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Etre femme et immigrée à l'époque de la construction navale à la Seyne-sur-Mer

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Transcription : Membre de l'association Femme de la cité et belle-fille d'un travailleur des chantiers dès 1960

Collecteur : Prestataire exterieur
Langue : Français

Qualité du son : bonne


Une formation d'assistante sociale Écouter cette séquence

Interviewer : Comment s'est passée votre scolarité ?
Madame : Très bien, scolarité normale. Après, j'ai eu une formation d'assistante sociale et j'ai débarqué en France avec neuf ans d'expérience de travail social.

Interviewer : Comment s'est fait ce choix ?
Madame : Au début, le médical m'intéressait. Mais pas médecin, les études sont trop longues. Mais rester dans le social, le médical, ça me plaisait. Les études étaient courtes. Ça me permettait d'aider mes petits frères à poursuivre leurs études. J'étais boursière, la formation était prise en charge par l’État, on avait une bourse en plus. A la fin de la formation on devait travailler dix ans pour l’État, avant de pouvoir aller ailleurs, dans un organisme privé ou une ONG. Je n'ai fait que neuf ans, la dernière année je me suis enfuie, j'ai demandé une dérogation.
Le travail social en Afrique est complètement différent de ce que j'ai trouvé ici en 92. J'avais appris à travailler autrement, et je croyais en ce travail.
On a beaucoup orienté le travail sur rendre les personnes autonomes, le regard sur elles-mêmes –souvent c'était des femmes– et l'autonomie financière. Les gens ont besoin de nourrir leurs familles.


Assistante sociale au Sénégal Écouter cette séquence

Mon premier poste était dans une région qui se trouve au centre du Sénégal. C'est une région économiquement assez faible, avec des problèmes de santé et économiques. Le travailleur social doit adapter son savoir-faire aux besoins locaux. Il y avait beaucoup d'enfants, souvent malnutris, on recevait les enfants dans le cadre du programme de PMI. On avait axé notre travail sur l'équilibre alimentaire, comment compenser le manque de protéines.

La deuxième région était un peu plus riche, au bord de la mer. Les problèmes étaient différents. C'était un village de pêcheurs. Ils avaient des protéines à volonté, mais les mamans qui se chargeaient de la vente des produits de la pêche de leur mari avaient un souci de conservation des excédents.
Le travail que l'on a fait, c'était de trouver les moyens de conserver les produits au moins pour le lendemain.
Achat de congélateurs, production de glace. Sinon elles étaient obligées de le faire sécher, la valeur n'était pas la même.
On était obligés de trouver des solutions.
Les aides de l’État étaient attribuées deux fois par an, 20 000 ou 30 000 CFA par famille. La personne doit attendre six mois pour une aide, en attendant on est bien obligé de faire autre chose.


La création de l'association Femmes dans la Cité Écouter cette séquence

Interviewer : Vous n'avez pas retrouvé ça en travaillant comme assistante sociale en France ?
Madame : Je n'ai pas travaillé comme assistante sociale en France. Je suis arrivée et j'ai observé le contexte où j'habitais, à La Seyne. J'avais remarqué qu'il y avait beaucoup de mamans qui voulaient travailler, qui ne pouvaient pas s'exprimer.
Il y avait un besoin de pouvoir s'exprimer toutes seules.
Avec un groupe, on a créé l'association pour que ces personnes aient un lieu de parole et, à partir de cette parole, voir ce qu'on peut faire.
Un lieu où on pouvait discuter entre femmes n'existait pas à l'époque. Le principal handicap, à l'époque, pour la plupart d'entre elles, c'était l'expression en français.
Au départ, on n'avait pas la possibilité de proposer des activités.
On a proposé l'apprentissage du français, parce qu'on supposait que c'était la base. Les cours d'alphabétisation on été très vite mis en place, pour que les gens soient autonomes. Avec l'expérience, on est convaincus que c'est la base. Les premières personnes qui ont fait l'alphabétisation ont trouvé du travail, elles ont pu franchir ce pas.


L'arrivée en France et à La Seyne Écouter cette séquence

Interviewer : En Afrique, vous aviez des liens avec la France ?
Madame : Aucun. Je suis venue par choix en 92 rejoindre mon mari. Je l'ai épousé au Sénégal. Ensuite il est venu en France. Pendant deux ans séparés. Ou je reste au Sénégal, je garde mon poste de fonctionnaire, je le vois tous les 4 ou 5 ans, ou je viens en France pour permettre à mes enfants d'avoir une vie de famille, comme je le souhaite. Ça a été un choix.

Interviewer : Votre mari aussi préférait ce choix-là ?
Madame : Lui même a connu les allers-retours de par son père. Son père était en France. Ils sont restés en Afrique. Le papa faisait des allers-retours, il sait de quoi il parle.
Quand nous avons discuté, il ne souhaitait pas que ses enfants connaissent cette absence du père prolongée. Ça a été une décision commune.

Interviewer : Quand vous vous êtes mariés, il était déjà question d'aller travailler en France ?
Madame : Il avait ce voyage en projet. Après le mariage nous en avons discuté. Je n'y voyais pas d'inconvénient.
En Afrique, il travaillait dans un dispensaire. Aide-infirmer.
Lorsqu'il est arrivé en France, il a pris le premier travail qu'on lui proposait, un emploi de peintre, à Paris.
Il avait de la famille à Paris qui pouvait l'héberger, les premiers temps.
Quand on arrive d'Afrique, on ne fait pas trop la fine bouche.
Il a pris ce travail. Il s'est formé sur le tas et maintenant il y est encore.
Il est descendu à La Seyne pour des questions de logement. C'était plus facile d'avoir un logement social.
Il est arrivé dans le Var en 91.
Il a cherché un logement assez grand pour nous faire venir, puisqu'entre temps j'avais eu un premier enfant, qui est né au Sénégal.


L'emploi du mari après les chantiers Écouter cette séquence

Il est venu d'abord. Ensuite il a cherché un emploi à La Seyne et dans les alentours. Il a même travaillé jusqu'à Marseille.
Au départ, il était inscrit dans des sociétés d'intérim qui lui procuraient des missions par ci par là. Très longtemps il est resté intérimaire, toujours dans la peinture, par rapport à l'histoire de La Seyne, les chantiers, il y avait cette tradition de peintre pour un travail avec pas trop de diplômes.

C'était plutôt dans l'industrie navale, avec l'arsenal, les sous-traitants, il est toujours resté dans les entreprises industrielles. Les chantiers étaient déjà fermés, le travail se faisait à La Ciotat, Marseille, Toulon. C'était pas régulier, il fallait être mobile.


Le logement Écouter cette séquence

Interviewer : Quand vous étiez en Afrique, quelle image vous aviez de La Seyne ?
Madame : Il n'était pas installé, il venait voir son père. Nous avons découvert La Seyne ensembles.
J'attendais d'avoir un logement avant de venir. Je suis arrivée, j'ai habité à La Seyne, dans une tour.
Ça change de l'Afrique. Il n'y avait pas toute cette concentration de personnes les unes au dessus des autres.
C'est impressionnant et, pour un gamin, ce n'est pas évident, se retrouver entre quatre murs toute la journée.
Les autres familles ont connu le même problème.
Les espaces existent mais c'est la superposition des appartements.
Chaque fois qu'on veut aller faire quelque chose, il faut descendre, il faut remonter. C'est une autre vision de l'espace.


L'arrivée à La Seyne Écouter cette séquence

Interviewer : L'idée d'abandonner votre travail, votre pays, ça vous inquiétait ?
Madame : Non, parce que j'ai connu d'autres régions en France, plus agricoles. Mais la ville je l'ai découverte à La Seyne.
J'ai travaillé assez rapidement, 4 ou 5 mois après mon arrivée. Au départ je voulais retravailler dans du social. Je me suis rapprochée des associations du quartier pour proposer mes services.
Je suis venue en vacances deux ou trois fois avant de m'installer, ce n'était pas inconnu.

Interviewer : Le père de votre mari travaillait en France ?
Madame : Je l'ai connu ici. Il a travaillé à La Seyne depuis les années 60.

Interviewer : Quand vous étiez au Sénégal, la France pour vous c'était un horizon possible ?
Madame : Pas du tout. Je ne rêvais pas de venir en France. J'aurais pu aller au Portugal, en Espagne, aux États-Unis, ou rester au Sénégal, je n'y étais pas trop mal. Ça n'a pas été forcé, ni calculé.
Aucun regret.


La Seyne en 1992 et le départ professionnel des hommes Écouter cette séquence

Madame : Cette concentration d'immeubles, c'est assez choquant. A l'époque, ils ont commencé les démolitions des premières tours, trop dégradées. On s'adapte à ce mode de vie.

Interviewer : Vous êtes arrivée peu après la fermeture des chantiers, vous avez senti cette histoire ?
Madame : Je suis arrivée en 92. J'ai senti qu'il y avait eu quelque chose, parce que les gens en parlaient.
Ils disaient La Seyne, ce n'est plus comme avant. C'était une ville festive. Les gens venaient de Marseille, Paris, faire la fête à La Seyne. C'était quelque chose de révolu.
J'ai assisté aux premiers départs, des hommes qui allaient chercher du travail ailleurs, jusqu'à Saint Saint-Nazaire, Marseille, Dunkerque. Ils laissaient les femmes toutes seules avec les enfants. Après certaines décidaient de les rejoindre.
On sentait qu'il s'était passé quelque chose et qu'il fallait repartir.
C'est pour ça, beaucoup de femmes ont voulu assurer ces revenus pour la maison, pour soutenir les hommes partis. Elles ont cherché à travailler pour subvenir aux besoins de la famille. C'était une catastrophe. Elles ont été obligées de prendre les choses en main. La famille était en danger. Comment aider ces personnes qui ont envie de prendre leur destin en mains ? Il fallait trouver des solutions. On a essayé de proposer des choses qui nous semblaient être indispensables à l'époque.

Interviewer : Vous avez vu des hommes rester, ne jamais retrouver de travail ?
Madame : La plupart a retrouvé du travail, ici ou ailleurs. Par contre, il y a eu des difficultés au niveau des familles, l'éloignement, des séparations.


La mobilité professionnelle et l'intérim Écouter cette séquence

Madame : L'important, à l'époque, c'était d'accepter d'être mobile. Pour certains, ils quittaient un emploi le samedi, le lundi ils retrouvaient ailleurs. A La Seyne ils ont connu ça.
Nous, quand on est arrivés, on restait au chômage trois, quatre ou cinq mois. Mon mari a trouvé La Seyne en pleine crise. Il fallait des fois aller jusqu'à Marseille, Martigues, Sète.
Il est resté en intérim une dizaine d'années. Il faut accepter de changer au bout d'une semaine.
La situation d'intérimaire, c'est ne pas faire de projets à moyen terme, encore moins à long terme.
Quand il y a une intempérie, la personne rentre chez elle. On ne peut pas programmer. Il faut attendre que le salaire rentre, après on voit ce qu'on peut faire avec. On vit au jour le jour.
Pour la gestion du foyer on est obligés de s'adapter à ça, réguler la consommation, les dépenses, ça devient vital, sinon on reste un jour sans manger.

Interviewer : Ça voulait dire aussi pas de retour au Sénégal prévu ?
Madame : Exactement. On peut pas prévoir de partir. On assure le loyer et après on voit.
On ne peut pas prévoir de gros déplacements.
Dans ces situations, soit on vit au-dessus de ses moyens, ou on fait avec les petits moyens qu'on a et on se prive de beaucoup de choses, restaurant, cinéma, sorties.
On se limite aux petites sorties organisées par des associations avec une petite participation.

Interviewer : Vous le viviez assez bien ?
Madame : Oui. On ne peut pas vivre au-dessus de ses moyens. On n'a pas le droit quand on a des enfants. Donc on se contente de ce que les gens vous proposent.


L'activité associative de la femme Écouter cette séquence

Madame : Moi, j'avais un contrat SES au centre culturel. Ça m'a permis d'avoir des petits revenus, mais ce n'est pas avec ces petits contrats qu'on va faire des choses extravagantes, ça complète, c'est un revenu fixe.

Interviewer : Que vous apportaient vos activités associatives ?
Madame : Je ne voulais pas dépendre exclusivement de mon mari. Avoir ses propres revenus, c'est exister.
Je préfère être bénévole que rester à la maison à ne rien faire.
Ces engagements sont quelque chose d'assez personnel, en dehors de l'aspect financier.
J'ai essayé d'avoir une équivalence, le diplôme sénégalais n'est pas reconnu en France. J'ai fait une formation pour obtenir l'équivalence. Je ne l'ai pas obtenue à quelques points près, je suis restée dans le social.


Les liens sociaux Écouter cette séquence

Interviewer : Combien de temps il vous a fallu pour ne pas vous sentir opprimée, seule dans l'appartement ?
Madame : Il faut se faire violence, s'obliger à sortir pour rencontrer d'autres personnes, parce que les gens ne viennent pas vers vous systématiquement.
Ensuite, il y a l'école qui permet de croiser d'autres mamans. Après, entrer en contact avec les autres ça reste quand même une démarche à faire. Chaque personne décide de le faire ou pas. Moi, je l'ai faite parce que je trouve qu'on ne peut pas vivre isolée. J'ai besoin d'avoir du contact avec des gens.
Je parlais le français. J'avais bac + 3, le français était ma deuxième langue. Pour une personne qui ne parle pas assez le français, je comprends que ce soit très difficile d'entrer en contact avec les autres.
Donc, soit on croise des compatriotes et on s'exprime dans la langue maternelle, ou on reste chez soi et on n'a aucun lien.


La découverte de La Seyne par le beau-père Écouter cette séquence

C'est tout à fait naturel de rentrer en contact avec des personnes qui viennent du même pays, qui ont connu le même parcours d'immigration.
Ici, il y a beaucoup de personnes du Sénégal ou de la Guinée.
Mon mari avait son père. Avec le père de mon mari, lorsque je suis arrivée, il était en pré-retraite, il envisageait de rester quelques temps ici, quelques temps au Sénégal. Il m'a montré La Seyne, la mairie, toutes les administrations.
C'était plus les autres qui parlaient de la vie à La Seyne.
Ça faisait trente ans qu'il était à La Seyne, il a bien connu l'époque du plein emploi, la fermeture des chantiers.
Il avait son idée de l'évolution de La Seyne.


Le travail dans les cales des bateaux Écouter cette séquence

Interviewer : Votre beau-père a travaillé aux chantiers navals de La Seyne ?
Madame : Pendant de nombreuses années. Il me parlait des cales des bateaux où il devait extraire une substance qu'il appelait la perlite.
Ça, je l'ai su beaucoup plus tard, quand il est tombé malade.
Actuellement, avec le recul, je pense à des produits amiantés, mais le mot qu'il utilisait, c'était la perlite.
Je ne connais pas du tout.
Il me parlait beaucoup d'un métier dur, très physique et que n'importe qui ne pouvait pas supporter.
Je pense qu'ils inhalaient des trucs bizarres, mais en aucun cas il se plaignait. C'était du travail. Il n'y avait que les plus valeureux qui supportaient.
Il était très courageux et je suppose qu'il n'imaginait pas que ce courage pouvait être nuisible pour sa santé.

Interviewer : Quand il a compris ça, est-ce qu'il était en colère ?
Madame : Pas du tout. Il est tombé malade. Il fallait bien qu'il y ait quelque chose, que ce soit dû à un produit ou quoi que ce soit. Il n'y avait pas un regret, ce n'était pas la faute aux autres. Il n'est pas parti en accusant qui que ce soit.

Interviewer : Est-ce que vous savez s'il était satisfait, content de sa carrière ?
Madame : C'est difficile à dire. Content de travailler péniblement, mais je pense qu'il avait une certaine fierté à avoir apporté sa petite contribution à la vie de La Seyne, à avoir travaillé aux chantiers.
Il a été embauché par les chantiers et c'était avec fierté qu'il le disait.


Une vie pour le travail aux chantiers Écouter cette séquence

Interviewer : Est-ce qu'il a profité des avantages liés aux chantiers ?
Madame : Je ne sais pas.

Interviewer : Vacances avec le CE ?
Madame : Partir en vacances, ça reste une conception assez européenne de la vie.
Cette génération venait pour travailler, pas pour aller en vacances.
S'ils devaient partir, c'était retourner au pays voir la famille. C'est tout ce qu'ils s'autorisaient comme extras.
Après, mon beau-père était assez religieux. Il est allé à Lourdes, Rome, Jérusalem. Mais c'était considéré comme un pèlerinage.

Interviewer : Est-ce qu'il avait des activités avec les collègues du chantier ?
Madame : Les collègues du chantier, c'était le boulot, point. Il n'est pas venu ici pour des loisirs. Si on leur demandait de travailler le dimanche, ils y allaient.

Interviewer : Est-ce que vous savez s'il a été syndiqué ?
Madame : Non, jamais. Il ne voulait pas.

Interviewer : Il était plutôt reconnaissant d'avoir pu avoir un travail, il n'aurait pas réclamé ?
Madame : Du moment que l'employeur honorait le contrat qu'il avait passé avec lui, il ne voyait pas pourquoi il aurait revendiqué.

Interviewer : Est-ce qu'il vous a parlé des cérémonies de lancement ?
Madame : Je n'en ai pas le souvenir. Je ne sais même pas s'il y assistait.

Interviewer : Est-ce qu'il envoyait de l'argent chaque mois ?
Madame : Lorsque les personnes travaillent à l'étranger, ils se doivent tout naturellement d'envoyer régulièrement de l'argent à leurs familles pour satisfaire à leurs besoins.
Ce n'est pas une chose rare d'envoyer une ou même deux fois dans le mois. Ça sert surtout à payer les scolarités, les habits, assurer le quotidien.
Jusqu'à présent on continue. Peut-être les sommes sont différentes, la vie est devenue plus chère ici.

Interviewer : Vous avez une idée de la proportion que ça représentait ?
Madame : Il enlevait les dépenses mensuelles. Peut-être qu'il gardait un peu au cas où. Le reste était envoyé. Ça doit être au moins la moitié du salaire. Lui, ici, il se privait de tout.

Interviewer : Il n'avait pas de vie en France ?
Madame : Il avait une vie qui se résumait au travail. Il ne faut pas chercher autre chose.

Interviewer : Est-ce qu'il était regardé comme ça par les français ?
Madame : Travailler ça ne veut pas dire ne pas avoir de relations, mais les relations s'arrêteront aux discussions.


La fermeture des chantiers, les fêtes Écouter cette séquence

Interviewer : Est-ce qu'il vous a parlé de la période de fermeture ?
Madame : Il était en âge de partir en pré retraite. Il a fait partie des gens qui ont pris leur pré retraite.
Lui, il était un peu désolé que ça se termine comme ça, mais il n'a pas été touché par un licenciement sec.
Il regrette la fin des chantiers, mais la situation n'est pas aussi dramatique pour lui.

Interviewer : Par rapport à la venue de son fils en France, il l'a encouragé ?
Madame : Les enfants étant majeurs, s'ils viennent, c'était pas pour rester chez lui. Il n'a pas découragé ni encouragé. Il n'y avait pas que La Seyne, en France.

Interviewer : Est-ce qu'il vous a parlé des aspects festifs de La Seyne ?
Madame : Lui non, parce qu'il n'y participait pas. Les plus jeunes oui.
Souvent, il paraît qu'au foyer Avon il y avait des fêtes, des bals. C'était une ville où les gens aimaient venir.
Les résidents du foyer et, des fois la communauté africaine, organisaient des fêtes, des soirées dansantes. C'était l'occasion, en fin de semaine, de changer un peu d'air. Ça rendait la vie moins difficile. Ils étaient plus jeune. Maintenant la population a beaucoup vieilli au niveau du foyer. Peut-être que s'il y avait des jeunes, il y aurait des fêtes actuellement.

Interviewer : Ces fêtes n'étaient-elles pas liées au fait que les gens n'avaient pas d'inquiétude au niveau du travail ?
Madame : Effectivement, les gens étaient joyeux, ils avaient des revenus, ils étaient bien, il n'y avait pas d'inquiétude du lendemain.


Un contrat de travail à durée déterminée et un salaire Écouter cette séquence

Interviewer : Votre mari est resté dix ans en intérim. Après, il a trouvé un poste ?
Madame : On lui a proposé un contrat à durée indéterminée, dans une entreprise où il avait déjà travaillé. Un soulagement pour moi, oui, parce qu'on pouvait faire des projets, envisager de partir, de changer d'appartement. Il y a plein d'opportunités qui se présentaient.
Quand on va voir un banquier avec un CDD, il n'y en a pas beaucoup qui acceptent un crédit à la consommation, ne serait-ce que ça. C'est la possibilité de voir un tout petit peu plus loin.
Moi, je suis restée bénévole à l'association de nombreuses années. En même temps je travaillais dans une autre association. J'ai fini mes contrats et je suis restée au chômage plusieurs années, tout en restant bénévole. Il y a eu l'opportunité de travailler à l'association Femmes dans la cité, j'ai accepté. Au départ, des vacations. Il y avait un projet mis en place par l’Éducation Nationale, le foyer Vallon, de faire de l'animation au collège Vallon.
Progressivement, je suis devenue une salariée à temps complet.


Les objectifs et les projets de l'association Femmes dans la cité Écouter cette séquence

Interviewer : Qu'est-ce que vous faites concrètement ?
Madame : C'est trop long.

Interviewer : Est-ce que vous avez l'impression d'avoir trouvé une place, professionnellement ?
Madame : Le fait de travailler dans l'association, avec le temps on se rend compte qu'on a fait des petites choses, qui ont permis des résultats assez satisfaisants.
Quand je croise une personne qui n'a plus besoin de l'association pour faire ses démarches, je suis très contente. C'est l'objectif de l'association. C'est important pour nous que les personnes fassent beaucoup de choses d'elles-mêmes.
Mais il y a beaucoup d'autres choses à faire. Il y a toujours d'autres personnes qui viennent et il faut continuer à faire ce travail.

Interviewer : Vous avez des projets ?
Madame : Je ne sais pas.

Interviewer : Il faut que l'association évolue ?
Madame : L'association doit évoluer parce que le contexte évolue. Les adhérentes aussi. On avait beaucoup de mamans illettrées. Il y en a encore, mais elles ont entre 40 et 50 ans, un peu plus. Mais il y a beaucoup de jeunes mamans, pour certaines lettrées, pour certaines nées ici. Quel travail faire avec ces nouvelles adhérentes ? L'alphabétisation, elles n'en ont pas besoin. L'association doit revoir ses orientations par rapport à ce nouveau public, tout en conservant l'autre.
On doit y réfléchir.


Le soutien scolaire et la réussite des enfants aujourd'hui Écouter cette séquence

[avant reprise : Si le gamin vient ici, forcément il sera plus intelligent, ou il aura de meilleures notes. Ils veulent la réussite, et si cette réussite n'est pas au bout ? Est-ce que la personne, par rapport à elle-même, vivrait ça comme une déception ou pas ?]

Interviewer : De l'alphabétisation au début, vous vous retrouvez face à d'autres problèmes. Notamment celui du soutien scolaire, dont le besoin persiste alors que les parents sont lettrés ?
Madame : Effectivement. Il y a 15 ans, au niveau de l'accompagnement à la scolarité, les parents étaient illettrés ou peu lettrés. Actuellement, les parents dont les enfants viennent ont une trentaine d'années. Pour certains, ils ont été scolarisés ici jusqu'en 3ème ou terminale, mais il y a toujours une demande pour l'accompagnement à la scolarité de leurs enfants. Et moi, je me demande pourquoi. Qu'est-ce qu'ils attendent de cet accompagnement scolaire ? Pour un gamin du CP, je pense qu'il y a des parents qui sont très capables d'aider leurs enfants. Pourquoi ils continuent à faire appel aux associations ? Je n'ai pas de réponse.

Interviewer : Une des hypothèses que vous formuliez est un désir très fort de réussite ?
Madame : Je pense que le désir de réussite est très très fort. Peut-être que les gens pensent qu'en les mettant au soutien scolaire ils en feront des surdoués, ou ils auront d'excellentes notes, mais je n'en suis pas convaincue.
Le risque de déception va rejaillir sur tout le monde, l'accompagnement, l'enseignement, les parents. La déception risque d'être beaucoup plus mal vécue que pour un parent analphabète.
L'enfant est au milieu de tout ça. Il est acteur et victime, puisque les attentes c'est pas lui qui les crée, c'est les gens qui se projettent sur leurs enfants.

Interviewer : Est-ce qu'on peut le lier à la situation de leurs parents, des trentenaires qui vivent à La Seyne, pour qui ce n'est pas facile de trouver sa place, pas beaucoup de travail ?
Madame : Difficile de parler de façon générale. C'est vrai que c'est une génération qui a eu des projets plus ou moins réalisés, déçus. Ils aspirent à ce que leurs enfants aient des situations dix fois meilleures que la leur.
C'était moins le cas dans les années 60, quand la personne savait lire et écrire, c'était déjà pas mal. Mais là on veut beaucoup plus pour ces enfants là. Ils ont une responsabilité plus grande. Tu as vu, l'enfant de telle personne, il a ceci, il a cela...

Interviewer : C'est quelque chose qui revient dans les interviews que je fais avec les femmes ici, ce désir que leurs enfants réussissent, pour compenser leurs vies à elle.
Madame : Chez les gens qui ont travaillé aux chantiers navals toute leur vie, j'ai l'impression que cette question était moins forte.
Eux, ils avaient un emploi, ils partaient le matin, ils avaient une carrière établie. Les plus jeunes, c'est plus difficile. L'incertitude du travail est là. Mais même ceux qui ont du travail sont moins satisfaits que la génération des années 60.

Interviewer : Vous le ressentez beaucoup dans votre travail ?
Madame : On discute beaucoup. On essaye d'analyser les propos des gens, leurs attentes, ce qu'ils mettent en œuvre pour essayer de se sortir de leur situation. On essaye de porter un petit regard sur tout ce que les gens disent.


Le décès du beau-père Écouter cette séquence

Interviewer : Est-ce que votre beau-père est encore vivant ?
Madame : Non

Interviewer : Comment a-t-il fini sa vie ?
Madame : Il a été malade. Il a été opéré, sans trop de succès. Les personnes qui ont travaillé comme lui à cette époque, il y en a peu qui sont encore vivants.
Il a été enterré au Sénégal, puisque lorsque les médecins m'ont dit qu'il n'y avait pas grand chose à faire, il a été décidé de le rapatrier auprès de sa femme. Elle l'a souhaité.


L'aide financière à la famille au Sénégal Écouter cette séquence

Madame : J'ai eu un enfant qui est né au Sénégal, trois autres qui sont nés en France et j'ai élevé deux autres enfants. On était une famille de six enfants.
Les enfants qui sont nés ici ont une vision de la France qui est complètement différente de nous.
Ils n'ont pas les mêmes devoirs que nous par rapport à la famille qui est restée en Afrique. Pour nous, c'est un devoir d'aider financièrement les autres. Pour eux, non. Ils vont avoir une relation différente avec le reste de la famille qui est restée en Afrique. Ils sont plus libres, ils ont beaucoup moins de culpabilité.
Ils ne sont pas obligés d'aller systématiquement en Afrique. Ils vont aller ailleurs. Des fois très loin, en Angleterre, en Finlande...
Mes enfants essayent de faire les pays de l'Europe. Des fois à mon désespoir, parce que j'aurais bien aimé qu'ils retournent en Afrique. Mais ils ne se sentent pas obligés et ce n'est peut-être pas plus mal.

Interviewer : Vous arrivez à le comprendre ?
Madame : Moi, si je le fais, je vais avoir un sentiment de culpabilité énorme. Si eux s'affranchissent de cette culpabilité, tant mieux pour eux.
On a toujours derrière la tête que moi je m'offre ça, alors que les autres n'ont pas à manger, ils ont besoin de choses beaucoup plus vitales. Ce sentiment de culpabilité ne nous lâche pas, pour la moindre dépense. C'est atroce de vivre avec ça.
Quand on est là-bas, on ne voit pas les charges et les sacrifices que ces gens là font pour lui envoyer de l'argent. Ils n'imaginent même pas que la personne fait des sacrifices, alors qu'on en fait beaucoup pour pouvoir assurer ça. Mais on ne va pas le leur dire, par pudeur, par gêne. Et quelle que soit notre condition ici, on est quand même mieux qu'eux.

Interviewer : Vous ne parlez jamais de vos difficultés à votre famille en Afrique ?
Madame : Si, quand ils demandent des choses qui ne sont pas raisonnables, on se doit de le leur dire. Ce n'est pas leur rendre service de leur faire croire que nous, ici, on ne souffre pas.
Mais, quels que soient nos sacrifices et nos malheurs, ce n'est pas comparable aux leurs. Si telle personne te demande une marque de chaussures très chères, je leur dis mes propres enfants ne les ont pas. Et quand je t'envoie trente euros, c'est parce que j'ai travaillé trois heures pour les avoir. Il faut pas avoir honte de le leur dire.


L'avenir de ses enfants Écouter cette séquence

Interviewer : Vous avez continué à aider vos petits frères et sœurs ?
Madame : Il faut aider. On n'a pas le droit de les laisser tomber. Dans la mesure du possible. Cela ne veut pas dire qu'on ne doit pas assurer l'avenir de ses propres enfants. Quand c'est au détriment de ça, je pense que le rapport est trop faussé.
Il faut trouver un équilibre, sinon on créée au niveau de la famille même, pas des conflits, mais des incompréhensions, parce que les enfants qui sont nés ici ne comprendront pas pourquoi ils doivent, eux, être sacrifiés pour d'autres, qu'ils n'ont jamais vus, que quand ils passent un coup de fil c'est pour demander.
Au niveau des familles, il faut trouver un équilibre pour ne pas créer ce genre de petits conflits plus ou moins dits.
On essaye.

Interviewer : Est-ce que vous pensez que vos enfants vont vivre à La Seyne ?
Madame : Je ne souhaite pas. S'ils trouvent ailleurs, je ne suis pas contre qu'ils partent. D'ailleurs, la plus grande n'est pas à La Seyne. Ce n'est pas que La Seyne n'est pas bonne pour eux, mais s'ils arrivent à trouver leur équilibre ailleurs, pourquoi pas.