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Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer

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Transcription : Femme de ménage aux chantiers et femme d'un soudeur des chantiers

Collecteur : Prestataire exterieur
Langue : Français

Qualité du son : bonne


L'arrivée à La Seyne Écouter cette séquence

Je suis à La Seyne depuis 1975. Avant j'ai été un an à La Ciotat où je m'ennuyais beaucoup. Je ne faisais que pleurer.
Comme il y avait beaucoup de travail, à l'époque, il a eu un travail à La Seyne sans problème.
A La Seyne, j'ai vu beaucoup, beaucoup de noirs, ça m'a plu.
Mon mari était arrivé en France en 1960, à 18 ans, d'abord à Marseille puis à La Ciotat.
Il travaillait à l'arsenal de Toulon comme soudeur. Ce métier, il l'a appris à Marseille.


Le départ du Sénégal et l'arrivée en France Écouter cette séquence

Nous venons du Sénégal, de la Casamance, nous sommes Djola. Mon mari est d'abord passé par Dakar.
A Dakar, il enseignait à des petits. Sans doute, comme il était jeune, il est parti voir le monde.
Moi je suis née en Casamance, mais j'ai grandi à Dakar.
J'avais 13 ans quand il a demandé ma main. On a fait les fiançailles musulmanes. Et puis, j'ai attendu 10 ans avant qu'il vienne me chercher. On s'écrivait. Je n'avais pas du tout envie de partir du Sénégal.
Au début, je me sentais enfermée ici. Au Sénégal, il y a du bruit, on ne ferme pas les portes, on vit en famille.
Ici, ce n'était pas bien. Lui aussi pensait rentrer tout de suite. Mais l'argent nous a obligés à rester ici.


Les logements à La Seyne Écouter cette séquence

En 1975, le chantier était plein, animé. Il y avait pleins d'africains. Ce n'est ça que je voulais voir, pleins d'africains, comme moi. Même si je suis enfermée dans mon appartement, maintenant, je sais que dehors, il y a pleins d'africains.
Le médecin a compris que je n'étais pas malade, mais juste dépaysée. Je ne mangeais plus.
Au début, dans mon immeuble, privé, il y avait des vielles très gentilles avec moi. On y est restés jusqu'en 1978.
On est allés ensuite au boulevard Staline. C'était bien aussi mais petit et cher.
Mon mari a fait venir son enfant d'une autre femme ici. Nous, on a adopté une fille qui a 10 ans.
A Berthe, on est arrivés en 1982. On l'a eu par le chantier. Les patrons avaient droit à des appartements pour leurs ouvriers. On l'a eu neuf cet appartement.


Les relations entre le patron et les ouvriers, l'amiante Écouter cette séquence

Mon mari s'entendait bien avec son patron d'entreprise, Monsieur Stefani. Et puis, il a essayé de faire une entreprise de nettoyage pendant 5 ans, après la fermeture des chantiers.
Un an après, on a appris le problème de l'amiante. Mais lui, pour l'instant, il n'a pas développé de maladie. Il est suivi, il fait des bilans. Ceux qu'on connaît ne sont pas trop malades. Mais, même si la personne est malade, parfois on ne le sait pas. Il n'y a pas d'association de défense des ouvriers malades de l'amiante.
Là, maintenant, pendant les élections, on a dit aux femmes africaines que c'était trop tard pour déposer des dossiers autour de l'amiante.


Les collègues de travail, l'association l'Arbre à palabres Écouter cette séquence

Je connaissais les collègues africains de mon mari, pas trop les autres. Ici, je suis dans l'association L'Arbre à palabres, une association pour les travailleurs noirs. C'est une association pour qu'on puisse s'aider, si on a des problèmes. On a un bureau à Vendemiaire. Parfois on fait des fêtes. Elle existe depuis les années 80, il y a toutes les générations.


Après la fermeture des chantiers Écouter cette séquence

A la fermeture des chantiers, mon mari a continué à travailler avec son entreprise.
On ne rentrera au Sénégal que quand on aura assez d'argent.
Moi je suis bien ici, mais j'ai envie de finir ma vie là-bas. J'y vais quand je peux. Mes frères et sœurs sont là-bas. J'ai une sœur ici. Elle est arrivée en 1972 à La Seyne. J'ai guéri grâce à ma sœur.
En 1998, on a découvert les problèmes de l'amiante. Il a reçu une lettre pour aller faire un bilan. Alors, il a essayé de monter une entreprise de nettoyage. Après il a arrêté de travailler. Pour l'instant, d'après les bilans, il n'est pas malade. Maintenant, il est à la retraite. Ça le repose.


Le travail du témoin Écouter cette séquence

J'ai travaillé dès 1975, car je m'ennuyais. Je faisais la plonge dans un restaurant parce je ne suis pas diplômée.
C'est dur d'apprendre le français. J'ai appris avec les autres. Je ne suis jamais allée à l'école. Maintenant, je fais des ménages.
Avant, à l'époque des chantiers, j'avais beaucoup de travail. Cet argent nous aide à vivre. Pendant les chantiers, on vivait bien.
Avant, pour aller au Sénégal, il fallait 15 000 francs. La famille de là-bas attend de nous. Ils ne pensent pas que la vie ici est chère. Je travaille dans une entreprise de ménage à temps plein.


La fermeture des chantiers Écouter cette séquence

La fermeture des chantiers a fait des dégâts. Beaucoup de couples ont divorcé. Nous, les africains, on a tenu le coup, parce que nous sommes des étrangers. Si on divorce, on va où ? Et puis on se marie souvent dans la famille. Mon mari c'est mon cousin.
Beaucoup sont partis. Des magasins ont fermé. Il n'y a plus d'argent.
Maintenant, quand on a un travail, on est obligé de le garder, même si le patron te parle mal.
Aujourd'hui, on vit avec des angoisses.
Personne ne croyait que ce grand chantier allait fermer, jusqu'à la fin. Mon mari était syndiqué, mais il n'allait pas aux réunions. Le chef réunissait les ouvriers pour leur dire que ça allait fermer. Mon mari parle de ses collègues blancs, de leurs divorces.
A la cité, ça a changé aussi. Il n'y a pas d'argent non plus. Nos enfants ne travaillent pas. Beaucoup doivent partir à Paris. Là-haut, ils se retrouvent. Et ils se mélangent aussi avec les parisiens.
Mais la cité, elle est bien. Je ne sais pas pourquoi les gens ont peur de cette cité.


L'analphabétisme Écouter cette séquence

Un cousin écrivait pour moi à mon mari du Sénégal, parce que moi je ne sais pas écrire. Il connaît tous nos secrets. Je ne suis jamais allée à l'école. Mes frères y allaient. J'avais envie d'y aller, mais on ne m'y emmenait pas.
Mon mari est instruit, il écrit et lit pour moi.


L'aide financière de la communauté sénégalaise Écouter cette séquence

L'Arbre à Palabres est une association qui aide les sénégalais qui ont des problèmes. Par exemple, avec leur patron ou avec la banque. Mon mari est le président de cette association.
Une tontine, c'est quand on cotise de l'argent. Tous les mois on donne 100, 150, 200 euros par mois. Moi je donne 200 euros. On l'inscrit dans un cahier. Si quelqu'un a un projet, au pays par exemple, on donne l'argent à cette personne. On n'est pas obligé d'expliquer le projet. Ça aide plus rapidement que la banque. On ne prend qu'une fois par an. On est 12 personnes. Il y en a partout à La Seyne. Ça vient du Sénégal.


Le racisme Écouter cette séquence

Dans notre vie, on mélange la vie comme chez nous et comme ici.
C'est facile, si on respecte le pays où on est. Moi aussi je suis respectée par la France. Mais j'ai subi du racisme une fois dans le travail. Avant je ne connaissais pas le racisme. Mon mari m'a expliqué ce que c'était. Je ne connaissais pas ce phénomène. Après la fermeture des chantiers, j'entendais dire que les étrangers devraient rentrer chez eux.


La religion islamique à la Seyne Écouter cette séquence

A La Seyne, il n'y a pas de mosquée. Il y a un projet de mosquée à Berthe. Moi je prie chez moi. Mon mari va au foyer. C'est là qu'on fait la fête de La Tabasqué, la fête du mouton.
Ils font appel aux dons pour construire la mosquée. Quand on prie, il y a toutes les races. L'imam parle en arabe. Moi je ne comprends pas l'arabe, mais ce n'est pas grave.
Seules les femmes ménopausées peuvent aller à la mosquée, parce qu’elles sont propres.


La fermeture des chantiers Écouter cette séquence

Les chantiers ont fermé parce qu'il y a eu beaucoup de grèves. Les commandes retardaient. C'est un peu de la faute aux ouvriers. Après, ils ont regretté.
Parfois, je vais me promener dans le parc, ça fait drôle.
Je préférais quand il y avait le chantier, le travail. C'était vivant. Les hôtels ne vont pas remplacer les chantiers.
Les appartements qu'ils construisent sont pour les riches. Ils ont vite balayé les bâtiments. C'est resté longtemps vide.
A un moment le maire, Paesch, avait dit qu'il ferait un pont pour aller directement aux Sablettes, sans passer par la mairie.
A la fermeture, c'était Scaglia le maire de La Seyne. Giscard a sacrifié La Ciotat et La Seyne.
Mon mari travaillait dans une entreprise. Les ouvriers touchaient des indemnités. Certains ont monté des entreprises. Certains sont retournés au Sénégal. Certains sont revenus parce que ça n'a pas marché. D'autres sont restés là-bas.


Les conséquences de la fermeture des chantiers Écouter cette séquence

Si le chantier n'avait pas fermé, on aurait peut-être acheté un appartement. La fermeture, ça a tout coupé. Parce qu'avant on était sûr d'avoir du travail. Maintenant, La Seyne est morte. Ça me fait de la peine. Je n'y vais presque plus. Il n'y a plus d'activités.


Sénégalaise et française Écouter cette séquence

Je me sens sénégalaise, même si j'essaie de respecter la vie ici. Quand je vais au Sénégal, je suis bien. Je me sens chez moi. Je ne me sens pas française. J'ai adopté ma fille au Sénégal. Elle se sent plus française que sénégalaise. Elle est venue à 2 ans et demi. Elle parle djola et français, à l'école.
J'espère que les gens seront intéressés en m'écoutant. C'est le passé qui fait le futur.