Au fond dans ma carrière, il me manquait un niveau. D'abord, je n'ai pas eu le courage de préparer l'agrégation. C'était encore du sacrifice pour un résultat aléatoire. Il y avait la thèse. C'est les circonstances qui ont fait que je suis allée vers ça. Dans ma carrière, c'était un peu un aboutissement et puis une reconnaissance.
En même temps j'ai créé l'association avec d'autres ,ce qui n’a pas fait plaisir à tout le monde. On avait des soucis avec la municipalité. Le fait d'avoir une thèse, ça te place un peu. Tout ça est très relatif, je ne me fais aucune illusion.
Madame Le Gallo : On s'est opposées au maire parce qu'il détruisait des bâtiments industriels. En conseil municipal, on nous avait traitées d'hystériques du patrimoine. J'avais répondu à la presse (un droit de réponse). J'avais dit que tout ce qui est excessif est dérisoire et que notre différend ne relevait pas de problèmes médicaux mais du débat démocratique. J'avais répondu normalement. Et j'avais signé docteur en histoire. C'était la première fois. Moi je n’aime pas, j'avais quand même demandé l'autorisation à mes collègues de l'association. C'est la seule fois où je me suis mise en avant pour l'écraser un peu, ce monsieur. On se fait des petits plaisirs comme ça, mais les bâtiments il les a détruits quand même. N'empêche, aux journées du patrimoine 2007, il est venu à notre débat. Il a critiqué mais quand même. J'ai rencontré un jour un ancien adjoint qui a dit : "Ah, ces dames, les courageuses". Il ne faut jamais baisser la tête dans la vie.
Interviewer : Courageuses de s'attaquer à cette histoire ou de s'opposer au maire ?
Madame Le Gallo : Oui on était courageuses. On savait très bien ce qu'on risquait. On l'a payé, on nous a supprimé les subventions. On nous a mis hors du local qu'on occupait. Il faut résister,il ne faut pas dire amen. Là où on a été légers, c'est que quand on est allés au tribunal administratif, on n'avait pas d'avocat. Il y avait Françoise, on était toutes les deux comme des âmes en peine. On était des bleues. On ne s’est pas rendu compte de ce qu'on faisait. On allait bille en tête. On n'a pas pris d'avocat parce qu'on avait fait une assemblée générale et il y en a qui n'en ont pas voulu. Aux élections suivantes, les mêmes sont allés sur la liste du maire. On a compris. En tout cas, les bâtiments on été détruits, aujourd'hui ils y seraient ça rendrait bien des services. Ils pourraient servir pour une médiathèque ou autre chose, mais on n'a pas voulu nous écouter.
Interviewer : La création de l'association ?
Madame Le Gallo : Je suis revenue en 93, j'avais quand même de l'expérience. La thèse, ça te fait réfléchir. J'ai beaucoup mûri au niveau personnel, professionnel, intellectuel. J'avais plus de recul. Gérard me disait, "il faudrait que tu crées une société historique". Parce que lui venait de Tremblay-en-France et il appartenait à l'époque à une société historique. Je me disais qu'effectivement ça manquait. Il y avait "La Seyne ancienne et moderne", une vieille société créée après la guerre, qui a pignon sur rue, mais assez traditionaliste. Et puis autant celui qui a créé cette société, Louis Baudouin, a fait un vrai travail d'historien, autant après il n’y a pas eu beaucoup de suite. Justement j'avais demandé conseil à Jacques Girault,qui m'a dit : "il faut que tu crées une association". Donc en même temps j'ai créé une association. J'ai rencontré Françoise Manaranche, responsable du musée Balaguier, dynamique, pleine d'idées. Elle travaille beaucoup avec les jeunes. Elle aussi m'a fait découvrir La Seyne. Elle voulait créer une association des amis du musée Balaguier. On a créé l'association, mais il s'avère qu'elle est partie en région parisienne. Je me suis retrouvée toute seule. Au lycée, j'ai sollicité une collègue, Catherine Gervois, qui est partie après pour des raisons personnelles. Ça a été notre première secousse mais elle nous a beaucoup aidées. Au début c'est madame Cyrulnik qui nous a soutenus. Elle a adhéré. L'idée c'était aussi de sensibiliser sur les archives privées. La ville était atone, triste, sinistrée et il fallait valoriser cette histoire si riche. C'est vrai qu'on est dans cette situation, mais la ville a eu une histoire extraordinaire. D'ailleurs Yvan Gastaut nous a dit que c'était particulier. Catherine Gervois était très intéressée par ce travail de mémoire. Elle a fait un travail de synthèse sur tout ce qui existait.
Interviewer : A la création de l'association, est-ce qu'il s'agissait d'une association de recherche ?
Madame Le Gallo : L'objectif principal était de faire un travail de recherche. C'est Girault qui m'avait conseillé ça. Une fois par an, c'est ce qu'on fait, organiser une journée où des gens travailleraient sur l'histoire de La Seyne. Ils continueraient à partir de ce qui existe, du travail de Baudouin ou de Marius Autran. Mais, comme il est difficile de continuer à écrire une histoire complète, c'était soit des jeunes qui rédigent un mémoire, soit des gens qui écrivent un bouquin. Que ce soit présenté lors d'une journée qu'on appelle colloque, sur l'histoire de La Seyne. Que ça soit publié. L'idée c'était que les gens de l'association fassent de la recherche mais c'est très difficile. C'est La Seyne, Six-Fours, Saint-Mandrier. Par exemple quelqu'un a écrit sur le peintre Gilbert Louage ou cette année Michèle Perrin, responsable de la réhabilitation du centre ancien, fait quelque chose là-dessus. On fait appel à des gens qui ont travaillé sur un sujet.
Interviewer : Au début il n'y a pas eu de recherches propres à l'association ?
Madame Le Gallo : C'est ce qu'il faudrait faire. Par exemple, Andrée Bensoussan a fait un très beau travail de recherche sur les juifs à La Seyne pendant la guerre. La famille Laïk, le père et le fils ont été déportés à Auschwitz. Sur la plaque est écrit "résistants", alors qu'ils n'ont jamais été résistants. C'est une déportation raciale. Andrée a fait toute une recherche. Elle est allée aux archives départementales, elle a rédigé un article qui fait référence. Marius Autran nous avait donné le procès verbal de l'arrestation des Laïk et on avait récupéré les fiches de leur déportation. Andrée avait même rencontré des familles de descendants qui étaient venus se réfugier à La Seyne. On a eu également Joséphine Moretti qui a fait un travail de recherche sur l'agriculture. très intéressant… Après, on fait appel à des jeunes que l'on valorise. Lucas Martinez avait fait un mémoire sur la relation entre les chantiers et la marine. Il nous en a fait une présentation.
Interviewer : Vous disiez tout à l'heure que la création de l'association n'a pas fait plaisir à tout le monde, est-ce que dès la création ça a posé des problèmes ?
Madame Le Gallo : Non, on peut créer des associations comme on veut. C'est "La Seyne ancienne et moderne" qui n'a pas été contente. On fait en sorte de ne pas "marcher sur les plates bandes des voisins". Ils organisent des conférences. On n'organise pas de conférences. Nous par contre, on avait institué des cafés patrimoine. C'était Françoise Manaranche qui avait organisé ça. Au printemps, on essaye d'avoir une activité autour d'un thème. A un moment, ça a été le patrimoine dans tous ses états, une fois les technologies de la mer à La Seyne. Depuis quelque temps, on s'est lancé dans le travail de mémoire. Ca faisait partie aussi de nos objectifs, fabriquer des archives orales. En juin 2007, on avait fait une table ronde autour de ces archives orales avec Marcia, Lucas Martinez. On participe aux journées du patrimoine.
Interviewer : En quelle année est née l'association ?
Madame Le Gallo : En 2000.
Interviewer : Au moment de la naissance, vous étiez déjà positionnés par rapport au patrimoine seynois, sur la sauvegarde de ce qui reste des chantiers ?
Madame Le Gallo : Non pas du tout parce qu'en 2000 il y avait encore la municipalité communiste. 90% avait été détruit, mais il restait encore des éléments. C'est quand le nouveau maire est arrivé, Arthur Paecht, qu'il a commencé à détruire la rotonde. On a fait un article, on a protesté. Madame Cyrulnik était déjà adjointe au patrimoine. Elle nous a dit, "on laisse tomber la Rotonde mais on va se battre pour la clinique et la cantine". Et puis le maire n'en avait rien à faire. C'est alors qu'on est devenus des défenseurs du patrimoine, c'était l'occasion. Après on s'est battus pour l'atelier mécanique. Il n'a pas été détruit parce qu'il est sur le domaine maritime. Si on le détruit on ne peut rien reconstruire. Mais le maire n'en avait rien à faire de tout ça, il voulait éliminer, éradiquer. Pour l'atelier mécanique, on n'a pas eu à se battre mais on a eu un ensemble de manifestations. On a publié une brochure. On a fait venir Matthieu Poitevin de la friche la Belle de mai. On a fait des articles pour valoriser tout ça.
Interviewer : Donc, on ne peut pas dire que l'association s'est construite en opposition à cette politique de table rase, mais par contre ça a fait émerger des positions de recherche de l'association ?
Madame Le Gallo : Non, nous on voulait valoriser le patrimoine, faire visiter le centre ville, dire que réaménagé il serait encore plus beau, parler du patrimoine industriel, le patrimoine, la mémoire. Dans nos statuts, on a rajouté la défense du patrimoine parce que dans nos statuts ça n'y était pas.
Interviewer : Sur ces questions de patrimoine au sein de l'association, y avait-il un consensus ?
Madame Le Gallo : Oui, mais le consensus n'a plus été quand il a fallu s'attaquer à forte partie. A ce moment-là, on a eu des gens qui se sont éloignés. Ils ne voulaient pas aller contre la mairie. Nous, dans un premier temps, on ne voulait pas aller contre la mairie, le tribunal administratif c'était vraiment le dernier recours. Nous on avait dit, si des deux bâtiments il en garde un, on arrête. Sur le plan d'aménagement, ils devaient garder allaient la partie ronde de la cantine, C'était un architecte célèbre qui l'avait construite. L'architecte des Bâtiments de France devait venir au tribunal administratif... il n'est pas venu... On a détruit beaucoup à La Seyne. Il ne faut plus rien détruire.
Interviewer : Sur cette défense du patrimoine architectural des chantiers navals, est-ce que vous pensez que votre association a été représentative de la volonté des habitants de La Seyne ?
Madame Le Gallo : Oui et non. S’il y avait eu un mouvement de la population, on l'aurait su. Il n’y en a pas eu. On n'a peut-être pas fait ce qu'il fallait. On n'était pas assez forts. On a réussi, pour le recours gracieux, à faire signer une dizaine d'associations. Mais après pour le tribunal administratif, on y est allés seuls. Les gens se sont écartés. Il y a des gens qui n'ont pas voulu y aller en tant qu'association mais qui nous ont soutenu en nous donnant un peu d'argent. Il n’y a pas eu de mouvement. C'est le problème à La Seyne. On a dit au réalisateur Bernard Boespflug, ce serait intéressant de faire un travail sur le comportement des Seynois. Comment se fait-il que - en particulier les anciens des chantiers - n'ont pas bougé pour ce patrimoine industriel ? C'est compliqué.
Interviewer : Quelques éléments de réponse ?
Madame Le Gallo : L'association des anciens des chantiers, l'Amians, avait pour objectif de régler les problèmes de retraite des anciens des chantiers. Ils n'ont pas de dimension patrimoniale contrairement à ce qui se passe dans d'autres villes. Dans le plan social, les anciens des chantiers étaient chargés de cette dimension patrimoniale, au Havre par exemple. Il y a des régions comme à Nantes où les anciens des chantiers ont créé une association pour défendre le patrimoine et le valoriser. Le directeur de l'écomusée de Saint-Nazaire se plaignait parce que les anciens des chantiers ne voulaient pas qu'ils mettent le nez dans leurs affaires.
C'est l'inverse à La Seyne, ça n’a pas été le cas. Ensuite, la fin des chantiers s'est très mal passée à La Seyne, à l'intérieur du chantier, parmi les syndicalistes... et je pense que ça s'est tellement mal passé qu’il y a dû y avoir des tiraillements terribles, ... des problèmes d'argent... J'ai encore entendu, il y a trois, quatre mois, un ancien dire : "oh de toute façon, ils nous ont mis à la porte, maintenant ils peuvent bien tout détruire".
La seule personne qui avait conscience de ça, c'était Baptistin Colonna qui était président de l'Amianq. Il a conservé toutes les archives syndicales. Quand ils ont voulu détruire la clinique, il a lancé une pétition. Après, ça c'est arrêté parce que le maire a dit à l'Amians : je vous donne un local dans la "porte". Baptistin Colonna n'a pas été suivi. Il voulait se battre pour le bâtiment. Il a été mis en minorité, il est parti. Heureusement, qu'il était là pour conserver les archives syndicales.
Je pense que c'est lié au fait que ça s'est très mal fini. 89, ça ferme. 91, on détruit tout. Les gens, sous le coup de la fermeture, du traumatisme, n'ont pas réagi. En plus, il y avait un projet, qui s'appelait Marépolis, qui devait remplacer et je pense que les gens ont beaucoup espéré en ça. C'est donc une conjonction qui a fait que les gens n'ont pas bougé. Et puis il y a des gens qui sont partis. Les gens ont vieilli.
Madame Le Gallo : A propos de la porte des chantiers, elle est restée ruinée pendant 15 ans. Après tout, on aurait pu la laisser ruinée. S'il y a avait eu quelqu'un de populaire et d'ambitieux, ça existe, on aurait pu la conserver comme ça, telle qu'elle.
Un personne qui appartient au Rotary club me racontait : il va voir le maire communiste de l'époque, Maurice Paul, lui dit si vous voulez, le Rotary club restaure la porte des chantiers. C'était à la fin des années 90. Le maire lui a dit : "je serais d'accord, mais si je dis ça à mes collègues, je vais me faire tuer". On aurait juste mis une petit plaque en bas disant c'est le Rotary club. Donc la porte n'a pas été restaurée.
Dans le temps les choses évoluent, aujourd'hui on accepte des choses qu'on n'aurait jamais acceptées, il y a 15 ans. C'est comme l'histoire des retraites, quand tu entends on va travailler jusqu'à 70 ans, c'est de la folie. Maintenant, les gens sont presque prêts à accepter ça. Pour les chantiers, c'est la même chose. Maintenant, les anciens des chantiers ont vieilli, ça leur échappe.
Interviewer : Quelles sont les possibilités d’avenir qui s'ouvrent pour le travail de la recherche et du patrimoine ?
Madame Le Gallo : Je suis très inquiète par rapport à la crise.
Par rapport à l'association, si on n'a pas d'argent, ce sera difficile. Il faudrait une relève. Nous sommes des gens d'un certain âge. Les gens veulent s'impliquer mais pas trop. Je suis un peu inquiète là-dessus. J'espérais que Françoise Manaranche prendrait la relève. Mais comme elle va s'engager pour la ville de La Seyne, il n'en est plus question. Tant mieux pour elle et pour La Seyne.
C'est dur. On n'est pas assez nombreux. On n'est pas assez dynamiques. On est trop vieux. On est faible sur la communication, par exemple. Pour moi, c'est très lourd. Si j'ai pu terminer ma thèse c'est grâce à Françoise Manaranche, elle s'occupait de l'association.
J'ai abandonné la recherche et c'était l'objet, je n'y arrive pas du tout, à titre personnel c'est un peu embêtant !